« Un ange pour l’été », de Michel Bellin : Une adaptation scénique réussie et respectueuse du texte
Un ange pour l’été de Michel Bellin
Mise en scène : Magali Dumont
Interprétation : Francis Piet-Lataudrie (Julius) et Adam Pringuet (Raphaël)
Durée : 2h/Présenté au Théâtre de Sainte Marguerite, Avril 2017
L’Alisier production présentait la dernière mise en scène de Magali Dumont « Un ange pour l’été » de Michel Bellin avec Francis Piet-Lataudrie (Julius) et Adam Pringuet (Raphaël), deux comédiens qu’une soixantaine d’années séparent. La pièce était présentée pour la première fois au public le vendredi 7 avril à l’Atelier des Arts (Théâtre Ste Marguerite) à Marseille, devant une salle comble et comblée, l’auteur étant par ailleurs parmi le public ce jour-là, invité à dédicacer son texte.
Pour la petite histoire, « Un ange pour l’été » est le remake du « Messager », roman paru en 2003 chez H&O, aujourd’hui épuisé, et a été réédité à plusieurs reprises, réactualisé à chaque fois de la main du romancier. En 2005, il a été adapté pour la scène par son auteur, en collaboration avec Denis Daniel, comédien au Théâtre de la Huchette (Paris), sous le titre de « Raphaël ou le dernier été » paru aux éditions Alna puis aux Editions de l’Harmattan dans “AMOUR(S)”, Trilogie théâtrale, collection Écritures, Paris, 2010.
« Un ange pour l’été » se présente sous la forme d’un dialogue entre un vieil homme, écrivain retraité bougon résidant dans un quartier aisé de la capitale, épicurien misogyne et quelque peu cynique en attente de sa mort prochaine, Julius, et un jeune homme de bonne volonté, étudiant timide et souriant, un brin naïf mais curieux, à la recherche d’un job d’été, venu proposer sa candidature au poste de garçon de compagnie suite à une annonce parue dans un journal, Raphaël. Au fil des visites du jeune Raphaël, Julius, dont on apprend qu’il est un ancien prêtre défroqué, à l’instar de l’auteur de la pièce, se laisse peu à peu apprivoiser par son nouvel ami jusqu’à relater à Raph la tragédie de la mort de son grand amour, Andrews, dont le portrait trône sur le piano de l’amateur de musique classique. Et au jeune homme de lui confier son penchant homosexuel encore embryonnaire, son attirance pour un camarade de natation, ses questionnements existentiels sur l’amour.
Car d’Amour, il en est beaucoup question ici, l’Amour de Dieu, de l’Autre, le Grand Amour ; d’Amitié aussi puisque nous assistons à la naissance d’une amitié entre deux êtres que l’âge, la catégorie sociale, l’éducation… séparent, une amitié où la tendresse doublée d’une profonde affection liant un élève à son mentor et vice-versa se confond et se fond en un amour platonique. La scène, fort bien amenée et en rien gratuite, où le jeune homme pose nu à la demande de son vieil ami malade est non seulement belle mais également subtile, rappelant le David de Michel-Ange. C’est avec délicatesse que Magali Dumont a travaillé sur la mise à la scène du texte, évitant de tomber dans le piège d’une direction d’acteur stéréotypée : ici, les deux comédiens interprètent toute en finesse l’homosexualité de leur personnage par un geste de la main, un mouvement de bassin, un regard ou encore un pas esquissé de danse. Sans en faire trop ou pas assez : cette justesse dans les attitudes et la gestualité permet aux comédiens de ne pas tomber dans le cliché du gay fofolle ou de l’homo macho. Une élégance que nous apprécions d’autant plus qu’elle est bien plus proche de la réalité que vivent de nombreux gays.
Même si pour des raisons temporelles, le personnage de la concierge Alicia a disparu et quelques petits passages, coupés, l’adaptation de la pièce est ici plus que respectueuse du texte et de ses didascalies : les noirs entre coupant les différents tableaux, de leur première rencontre plutôt cocasse à leur dernière bien plus tragique ; la scénographie qui symbolise un appartement cossu d’un homme d’art et de lettres, avec sa multitude de livres débordant d’un secrétaire ancien, son piano, sa table basse, son meuble d’inspiration chinoise en bois laqué et son fauteuil de couleur bordeaux ; le dire du texte, chaque comédien faisant preuve d’une diction parfaite (à saluer la voix off enregistrée) où chaque mot s’entend et se ressent, le geste accompagnement la parole sans redondance aucune.
Alors oui, certains diront que les jeux de lumière sont relativement simples, mais ils sont efficaces (notamment pour la scène du nu ou encore le final, voire celle où Raphaël se met à danser comme un fou), que les noirs sont trop nombreux obligeant à des entrées/sorties proches du théâtre de boulevard mais c’est un choix artistique défendable*, que la mise en scène et la scénographie sont plutôt classiques mais cela sied à la pièce et permet de mettre en lumière un jeu d’acteur où les émotions passent par une interprétation théâtrale dans laquelle le corps et l’esprit sont requis (une mention spéciale pour l’interprète de Julius, Francis, dont la présence en dépit de son âge est extraordinaire et dont le dire est admirable, et un encouragement pour celui de Raphaël, Adam, le jeune comédien qui -après quelques valses hésitations à rentrer pleinement dans son personnage en début de pièce- s’en empare avec grande justesse au fur et à mesure que nous avançons dans le récit, faisant preuve d’une belle générosité sur scène) ; d’autres critiqueront la sobriété dans les costumes mais elle n’empêche pas quelques touches d’excentricité ou de folie (notamment chez Raphaël lors de sa venue en tenue bariolée).
Certains encore, reprocheront la linéarité du récit mais la beauté du texte (que nous vous conseillons de lire) qui joue sur des registres allant du tragique au comique, du littéraire au vulgaire (dans le sens de commun), avec ses envolées lyriques magnifiques, ses jeux de mots subtils et savoureux, ses clins d’œil aux expressions des djeun’s confèrent un rythme au récit et une dynamique rare dans les textes contemporains volontairement déstructurés. Car ici, les réflexions philosophiques amenées par le lettré Julius ne sont pas, à l’instar de nombreux textes d’aujourd’hui, enfumage vain ou bavardage futile ; au contraire, ces moments sont d’une pertinence et d’une intelligence qui ne sauraient souffrir une mise en scène étouffée par des effets de jeu ou un suremploi des nouvelles technologies.
In fine, cette représentation, hélas unique, a conquis un public hétérogène venu en nombre découvrir le texte d’un auteur vivant dont nous saluons l’écriture : ce furent deux heures de représentation durant lesquelles nous ne nous sommes point ennuyés et l’image finale –réinterprétation de la Pietà de Michel-Ange – est magnifique. Souhaitons que cette création à petit budget mais finement réalisée puisse trouver d’autres lieux où se poser. Diane Vandermolina
*bien qu’ils nous semblent un peu trop systématiques, les noirs confèrent certes quelques respirations bienvenues au texte mais pas toujours, notamment lors des premiers tableaux.
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