La sagesse des ânes
La Compagnie Han présentait son dernier spectacle « Bourriques! » au Théâtre du Strapontin de Marseille début avril. Cette histoire d’ânes, pas si bâtés ni bêtes que ça, entraine les petits et les grands dans un univers loufoque où les protagonistes nous rappellent en chanson et en musique que quoique nous fassions nous serons toujours jugés, voire rejetés ou mis à écart, par la société. Alors, autant assumer son être âne pleinement.
En préambule
E quannu cantava facia :
I-Ha, I-Ha, I-Ha,
Sciccareddu di lu me cori
Comu iu t’haiu a scurdari
Par les paroles de cette chanson traditionnelle sicilienne Un sciccaredu, commence ce spectacle tout public musicalo-burlesque avant de s’achever par Louange à l’âne (Bourrico alibouron) du compositeur corse, Philippe Forcioli.
S’accompagnant à l’accordéon, au ukulele et au cajon, les deux jeunes femmes nous amènent en balade entre compositions personnelles –L’Ane Parfait, La Chanson des bourriques, La douleur universelle et L’art de l’esquive– joliment écrites et composées.
Le ton est donné d’emblée! Nous sommes en partance pour le pays des mulets, bourricots, baudets et autres ânes.
Cette création est portée par deux artistes complémentaires aux multiples talents, la conteuse-chanteuse Carole Joffrin, et l’acrobate-musicienne, Neda Cainero. La première incarne un âne anarchiste, refusant les diktats de la société de consommation, la seconde un âne simplet, technicienne de surface dans l’école primaire de son enfance.
Une belle amitié entre deux êtres aux antipodes
Après de longues années sans s’être vues, les deux amies d’enfance se retrouvent par hasard devant l’entrée de leur ancienne école. Boubou, balai et pelle en mains, tente tant bien que mal de nettoyer le sol, se prenant constamment les pieds tantôt dans un trou, tantôt dans son seau. Biquette s’amuse à taguer joyeusement la devanture de l’école d’un « Halte au formatage, Ane Archie ».
L’occasion pour Boubou de faire son clown benêt. Illettrée, elle comprend « halte au fromage qui tâche ». Un savoureux jeu sur les sonorités des mots. Un malentendu que toute personne dont la langue maternelle est autre que le français peut avoir connu au moins une fois dans sa vie. Et pour cause, Boubou est un âne italien.
Drôle, d’un talent inné pour les acrobaties en tout genre, clownesque à souhait, Neda nous émerveille de ses prouesses. Cerise sur le gâteau, elle nous offre en partage des chansons italiennes qu’elle interprète fort bien, un sourire d’éternelle adolescente sur les lèvres, le regard rieur.
Riquette, quant à elle, est un âne intellectuel qui voyage dans les livres à défaut de faire le tour du monde en vrai. Un parasite pour certains, un âne libre penseur pour d’autres. Elle réside à l’AAS, l’association des ânes solidaires qui vient en aide aux ânes solitaires. Un endroit où il fait bon vivre ensemble, où chaque âne a droit d’être lui-même.
Elle est incarnée par Carole : excellente conteuse à la gestualité précise et délicate, elle nous raconte de bien jolies histoires à visée philosophique. Également chanteuse et musicienne talentueuse, elle nous régale de son énergie contagieuse et de ses mimiques, ses grands yeux brillants et farceurs de biricchina.
Ode à la différence et à l’acceptation de soi et de l’autre
L’écriture du texte qui file la métaphore asinienne avec malice et finesse est bien vue.
Alternant récit, jeu et chansons, en interaction avec le public, la création est entrecoupée d’intermèdes où deux autres personnages qu’elles incarnent font leur apparition (les techniciens ou le gardien du parc) lors des changements de décor.
Un décor simple, efficace : un grand panneau recouvert d’un tissu noir sur lequel seront accrochés des étoiles et une demi-lune, puis les tableaux des ânes célèbres du grand pharaon à Einstein.
Les récits intercalés sont pleins de sagesse. Citons celui de l’enfant, de l’âne et du père sur le harcèlement : le petit Juanito fait l’objet de moqueries à chacune de ses sorties sur la place du village et son père lui montrera que quoique nous fassions nous sommes toujours critiqués.
Ou encore l’histoire des musiciens de Brême : en unissant leurs forces, quatre vieux animaux musiciens qui vivent en harmonie les uns avec les autres réussissent à mettre en déroute une bande de brigands…
In fine, cette création est fort réussie, enlevée et joyeuse. Elle nous enseigne l’acceptation de soi et de l’autre dans sa différence avec légèreté et entrain. Hi-han. Diane Vandermolina
Plus d’infos sur http://www.ciehan.wixsite.com/lesite
Crédit photos: Shirley Dorino
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