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The culture beyond borders

Le monodrame de Hsu Yen Ling

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Remix : Hsu Yen Ling + Sylvia Plath
présentation en chinois et français avec sous-titre français
âmes trop sensibles s’abstenir !
Scénariste: Chou, Man-Nung
Interprète : Hsu, Yen-Ling
Metteur en scène : BABOO

Troublant monodrame….

Hsu Yen Ling

Hsu Yen Ling

La poétesse

http://www.youtube.com/watch?v=J816AxnJHNU&feature=related

http://www.youtube.com/watch?v=YYuwrKRjz10&feature=related

Sylvia Plath est une poétesse américaine confessionnaliste qui se suicida à l’âge de 30 ans en s’empoisonnant au gaz. L’auteure décrit dans ses poèmes et romans la détresse qui l’anime, le désespoir qui la hante au fil des années, la folie qui la guette … telle une chronique de son suicide annoncé dans une société et à une époque où le génie féminin était écrasé par la domination masculine.
La jeune femme avait été marquée à vie par la mort brutale de son père alors qu’elle n‘avait que huit ans (le besoin frénétique d’écrire la prit à cet âge) et souffrait de troubles bipolaires aigus l’ayant déjà conduite à une première tentative de suicide (pensant que le suicide était le meilleur moyen d’anéantir le monde). Elle rencontra en 1956 Ted Hugues, poète anglais, qu’elle épousa très vite et duquel elle eu deux enfants, s’oubliant complètement au profit de l’œuvre de Ted qu’elle soutenait et défendait ardemment. Jusqu’à ce qu’elle se découvre la liaison de ce dernier et trahie, décide de le quitter, la colère et la désespérance causée par la mort de cet amour fusionnel lui faisant reprendre le chemin de l’écriture, la douleur exaltant sa verve poétique aux consonances néo-féministes, voire ambigües (son poème « Lesbos »). Son poème « Daddy » est emblématique de son rapport au père, sa haine pour son père l’ayant abandonnée si tôt et pour le père de ses enfants, ce nazi qui l’a trahie.
Les voix de la solitude, les voix de la douleur/ Cognent à mon dos inlassablement écrit-elle dans « trois femmes », hantée par l’idée de la mort de l’imagination. L’hiver de 1962-1963 fut rugueux et elle tomba malade, au point que la fièvre s’empara de son corps et qu’elle écrivit son dernier poème « Le bord », lucide sur les troubles qui l’abimaient.

La création

http://www.youtube.com/watch?v=mqX_dVRYve4

Le spectacle, présenté à la condition des soies, par la troupe Shakespeare’s Wild Sisters Group, intitulé le monodrame de Hsu Yen Ling, est une réécriture inspirée du poème « 41 de Fièvre » (« Fever 103° »), relatant la nuit précédent son suicide. La troupe taïwannaise ne présente qu’une partie du spectacle, celle où Yenling interprète avec fougue et sensualité Sylvia Plath.
De même, la scénographie constituée d’une baignoire remplie d’eau – sur laquelle sont projetés les sous titres de cette création dite en chinois, en avant-scène côté jardin- et d’une chaise -en fond de scène côté cours- n’est pas la scénographie originelle. Cette dernière est constituée d’un plan incliné incurvé, découpé par une ligne de fuite (large ouverture délimitée en fond de scène par une porte et sur les côtés par le plan incliné, remplacée ici par la chaise) et un trou béant (remplacé ici par la baignoire). Hautement plus symbolique et suggestive…
Des projections vidéos inondent le mur du fond d’images aux graphismes bien réalisés et de prises de vue de Yenling sur scène, à la façon du vjaying, images sombres, éclatées et rassemblées, à l’instar de la poésie troublante de Sylvia Plath, se noyant dans le flot de paroles, de mots éructés, criés, jetés en pâture à nos oreilles, par Yenling, déchirante et déchirée par ce personnage dérangeant, oscillant entre hurlements et chuchotements, entre apathie et exaltation, entre amour et haine, attraction et rejet de l’amour, de la mort… fascinante. La bande son quant à elle n’est pas sans rappeler l’univers de David Lynch.

La réalisation

http://www.youtube.com/watch?v=ovJ7c7iIvDY&feature=related

Le spectacle a été conçu spécialement pour faire émerger le talent indéniable de Yenling, actrice et metteur en scène taïwannaise, reconnue en son pays et auréolée de nombreux prix dument mérités. Yenling -qui dans cette pièce se met réellement à nu et en danger- est saisissante de vérité tant son jeu est animé d’un force intérieure, d’un feu consumant son être, jusqu’à l’oubli de soi… L’actrice fusionne avec la femme qu’elle interprète, qu’elle devient le temps d’une représentation. Avec humilité et talent. Voire une pointe d’humour qui ne nous laisse pas indifférent, notamment lorsque vêtue d’une robe rouge, elle nous accueille, interpelant les spectateurs avec amusement et une candeur feinte… Telle une femme-enfant faussement ingénue… nous demandant avec douceur « dessine moi un mouton » !
La mise en scène n’est pas en reste : elle semble avoir été conçue à la manière d’un souffle poétique, à travers le rythme des mots, les silences du langage et du corps, laissant éclater la puissance des phrases s’inscrivant dans l’espace, résonnant aux oreilles des spectateurs émus par ce long poème qui distille avec subtilité la pureté et la violence des sentiments. La mise en scène joue sur la complémentarité/opposition des deux personnages sur la scène : la figure du mâle (le père/le mari/l’amant) et la figure de la femme (la fille, l’épouse, la mère et l’amante) sans tomber dans le manichéisme. La souplesse du jeu du comédien, sa placidité et sa force tranquille contrastent harmonieusement avec la violence, l’ardeur, la folie du jeu de Yenling tout en rupture et dont les gestes sont pourtant précis et non désordonnés. Elle fait preuve d’une grande maîtrise de son art (à saluer) et il est difficile par instants de ne pas retenir son souffle. De ne pas être subjugué, remué, par cette alliance si réussie entre l’écriture, la réalisation et l’interprétation car même dans les passages les plus durs de la pièce, rien n’est gratuit, ni la répétition inlassable des mêmes paroles, ni le jeu dangereux de Yenling/Sylvia avec le rasoir. Et un mélange de crainte et de fascination nous saisit à l’issue de cette création hautement symbolique où la cruauté du monde, de la vie, de l’amour éclate à nos yeux… Le trouble nous saisit.
Au sortir de la salle, nous nous interrogeons sur la place de la femme dans la société, la domination toujours existante (hélas !) du mâle sur la femme, la violence symbolique exercée sur le sexe dit faible, le patriarcat… Mais aussi sur le sens de la vie, la mort, qu’est ce que être, exister, vivre, aimer, créer ? Et pourquoi ? Pour qui ?

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In fine

Hors l’amour, il reste très peu de choses disait Sylvia Plath…qui a voué sa vie à son amour et dont la poésie naquit de la souffrance de la perte de l’être cher.

L’amour, ce sujet universel et éternel qui inspira tant de poètes.

Je finirais avec ce sonnet de Shakespeare :

Let me not to the marriage of true minds
Admit impediments. Love is not love
Which alters when it alteration finds,
Or bends with the remover to remove:
O no! it is an ever-fixed mark
That looks on tempests and is never shaken;
It is the star to every wandering bark,
Whose worth’s unknown, although his height be taken.
Love’s not Time’s fool, though rosy lips and cheeks
Within his bending sickle’s compass come:
Love alters not with his brief hours and weeks,
But bears it out even to the edge of doom.
If this be error and upon me proved,
I never writ, nor no man ever loved.

Diane Vandermolina

Rain to Box – Hsu Yen-Ling

crédit photo : photos publiées avec l’aimable courtoisie de The Shakespeare’s Wild Sisters Group

Rmt News Int • 19 août 2009


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