Hommage….
BERNARD GIRAUDEAU
Adieu au « récitant de voyages » .
Le marin comédien qui sans cesse levait l’ancre entre écriture, cinéma, théâtre a définitivement largué les amarres ce matin d’été et nous laisse bien tristes sur le quai.
En tournée à Marseille au Théâtre Toursky en 2001, où il interprétait magistralement le roi de Becket ou l’honneur de Dieu de Jean Anouilh, Bernard Giraudeau y avait également rencontré son public à l’occasion de la sortie de son livre épistolaire le « Marin à l’ancre » . « J’ai besoin d’écrire pour jouer au théâtre. Et j’ai besoin de jouer au théâtre et de voyager pour écrire Je me sens comme un marin ancré dès que je ne bouge pas. C’est pour ça que je suis en tournée ici avec Beckett, parce que j’ai besoin de ça, j’ai besoin de passer d’un port à l’autre, d’une scène à l’autre. Ca me plait bien ce voyage là ».
Comédien, acteur, écrivain mais aussi réalisateur de documentaires et de reportages, Bernard Giraudeau se définisait comme un marin qui a besoin sans cesse de ce mouvement semblable à celui de la mer. « J’ai toujours écrit depuis le début, à 17 ans déjà j’écrivais dans la marine. Tour à tour, marin, danseur puis comédien et enfin réalisateur de documentaire puis écrivain. Un parcours d’une grande cohérence. « J’étais marin, déjà normalement pour moi le choix était fait. J’habitais un port et j’avais envie d’aller vivre au delà de l’horizon ; ces rêves qu’on a tous de passer de l’autre côté de l’horizon. C’est la forme qui ne m’a pas tout à fait satisfait puisque c’était la marine nationale, une ambiance militaire. Donc je suis resté un plus de quatre ans, presque cinq, et puis j’ai rencontré le théatre et j’ai changé de navire en montant sur une scène. Mais finalement, c’est la même chose. Sur un bateau on est embarqués ensemble pour le même but, une exigence à satisfaire. Au théâtre c’est le public. En mer, l’exigence c’est que le bateau puisse naviguer, mais dans les deux cas il faut qu’il y ait aussi du plaisir. Chacun a sa place bien précise pour que tous les rouages fonctionnent. Tout le monde est important et s’il y a un grain de sable dans les rouages, ça finira par blesser tout le monde et il y a une attention très particulière à ça. Le travail en équipe c’est important sur un bateau comme dans un théâtre : on fait souvent ce parallèle entre le théâtre et la marine. Mais, dans la marine à la différence du théâtre c’est un relationnel très masculin. Mais, même pour ceux qui travaillent dur à bord d’un bateau, il y a un vrai plaisir et je pense que sur la scène c’est la même chose et qu’on est – comme sur un bateau – dépendants les uns des autres au cours d’une traversée. »».
Giraudeau qui s’était excusé d’avoir un quart d’heure de retard pour cette rencontre, politesse de grand, portait un regard tendre sur Marseille.« Je dis toujours que Marseille c’est une vieille pute très séduisante. C’est quelqu’un qui sait attirer, qui sait tchatcher, qui sait y faire et on se laisse avoir. J’imagine ce port avec des goelettes, des bricks, des bateaux du XVIIe entrant au port, les cabarets, les lieux de marins. On pense à Alexander Kent, à Forester ou à O Brian. Marseille est un port qui raconte bien cette histoire. En dehors de ça, il y a quelque chose d’une ville métisse qui me plait beaucoup. Toutefois, moi je suis un homme de l’Atlantique, alors il me manque un peu l’ iode, les marées.Cette région est très belle, j’ai fait tous les spots de plongée, mais la mer je l’aime quand elle brasse, quand elle se met un peu en colère, qu’ elle s’énerve un petit peu,quand elle est vivante et agitée. Quand elle est un peu étale, un peu bleue lisse, elle m’ennuie. J’ai besoin que ça bouge, que ça sente fort. »
J’ai changé de navire
« J’aime écrire, j’aime raconter des histoires en film comme acteur, comme comédien. Mais, j’ai l’impression que tout se ressemble. On a besoin d’acteur pour jouer comme on besoin d’un auteur pour écrire un scénario, comme on a besoin d’une voix off sur les images d’un documentaire. Mais, tout ça finalement entre l’écriture, les reportages que je fais et les documentaires de fiction, les films, c’est assez cohérent. Enfin je le crois. On a l’impression que je suis très dispersé et que je fais beaucoup de choses. En fait, tout se ressemble quelque part dans le style ou dans l’écriture qu’elle soit cinématographique ou littéraire parce que c’est toujours à la recherche de la sensualité, des parfums, des odeurs, des émotions fortes et ça c’est très important. Je suis un récitant de voyage » se plaisait à dire le comédien-écrivain. Adieu l’artiste, nous continuerons de te lire et de t’écouter.
Geneviève CHAPDEVILLE PHILBERT