Les temps suspendus de Michel Jonasz
Entre moments savoureux et moments d’émotion, Jonasz de sa voix merveilleuse et tranquille incarne son grand-père Abraham
« Bravo à Michel Jonasz qui incarne avec talent et émotion son grand père maternel Abraham qu’il n’a pas connu. Les conversations du grand père avec son meilleur ami Yankel étaient très savoureuses, même si, comme on l’imagine, leur langage commun était le yiddish. Michel Jonasz les a traduites à sa manière avec les intonations appropriées. Moi aussi, j’ai un « banc » dans ma mémoire, celui où ma mère et ses amies se réunissaient les soirs d’été pour bavarder de tout et de rien en yiddish et j’entends encore leurs rires. Je me suis sentie très proche de Michel Jonasz et j’ai partagé son émotion » C’est l’une des réactions spontanées au spectacle écrit et interprété par Michel Jonasz qui n’avait pas fait de théâtre depuis trente ans. Et s’il y revient c’est pour rendre hommage, à travers l’image de son grand père maternel, à la mémoire de ses grands-parents, de sa famille qui s’en est allée dans une fumée.
Abraham est né à la fin du XIXème siècle en Pologne, « le pays le plus triste du monde », réfugié en Hongrie à l’âge de vingt ans, où il épouse la belle Rosele, lui fait plein d’enfants, vit dans le respect de la religion et le bonheur familial, entre l’épicerie et la synagogue où il est Cantor. Jusqu’à ce qu’à la fin des années trente il soit obligé d’envoyer quatre de ses enfants en France pour les protéger, avant que lui-même, en 1944, sous les hurlements des chiens, se voit intimé l’ordre d’aller prendre une douche. Avant de disparaître, Abraham se souvient de cette vie-là, ces années heureuses, où il chantait, dégustait les gefilte fish de sa femme, philosophait avec son meilleur ami Yankel, qui était aussi le meilleur tailleur du monde. C’est à ce grand-père, père de sa mère Charlotte, l’une des deux seuls de la fratrie ayant échappé à la déportation, que Michel Jonasz prête sa voix aujourd’hui.
L’homme que l’on découvre
Jonasz se tient debout, seul sur les planches, tout près des spectateurs, petit et droit, un peu trapu, jambes et bras légèrement écartés dans son costume noir. Il commence à parler et déjà il y a comme une évidence. Pas seulement celle de voir un immense auteur-compositeur-interprète sur scène : ici, c’est l’homme que l’on découvre d’abord, un homme à la voix merveilleuse, tranquille, à peine appuyée. Le chanteur, qui esquisse également quelques pas de danse, incarne Abraham de sa voix ouatée et puissante, accompagné de musique tzigane enregistrée pour l’occasion à Budapest, rendant ainsi hommage à ses sources d’inspiration (le spectacle, édité en CD, est le deuxième volet de la trilogie consacrée à ses influences musicales, après l’album Chanson française et avant celui qu’il dédiera au jazz). Lorsqu’il se met à chanter, souvent en yiddish, son timbre reconnaissable entre tous, comme surgi des profondeurs, porte à merveille la dimension historique de la pièce. Mais Jonasz fait aussi la part belle à l’humour, dans le texte comme dans l’interprétation, en particulier dans les dialogues sur la religion entre Abraham et son ami Yankel, pétri d’interrogations sur Dieu et ses commandements. Entre moments savoureux et moments d’émotion, l’adhésion du public est à l’image de l’affection de Michel Jonasz pour son personnage : sans réserve, du début à la fin. Un très beau et fort spectacle actuellement en tournée en France.
G.CHAPDEVILLE
Abraham
Ecrit, mis en scène et interprété par Michel Jonasz
Scènes et Cinés Ouest Provence – Fos-sur-Mer Le Théâtre – 22 octobre 2010
www.scenesetcines.fr
Théâtre Toursky 11 et 12 février 2011
www.toursky.org
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