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« Immenses et minuscule » : hymne à l’enfant

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A l’occasion du 20ème anniversaire de la signature de la convention des droits de l’enfant, l’atelier du possible a monté un spectacle dédié aux enfants porté par un texte poignant et déchirant signé Dominique Duby, mis en scène par Bernard Colmet. Avignon off s’est offert les talents de cette auteure aux mots bien pesés et bien pensés, authentiques et percutants, et qui, grâce à ses comédiennes, dresse un portrait des enfants du monde dans un spectacle touchant et émouvant. Leçon.

« Immenses et minuscules » c’est l’histoire de quatre clochardes, trois femmes et une enfant, qui partent à la rencontre des gens pour leur raconter l’histoire des enfants. Ces enfants qu’elles ont croisé au gré de leurs voyages, ces enfants qu’elles présentent aujourd’hui pour leur donner un sens, une parole. Avec leur carriole, leur fauteuil et tout le bric à brac, elles interprètent pour, en paroles, en chansons, ces enfants des quatre coins du monde, ces enfants de chez nous qui souffrent et luttent pour leur vie, abîmés par des sociétés et des cultures qui ne font rien pour les préserver. En passant par l’Afrique, l’Asie, et l’Europe, on assiste à un défilé d’enfants déchus et perdus qui voient leur enfance brisée, exploitée, martyrisée. Lubâba (essence intérieure), Nour (lumière), Durrah (grande perle), Nusrat (victoire) vont à la rencontre des spectateurs, partageant leur vision et leur consternation, pour mener à bien leur réflexion pour le respect des droits des enfants. Avec un répertoire emprunté à Agnès Bihl, Théodore Botrel, Kenny Arkana, Michèle Bernard ainsi qu’à des chants plus traditionnels venus du Rwanda, du Burundi et du Maroc, elles chantent les peines et dénoncent l’injustice donnant au spectacle un rythme bien ficelé qui alterne entre texte et chansons.

Le texte et les paroles, parlons en. Parce que la parole est un droit fondamental et que les mots habillent nos pensées, les mettent en forme, et les traduisent, rien n’a plus d’impact que ces mots lorsqu’on sait les dire. Dominique Duby signe un texte qui fait mal. Les mots sont aussi durs à dire qu’à entendre parce que la vérité fait mal et que le texte est d’une authenticité sans bornes. L’auteure use des mots pour dire ce qui ce passe ici et ailleurs, pour dire la vie telle qu’elle est parfois : injuste et impitoyable. Mais pas seulement la vie, mais ce qu’on en fait aussi, et ceux qui la bafouent. L’enfant que personne ne voit nous dira « dehors je joue à l’invisible, ceux qui ne me regardent pas ne me voient pas », « Dans mon bidon c’est chez moi. C’est ma chambre, c’est ma maison, c’est ma ville. C’est mon bidon-ville ». Cet enfant qui ne « se souvient pas être né quelque part », c’est la réalité de beaucoup d’autres qui, orphelins, survivent dans des bidons. Dominique Duby ne mâche pas ses mots et n’a pas peur de dire ce qui fait mal « la fessée purge les humeurs », « j’ai été dressée je ne m’en porte pas plus mal », « est ce que c’est juste que je sois là et que lui soit là-bas de l’autre côté de la page ? ». Les chansons parfaitement bien choisies, renchérissent et enfoncent le clou. La musique aide à faire passer des messages c’est bien connu, et dans ce spectacle, on n’est plus attentif que jamais, buvant chaque parole, mémorisant chaque mot tous aussi percutants, tous tellement existants : «Yang Lee travaille en chine dans une usine», « la médecine fait des pas de géants, et le sida recule en bloc, seulement les poules auront des dents avant que l’Afrique ait des médocs, c’est bien » …  « on fabrique des tueurs à la chaine, jouer au p’tits soldats de dix ans, et puisque l’horreur est humaine, la guerre n’est plus qu’un jeu d’enfants, c’est rien ».

Si le sujet traité est difficile, le spectacle ne donne jamais dans le pathos. Bien au contraire, il alterne entre moments de réelle émotion et moments savoureusement drôles. Les comédiennes n’en font ni trop ni pas assez, elle servent le texte avec une authenticité et un jeu si fin et si maîtrisé qu’on oublierait presque assister à un spectacle. Drôle le spectacle l’est assurément, grâce au talent comique de ces comédiennes mais aussi aux situations et personnages présentés. Comme c’est le cas pour cette professeure complètement déconnectée pour ne pas dire tarée, qui fait l’éloge de la punition. Elle décrit les bienfaits de la « tortion », de la gifle, de la gifle sandwich, de la fessée et de la fouettée, tout ça pendant que deux autres comédiennes (Nour, l’enfant, et Durrah) font une démonstration tout en sourire. Exquis, on rit tout en pensant que malheureusement des gens comme ça il y en a des tas. La démonstration permet aux comédiennes d’enchainer avec un florilège de personnages antipathiques et méchants qui frappent leurs enfants. Mais toujours traité par le biais de l’humour (ça passe quand même mieux), on a aussi le droit à une série de petites phrases que l’on a tous entendu (au moins une fois), à savoir « tiens maintenant tu sais pourquoi tu pleures », « un jour tu vas me faire mourir », « tiens tu l’as veux celle la, elle est encore chaude ». Vous l’aurez compris, le spectacle loin de nous assommer, nous enchante. On passe du rire aux larmes, on en apprend constamment sur les enfants du monde, de notre monde.

Les comédiennes sont drôles, sont vraies, sont justes. Jamais dans l’excès, elles caricaturent à merveille des personnages adultes souvent désespérants. Elles dénoncent les réalités drastiques et inhumaines de bien des enfants, ceux qui vivent dans des bidon-villes, celles qui, victimes de la politique de l’enfant unique fuient dans la forêt, celles qui sont condamnées à s’engraisser pour faire un beau mariage et bien d’autres encore. Isabelle Desmero et Tamara Nicot, comédiennes et chanteuses, complices, interprètent à merveille leur rôle qui pourrait être leur réalité : deux femmes ferventes défenseuses des enfants, animées par l’amour et le respect pour le combat d’une vie : celui de la vie. Quant à Dominique Duby elle joue aussi bien qu’elle écrit, en dame maternelle et protectrice, qui impuissante face à tant de malheurs, fait son possible pour transmettre le respect et l’amour dont les enfants ont besoin. L’enfant, enjouée, fraiche et naturelle joue superbement son rôle d’enfant, entre spontanéité, sourire, et énergie, elle apporte de la fraicheur au spectacle et participe à faire entendre (pour ceux qui l’auraient oublié) que les enfants sont des êtres bien trop précieux pour être bafoués.

Guettez ce spectacle plein de bonnes attentions, emmenez-y vos enfants, emmenez aussi les grands, ce spectacle est une leçon dont nous avons tous quelque chose à tirer.

Clémence Borodine

avignon off 2011

Rmt News Int • 30 juillet 2011


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