Au chevet de Sophie Calle
« C’est au premier étage, vous avez une demi-heure, c’est à vous de gérer votre temps je ne viendrai pas vous chercher », précise l’assistante de l’artiste plasticienne Sophie Calle avant de laisser monter quiconque dans la Chambre 20 du luxueux hôtel La Mirande à Avignon. Après Rachelle Monique, présentée l’an dernier dans le cadre du In, consacrée à sa défunte mère, installation pendant laquelle elle venait lire, une heure par jour les journaux intimes de cette dernière, Sophie Calle a souhaité revenir en Avignon, cette année. Pour cela elle a choisi de s’exposer en permettant au public de lui rendre visite entre 10 h et 21 h cinq jours durant, dans sa chambre d’hôtel.
Sur le pas de la porte, le premier objet qui nous accueille est une poussette de bébé. Plus tard, un badge humoristique en anglais disposé à côté du lit de l’artiste et qui dit « Oup’s j’ai oublié de faire des enfants !» fonctionne comme une piqure de rappel. Sophie n’a jamais voulu devenir mère et c’est ce désir de « non » maternité qu’elle met en préambule de son exposition. Comme pour signifier « Je suis femme, malgré tout. Et les 44 petites histoires de ma vie et notamment de ma vie amoureuse que vous êtes venus lire accrochées ça et là, dans les toilettes, au-dessus de la baignoire, dans le placard de la chambre 20, ce sont les histoires de ma vie de femme ».
Des histoires qui vont de l’homme qu’elle aimait faire uriner en passant par la fois où son père l’a envoyé chez le psy parce qu’elle avait mauvaise haleine, celle de cet homme vu lors d’une conférence dont elle n’aimait pas la cravate et à qui depuis elle poste un vêtement par an mais aussi de cette lettre d’amour envoyée à son attention par un écrivain public, à sa demande, etc. A chaque histoire parfois un objet qui s’y rapporte, un matelas brulé, des lettres de rupture, un chat empaillé, une robe de mariée en tulle rouge, un soutien-gorge noir accroché au lustre… Et puis, elle, « exposée »au milieu en chemise de nuit couleur corail des lunettes de soleil posées sur le nez comme un paravent sur ce qu’il lui reste d’intimité, son regard. Ce jour-là, il est 14H30, elle est assise sur son lit en train de terminer son repas, elle écoute de la musique sur son portable, ouverte aux suggestions des mélomanes. Mais seules les personnes prêtes à lui raconter « une histoire au creux de l’oreille pour l’endormir » peuvent s’installer sur le matelas d’à côté. Pendant notre passage personne ne s’allongera. Il faut dire que la Chambre 20 manque un peu d’intimité pour se laisser aller à la confidence. On dit bonjour, on dit au revoir, certains tentent de faire de l’humour, d’autres de prendre une photo-alors que c’est interdit- l’artiste répond toujours amicalement à ses visiteurs. C’est plus la présence de ces derniers-trop nombreux-qui dérange que celle de Sophie Calle, il fait chaud seul un maigre ventilateur aère l’espace et on a du mal à se concentrer sur ce que l’on lit.
Cette performance est née d’abord à Paris à l’Hôtel de Rothschild, à Londres puis à New York, à l’hôtel Lowell en 2011. Et Comme toujours l’artiste fait de son existence, son œuvre. Rien de surprenant dans cette exposition, juste du Sophie Calle. On aime ou on n’aime pas. Et quand on aime, on s’attache forcément ces « petites histoires de rien », mais qui en disent long sur le personnage, même si l’artiste ne donne à voir ou à lire que ce qu’elle veut. On se demande toujours s’il s’agit d’une vie fantasmée ou si elle s’attache simplement à ces moments qui nous échappent à nous dans nos propres vies et dont elle, a fait sa patte…Quoi qu’il en soit, si Sophie Calle nous dupe, on aime ça et on devient accro attendant toujours la prochaine « performance »…
Par Samantha Rouchard
Chambre 20-Sophie Calle. Exposition-Performance qui s’est tenue à l’Hôtel Le Mirande du 15 au 20 juillet- Festival In d’Avignon. 3euros.