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L’italienne à Alger

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L’Italiana in Algeri

Opéra-bouffe en deux actes

Musique de  Gioacchino Rossini


Livret d’Angelo Anelli

Opéra du Grand Avignon

2 février

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         L’œuvre

Rossini a vint et un ans et en est à son onzième ouvrage lyrique. Il a connu un grand succès à Venise avec La Cambiale di matrimonio en 1810 et le Teatro San Benedetto lui commande en urgence un autre opéra en 1813, bouclé et monté en moins d’un mois, qui sera son quatrième en un an… Pris par le temps, Rossini prend le livret de L’Italiana in Algeri de Mosca et Anelli (1808) confie les récitatifs et l’air d’Haly à un assistant, pratique courante à l’époque, dont même Mozart usa pour La Clemenza di Tito. Le 22 mai 1813, donc, la création de L’Italiana in Algeri remporte un triomphe à Venise, puis dans toute l’Italie. Stendhal, qui n’est pas de la première mais assiste à une représentation avec les interprètes de la création raconte dans sa Vie de Rossini, que le public riait aux larmes. Rossini, qui feint de s’étonner d’avoir osé cette « folie », conclura avec humour, face au succès, que les Vénitiens sont plus fous que lui.

Stendhal encore rapporte que, pour balayer les soupçons qu’on insinue qu’il a utilisé dans le dernier air de l’héroïne la musique de Mosca, imposait à la Marcolini, créatrice du rôle titre, de chanter, après le sien, pour qu’on fît la différence, celui de son prédécesseur, ce qui n’est pas un mince exploit vu la difficulté, déjà, en fin de parcours, pour la cantatrice, de finir sur une aria héroïque à l’aigu acrobatique. Ce qui laisse entendre l’excellence de l’interprète et explique aussi, avec la décadence du chant due au wagnérisme et au vérisme à la fin du XIXe siècle et pratiquement jusqu’au milieu du XXe l’éclipse de Rossini à part celle du Barbier mais transposé abusivement pour soprano colorature aigu pour le rôle de Rosine, les voix légères vocalisant plus aisément alors qu’il est pour contralto : dans l’esthétique vocale rossinienne, qui est encore celle du bel canto du XVIIIe siècle, toutes les voix, les graves et les hautes, devaient vocaliser avec aisance, agilité, volubilité et, à cet égard, L’Italiana est exemplaire : aucune voix n’échappe à cette exigence stricte de « beau chant» virtuose.

 

Le livret : de la réalité à la dérision

         Le sujet repose sur la réalité des otages, esclaves, que la piraterie barbaresque fournit sur les marchés ottomans. Les récits abondent en Méditerranée, l’Espagne, en particulier, s’en fait une spécialité, fourmillant de romances de cautivos, ‘poèmes de captifs’ et ce n’est pas un hasard si les héros de l’Enlèvement au sérail ont des noms espagnols, Belmonte, Pédrillo. Mais avec l’échec des Turcs à prendre Vienne en 1683, marquant le début de leur recul en Europe, le danger s’éloignant, la dérision approche. Le livret d’Anelli est dans la veine des opéras turcs qui hantent l’opéra italien depuis longtemps mais en inverse plaisamment les codes : ce n’est pas le héros qui va délivrer sa belle des griffes d‘un despote oriental, l’enlever au sérail comme dans Mozart, mais l’inverse. Ici c’est la femme qui, usant des armes du charme et de son intelligence (elle dépasse celle de tous les personnages masculins), vient arracher son amoureux et passif Lindoro à l’esclavage et au mariage que lui impose le Bey capricieux Mustafa, lassé de sa propre femme Elvira (une Espagnole enlevée ?) et de son harem. Mais la belle Isabelle vient aussi escortée d’un amant, qui montre que, pendant l’absence de l’aimé captif, elle n’est pas restée sans ressources. L’héroïne, réussit aussi le tour de réconcilier Mustafa et sa femme, et de délivrer les esclaves italiens, entonnant un insolite chant patriotique.

Cet air final héroïque d’Isabella , « Pensa a la patria », ‘Pense à la patrie’, serait dû à l’influence de Napoléon selon Stendhal, ce qui peut étonner, puisque ce fut Bonaparte qui mit fin en 1797 à la République de Venise où fut créée cette Italienne… Cette aria fut  refusée par la censure à Naples devint “Pensa alla sposa…”, ‘Pense à ta femme’ ! Pendant le premier chœur, une citation de La Marseillaise à la flûte et aux violons, fut aussi censurée à Naples.

         La musique joue habilement des stéréotypes de la turquerie. On connaît Le Bourgeois Gentilhomme (1670) de Molière et Lully et sa farce turque finale du Mamamouchi. La lignée est longue qui passe  par Rameau (L’Egyptienne, 1731, Les Indes Galantes, 1735), par Gluck et ses Pèlerins de La Mecque (1764), Mozart et sa « Marche turque » (1778), Beethoven plus tard. Les oppositions mineur/majeur, les effets de percussion sont une stylisation musicale que l’on retrouve dans Die Entführung aus dem Serail ‘L’Enlèvement au sérail’ (1782) qui use d’instruments typés comme turcs (piccolo, timbales, triangle, cymbales, grosse caisse) et Osmin a quelques mélismes orientalisants. On peut citer encore Il Serraglio di Osmano (1784) de Gazzaniga, et Gl’intrighi del serraglio (1795) de Paër, Le Calife de Bagdad, de Boïeldieu (1800)et toute la famille des bouffes napolitains qui, comme les Autrichiens par le continent, aux premières loges face aux côtes encore turques de la Grèce et de l’Adriatique. Rossini use joyeusement de ce bagage légué par le folklore de la parodie turque dans une Venise qui a toujours côtoyé, rudoyé l’empire ottoman. Et pactisé avec lui.

 

Réalisation

         On connaissait cette production (à la distribution près), donnée à Marseille en décembre 2012. Elle n’a pas pris une ride, sinon de rire et s’est même bonifiée. Les décors astucieux de Rifail Ajdarpasic, cette boîte à malice tournante, avec plus d’un tour dans son sac, devenant tour à tour, harem, hammam, palais à moucharabiehs avec trophées africains de chasse, cuisine, terrasse d’hôtel oriental de luxe, avaient paru d’un technicolor hollywoodien trop criard, toc et mastoc, plastoc : miracle ou mirage oriental de lumières mieux adaptées de Luca Antolini, l’effet d’estompe, plus sombre, des couleurs assagies (ou repeintes) mettent davantage en valeur les beaux costumes dans le goût années 30 de Nicola Berloffa qui signe aussi la mise en scène, avec des réminiscences en contre emploi d’uniformes de la légion (coloniale) au service des corsaires et soldats pas encore colonisés. Cet apaisement des tons de mille et une nuits en carton-pâte délibéré me semble rendre plus étonnante, détonante, trépidante la folie qui règne sur scène.

Stendhal dira de cette Italienne à Alger, qu’elle est la perfection du genre bouffe, « une folie organisée et complète » : on peut l’appliquer à cette mise en scène qui organise minutieusement un désordre et une folie dont on s’épuiserait à dire, sans les épuiser, les trouvailles, les gags qui arrivent en rafale, sans temps mort, dans le tempo, dans la musique, avec le prodige que le plus farfelu acquiert un naturel bouffe irrésistible. À partir de cette grande malle débarquée par les mâles soldats, dès qu’Isabella débarque, tel un diable, une belle diablesse, non une poupée sortant de sa caisse —ou Pandora, ou Cléopâtre de son tapis— après sa lamentation  Cruda sorte ! Amor tiranno, dès la strette de la cavatine, ça décolle, àa carambole, ça craque, se détraque, sauf l’esprit de cette femme de tête qui va mener le jeu. Chaque air de chaque interprète est traité parfaitement en vrai travail d’acteurs ; les chœurs superbement préparés (Aurore Marchand), si nombreux, sont tout aussi intégrés au jeu trépidant et les ensembles, si délicats dans leur frénésie rythmique, et syllabique pour le plus fameux, sont incroyablement mobiles : un désordre ordonné au millimètre, une réussite.

 

Interprétation

Dès la fameuse ouverture, ces sortes de pas de loup feutrés qu’on croirait d’une anticipation de malicieuse musique de dessin animé, ponctués fermement, à peine interrompus par la ligne voluptueuse de la clarinette, avant que le crescendo, l’accélération vive, nerveuse, rieuse, qui deviendra l’un des traits typiques de Monsieur « vaccarmini », ne s’empare en fièvre grandissante de l’orchestre, course, cavalcade, galop effréné, on sent que le chef Roberto Rizzi-Brignoli tient sa baguette comme une cravache ni vache ni rêche, chevauche en maître cette musique menée à un train d’enfer : sans temps mort, mais tendre dans les airs amoureux et voluptueux, enjoué, vif, le tempo est d’une vitalité exaltante, électrique, dynamique. Sur un nappage de cordes transparentes, il pointe les piccolos pépiants, flûtes futées, affûtées, tout l’humour piquant de Rossini, avec une netteté de dessin, ciselé, et le sens de la dynamique pétaradant, trépidant, tout est là dans sa légèreté juvénile, vivifiante. C’est un bouffe élégant qui n’élague rien de la bouffonnerie.

Les chanteurs se coulent, sans couler, dans ce rythme haletant sans failles, sans défaillances, du premier au dernier. En Haly haletant persécuté par le maître, Giulio Mastrototaro, baryton, détaille avec raffinement la morale de l’histoire, musique de l’assistant. En barbon barbu berné, imbu d’Isabelle, le baryton Armando Noguera est unTaddeo au superbe timbre, voix large, agile, et jeu d’une grande drôlerie. La basse 
Donato di Stefano est un Mustafa infatué, inénarrable dans le jeu et le chant : il se tire avec aisance des diaboliques staccatos volubiles et virtuoses du rôle ; sans esbroufe, il s’ébroue dans les trilles, grimace dans le son sans préjudice de la musique. Il est le tyran content de l’être, redoutable et ingénu. En Lindoro, le ténor Julien Dran justifie l’estime qu’on lui portait déjà depuis le temps du CNIPAL, il a la grâce rossinienne dans la voix, l’agilité, et malgré le trac du premier air, « Languir per una bella », le moelleux dans les aigus et le charme dans la souplesse du jeu.

Malgré le rôle trop bref de Zulma, la mezzo Amaya Domínguez laisse percevoir la beauté d’un timbre prometteur. Quant à la soprano Clémence Tilquin, elle est une belle Elvira au prénom prédestiné à l’abandon d’un Don Giovanni que n’est pas son époux à toutes mains d’un sérail fourni, digne d’un meilleur sort, exaspérée, désespérée touchante même dans son hystérie de femme soumise au caprice de l’homme : sous le voile bouffe, le drame. La ruse étant l’arme des faibles, Isabella sera une justicière des femmes en payant l’homme de sa pièce : elle est campée, pimpante, piquante, coquine, taquine, câline, sensuelle, à croquer, à craquer, par la contralto Silvia Tro Santafé, voix voluptueuse de velours, ronde, profonde, charnue, égale sur tous ses registres, aux aigus éclatants. Les vocalises les plus acrobatiques de Rossini, elle donne perlées, détachées par le staccato, avec une précision et une musicalité admirables : un bonheur.

Bref, dynamique, tonique, vitaminée, euphorisante, en ces temps de morosité générale, cette Italiana devrait être remboursée par la Sécurité Sociale. Benito Pelegrin

 

2 et 4 février 2014

Orchestre Régional Avignon-Provence
Chœur de l’Opéra Grand Avignon, Direction musicale : Roberto Rizzi-Brignoli
 ; direction des Chœur : Aurore Marchand.

Etudes musicales / continuo : Mathieu Pordoy
.

Mise en scène / costumes : Nicola Berloffa
 ; 
décors : Rifail Ajdarpasic
 ; lumières : Luca Antolini.
Distribution :

Isabella : Silvia Tro Santafé; Elvira : Clémence Tilquin ;
 Zulma : Amaya Dominguez
 ; 
Lindoro : Julien Dran ; 
Mustafa : Donato di Stefano
 ; Taddeo : Armando Noguera ; 
Haly : Giulio Mastrototaro.

 

Photos : Cédric Delestrade ACM-STUDIO

 

 

 

Rmt News Int • 17 février 2014


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