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Chronique CD: Requiem K. 626, Clarinet Concerto K. 622

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par le Chœur de Chambre de Namur et le New Century Baroque Orchestra, sous la direction de Leonardo García Alarcón, label Ambronay,

 

Un Requiem est une « messe des morts », une prière de l’église pour le repos de l’âme des morts. Elle chante donc le deuil ici-bas de ceux qui restent mais qui espèrent là-haut, ailleurs, la paix pour ceux qui s’en vont, qui meurent. Ambiguïté fondamentale : ombre et lumière, deuil et larmes et espoir ; perte et résurrection.

 

Genèse de l’œuvre : légende et réalités

Celui que Mozart commence et n’achève pas, interrompu par sa propre mort à la fin de l’année 1791, a frappé romantiquement et romanesquement les esprits par cette circonstance : comme si le compositeur avait pressenti sa propre mort, et chanté ses propres funérailles, chant interrompu par sa disparition prématurée. Des légendes se sont formées, fondées sur les conditions qui présidèrent à l’éclosion de cette œuvre.

Durant son dernier été, par un étrange émissaire, un homme mystérieux de noir vêtu, dit-on, Mozart reçoit la commande d’un Requiem que le comte Walsegg-Stuppach (1763-1827), mélomane et franc-maçon, désirait faire exécuter à la mémoire de son épouse, morte en février. Mozart traîne à l’exécution comme saisi, rêve-t-on aussi poétiquement, d’un pressentiment que la conclusion de cette messe des morts serait aussi le point final de sa vie : après quelques ébauches, il n’y revient qu’à la mi-septembre, mais jamais de façon continue, comme le fil pointillé d’une vie qui s’achève ; il s’y penche encore le 20 novembre, interrompu par la maladie qui l’emporte le 5 décembre, laissant donc son Requiem très inachevé.

Voilà donc la partie romanesque, certes émouvante, sur la genèse d’une œuvre finale inachevée, tronquée comme la vie de ce génie né en 1756 et mort en 1791, à 35 ans. Or, si Mozart, après deux années noires en 1789 et 1790, est emporté par une maladie foudroyante à la fin de 1791, cette ombre que nous projetons rétrospectivement sur son ultime année de vie, est loin d’être marquée par la maladie, la mort, elle rayonne au contraire de vitalité, de créativité : pour son ami virtuose Anton Stadler il a écrit le lumineux Concerto pour clarinette de basset. Il a reçu deux commandes très importantes qu’il mène de front dans l’urgence, celle d’un opéra seria pour célébrer le couronnement de l’empereur Léopold II comme roi de Bohème, La Clemenza di Tito (KV 621, crée le 6 septembre 1791 à Prague), au succès très mitigé, et celle de Die Zauberflöte, ‘La Flûte enchantée’ (KV 620, 30 septembre 1791), qui sera un succès éclatant. Il a par ailleurs composé une cantate maçonnique, son véritable point final de son œuvre (Laut verkünde unsre Freude KV 623, 15 novembre 1791).

Mais il meurt et laisse son Requiem inachevé. Pour n’être pas contrainte de rembourser l’argent avancé pour la commande, sa femme Constance fait appel à divers élèves de Mozart pour l’achever à partir des morceaux déjà composés par son mari, confiant l’essentiel à Franz Xaver Süssmayr, que le compositeur avait lui-même employé comme collaborateur pour sa Clémence de Titus écrite dans la hâte.

En sorte que, à l’exception del’Incipit et du Kyrie, totalement de la main de Mozart, Süssmayr a complété le reste à partir des ébauches du maître. Ainsi ce que l’on entend en général sous le nom de Requiem de Mozart, n’est de lui qu’en partie, complété par son élève (Sanctus, Benedictus, Agnus Dei) et corrigé par d’autres.

 

Version de Leonardo García Alarcón

Un très beau disque Ambronay, Requiem K. 626, Clarinet Concerto K. 622 par le Chœur de Chambre de Namur et le New Century Baroque Orchestra, sous la direction de 
Leonardo García Alarcón,avec en solistes vocaux Lucy Hall, soprano, Angélique Noldus, mezzo-soprano, Hui Jin, ténor, Josef Wagner, baryton-basse, revient à la vérité historique et mozartienne et nous restitue le Requiem, du moins, ce qu’il en reste d’authentiquement signé de la main de Mozart. En voici un extrait, le Kyrie eleison, ‘Seigneur, aie pitié’  :

 

http://www.musicologie.org/publirem/leonardo_garcia_alarcon_dirige_mozart.html

 

Nous apprécions, dans cette direction d’un chef plié à la musique baroque, la vivacité, la vitalité qu’il donne à cette partition, la libérant de tout pathos, de toute lourdeur romantique. Il en privilégie la lumière, l’espoir, estompant, peut-être à l’excès, les ombres, les voiles funèbres du deuil. Mais on est emporté, parfois transporté par la fougue et l’éclat que sa direction dynamique mais précise donne au New Century Baroque Orchestradont il exalte les couleurs, et les effets dramatiques, au sens théâtral sinon sépulcral du terme, qu’il tire du Chœur de Chambre de Namur et des solistes, très engagés, très vivants : théâtre de la vie et non rideau final de la mort.

« Qui voudrait ajouter des bras à la Vénus de Milo ? », proclame le chef argentin Alarcón pour justifier son option d’enregistrement sans les ajouts des élèves de Mozart, mais pourquoi pas si on les retrouvait ? On pourrait cependant le chicaner et le prendre à son propre jeu : certes, il élague les végétations, les excroissances, mêmes belles, dont la bonne volonté de Süssmayr, qui n’est pas sans mérites, a complété l’œuvre tronquée du maître. Mais lui-même, de son propre aveu, s’autorise toutes les libertés puisqu’il s’arroge le droit de compléter quelques parties instrumentales que Mozart a laissé inachevées comme celles des trombones dans le « Domine, Jesu Christe » et dans les trompettes du « Dies Irae », ‘jour de colère’ du Jugement dernier. Mais cela est fait avec beaucoup de sûreté musicologique et, au-delà de ces « bras » instrumentaux collés, contradictoirement à son propos, à l’œuvre mutilée ou inachevée, il y a une vérité artistique du résultat.
 Et, finalement, ce n’est pas la théorie, c’est le résultat qui compte et justifie l’entreprise et l’on peut l’applaudir sans réserves pour la volupté de l’audition.

Le Requiem étant forcément réduit, amputé de ses habituels éléments allogènes, ce disque est magnifiquement complété par le célèbre Concerto (K. 622)dit pour clarinette destiné et dédié à son ami Anton Stadler en cette même année de 1791. En réalité, il s’agissait d’une clarinette de basset, instrument baroque aujourd’hui disparu, mais, pour ce disque, Benjamin Dietjens le joue sur une clarinette de basset réalisée spécialement pour l’enregistrement d’après une gravure de l’instrument de Stadler lui-même.

Si ce Requiem semple plus chanter la vie que déplorer la mort, la grâce mélancolique de ce concerto, même dans sa joie, semble parfois un certain sourire mouillé de larmes. On invite à écouter et son deuxième mouvement, un merveilleux adagio, doré, mordoré, automnal, rêveur. BP

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Rmt News Int • 2 juillet 2014


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