Les caprices de Marianne de Henri Sauguet en tournée!
LES CAPRICES DE MARIANNE
D’HENRY SAUGUET,
Livret de Jean-Pierre Grédy
D’après la pièce d’Alfred de Musset
Opéra de Marseille, 31 janvier 2015
EN TOURNEE en FRANCE !
Heureux caprice de quinze maisons d’opéra…
Le Centre Français de Promotion Lyrique (CFPL), présidé par Raymond Duffaut, a pour belle mission la promotion et l’insertion professionnelle de jeunes chanteurs. En 2008 déjà, Il Viaggio a Reims de Rossini avait réuni dans ce but seize maisons d’opéra avec succès. Voici que l’on renouvelle cette opération avec un autre ouvrage : Les Caprices de Marianne d’Henri Sauguet, créé en 1954 au Festival d’Aix-en-Provence. Après l’heureuse surprise su sauvetage de La Chartreuse de Parme à Marseille en 2012 du même compositeur, après Reims, Metz et Massy, ce spectacle arrivait à Marseille avant de poursuivre son destin sur quinze scènes lyriques, pas moins de quarante représentations sur deux saisons. Quand on sait la dramatique brièveté des représentations d’opéra et la difficulté des tournées, on peut tenir à miracle cette chance offerte à ce nombre important de jeunes chanteurs puisque par ailleurs, deux distributions alternent dans pratiquement tous les rôles. On ne parlera ici que de la seule vue.
LA PIÈCE
Dans une Naples imaginaire du XVIe siècle, Cœlio, aime éperdument, en vain, la belle Marianne, déjà mariée à l’implacable et austère juge Claudio. Il requiert l’aide de son ami, le joyeux viveur Octave, cousin du mari, pour plaider sa cause auprès de l’insensible Marianne. Insensiblement, entreprise de provocante façon par Octave, Marianne, de réplique en riposte, entre avec lui dans un jeu verbal où l’amour ne tient plus du hasard mais, apparemment, de deux esprits qui se répondent, correspondent. Cependant, l’impertinence d’Octave exaspère la jalousie de Claudio, exaltée par les propos fielleux de Tibia : ils ourdissent l’assassinat de l’imprudent importun. Piquée de se voir accusée à tort, menacée du couvent par son époux, Marianne décide de s’offrir à Octave et lui fixe un rendez-vous nocturne, lui donnant pour gage chevaleresque, son écharpe. Octave la donne à Cœlio, l’envoie à sa place et c’est lui, qui se croit trahi par son ami, que le spadassin de Claudio tuera. Tandis que Marianne, soulagée de savoir Octave vivant, se jette dans ses bras, celui-ci la repousse brutalement : « Je ne vous aime pas. C’est Cœlio qui vous aimait. »
ADAPTATION
Tirades et récits
Il y a, dans l’adaptation de Grédy, qui suit la trame facile de la pièce, quelques trouvailles heureuses, comme, en fin de scènes, pour les clore, des reprises de phrases de début, donnant une cohérence à l’ensemble. Cependant, la pièce n’étant pas d’abord destinée à la scène mais à la lecture (parue dans La Revue des deux mondes en 1833), à part quelques scènes aux répliques courtes et vives qui sont bien conservées (entre Claudio et Tibia, entre Claudio et Octave), la plupart, sans être des « tunnels », sont de véritables tirades très longues en prose, ce qui oblige le librettiste à des coupures plus ou moins heureuses. Sans pour autant alléger la lourdeur de récitatifs que la musique, syllabique, souligne en les respectant scrupuleusement, mais sans éviter une lente uniformité à peine égayée par une belle sérénade, l’air à saveur napolitaine du cabaretier et les arias ou ariosos dévolus à l’héroïne. La musique privilégie le statique sur le dynamique, la stase et non la kinésis, le mouvement, perd l’aspect parfois bondissant du texte.
Une Marianne édulcorée
Ainsi, soliloque absent de la pièce, l’air solo de Marianne, plein de charme, de vocalises aériennes, fige l’action : la jeune épouse, comme la vierge Lakmé, semble en attente d’un amour, virginal terrain sur lequel il n’y a qu’à semer la graine, alors même qu’Octave, à peine connu quelques minutes auparavant, n’a presque rien tenté, n’a pas attenté à sa fidélité d’épouse. C’est réussi lyriquement mais c’est une maladresse dramatique et psychologique regrettable par rapport au texte de Musset et à la force, à la violence même du personnage : dans la pièce, Marianne, par défi verbal, entre dans le jeu provocant d’Octave, oppose sa révolte de femme et son ironie amère à l’arrogance masculine ; de la joute verbale (le texte réfère explicitement aux joutes) elle passera insensiblement au jeu amoureux. Dans l’opéra, tout son plaidoyer féministe de la scène 4 est gommé et sa résolution de recevoir le libertin n’est qu’un mécanique dépit contre son mari et non le lent emmêlement d’oiseau imprudemment bavard dans la glu rhétorique du séducteur : la prude apparente s’y révélait une égale dans le maniement de la langue, instrument de la captation amoureuse et le duel devenait duo où claquaient les répliques insolentes, percutantes, de la fille lucide sur le sort des femmes : « Qu’est-ce après tout qu’une femme ? »
Ce personnage, d’abord farouche puis effronté, devenu conscient du pouvoir moins de ses charmes que de la parole comme arme, perd ici sa trempe, est ainsi affadi, réduit à la convention de la fille rêveuse vaguement et rapidement amoureuse. D’un personnage fort, l’opéra ne fait qu’une faible femme de convention, une coquette à cocottes qui badine, une capricieuse charmante mais sans arrière-fond : le fort devient léger, le beau tombe dans le joli, et la tessiture choisie pour l’héroïne (destinée au départ à Lily Pons suraiguë) enrubanne de rose mignardise la voix de cette sœur révoltée de Rosine : autre oiseau farouchement déterminé à s’échapper de sa cage.
RÉALISATION ET INTERPRÉTATION
Signé Patricia Rudel, le décor représente la Galleria Umberto Ier de Naples, stylisée, dans une impressionnante perspective en déséquilibre où le dôme central en verre sur monture d’acier, dans l’esthétique de l’architecture industrielle de la fin du XIXe siècle, figure une sorte de toile d’araignée où vont s’engluer les héros. C’est une magnifique et très efficace scénographie unique, lieu de rencontre, place, taverne, appartement, fontaine à la fois baignoire, puits, table, alvéoles d’ombre inquiétante où les corps paraissent ou disparaissent avec les superbes éclairages dramatiques, adaptés et ensanglantés aux moments de l’action, d’Etienne Boucher. Mais son esthétique expressionniste jure avec l’expression des plus classiques d’un texte plus tourné vers la langue du XVIIIe siècle que vers le pathos romantique de son temps. Les costumes (Laurence Mongeau) sont également beaux, dont cette robe de Marianne, escortée d’une rigoureuse duègne alcoolo (inénarrable Julien Dréan), de bure franciscaine pour cette assidue de la messe, mais dont la corolle inversée peut déjà suggérer le renversement de valeurs.
Dans ce cadre, la mise en scène d’Oriol Thomas joue sur du velours et le tissu ductile de tous ces jeunes chanteurs déjà pliés à l’action dramatique, au théâtre, tous bien dirigés et dignes d’éloge. Tous les rôles sont parfaitement distribués et assurés : Tiago Matos, est un chanteur de sérénade propre à faire chavirer des cœurs, ce que pourrait lui contester Jean-Christophe Born, ténor ensoleillé qui ravit par sa chanson napolitaine. Avec le talent qu’on lui connaît, autre ténor, Raphaël Brémard, est un Tibia pervers et sadique, traître de film muet mais bien chantant, exécuteur –inspirateur— des basses œuvres d’un Claudio, juge partial et cynique, la basse Thomas Dear, mari jaloux et vindicatif. Sarah Laulan, est une Hermia touchante dans sa confidence et la rondeur nocturne de ses graves semble envelopper de tendresse son fils Cœlio, le ténor François Rougier, l’amoureux romantique voix tendre et désespérée de victime d’avance promise au sacrifice par la mauvaise étoile de son amour.
Au milieu, le couple clé, Octave et Marianne, Octave le libertin tourné vers le XVIIIe siècle de la débauche élégante et Marianne, dans son siècle par le renouveau du puritanisme romantique, mais tout aussi sensiblement issue de l’autre époque par son esprit vif et piquant et tentée par la liberté libertine. Lui, dans cette œuvre supposée à Naples et abondante en ténors, c’est le baryton Philippe-Nicolas Martin, qui fit un temps ses armes au CNIPAL bien qu’amorçant déjà une belle carrière, a l’aisance désinvolte et insolente du rôle, voix égale, bien conduite, franche dans ses ripostes à Claudio, impertinente mais veloutée de séduction envers Marianne. Elle, c’est Zuzana Marková, diction parfaite du français pour une tchèque, gracieuse, flexible, adorable : c’est un gazouillis, un roucoulement d’une voix où les notes les plus hautes, les plus douces, les plus légères ont leur nid. Elle sert merveilleusement bien le personnage de l’opéra tel qu’il est, très léger, trop léger, même si l’on regrette tout ce qu’il aurait dû être.
À une première et seule écoute de cette œuvre, si Marianne exprime clairement qu’elle aime Octave, interprète de l’amour de Cœlio qui est tué à sa place, on n’a pas le sentiment, qu’il est également tombé amoureux de la belle. Ainsi, sa fameuse réplique cinglante en la repoussant, « Je ne vous aime pas. C’est Coelio qui vous aimait», semble sonner plus comme une vérité, qui resituerait Octave dans le froid libertinage XVIIIe siècle plus que dans le romantique renoncement à l’objet aimé par amour et fidélité à l’ami perdu.
À la tête de l’Orchestre Philharmonique de Marseille, le chef Claude Schnitzler dirige en sympathie cette jeune troupe déjà aguerrie et polit en demi-teintes délicates une partition à la mélancolique couleur.
On saluera ci-dessous toute une équipe nombreuse, même de l’ombre, qui participe à la réussite de ce spectacle appelé à tourner. B.P.
Les Caprices de Marianne d’Henri Sauguet
Opéra de Marseille,
29, 30, 31 janvier, 1 février 2015
Orchestre Philharmonique de Marseille
Direction musicale : Claude SCHNITZLER. Assistante à la direction musicale : Gwennolé RUFET. Responsable des études musicales Mathieu PORDOY Chef de chant Nino PAVLENICHVILI.
Mise en scène : Oriol TOMAS. Assistante à la mise en scène : Émilie MARTEL. Décors : Patricia RUEL. Costumes : Laurence MONGEAU. Assistante costumes : Corinne CROUSAUD. Lumières : Étienne BOUCHER. Assistante lumières : Julie BASSE : Directeur technique : Étienne COLIN Régisseur général : Aurélie VALLE.
Distribution :
Marianne : Zuzana MARKOVÁ ; Hermia : Sarah LAULAN ; Octave :
Philippe-Nicolas MARTIN ; Cœlio : François ROUGIER ; Claudio : Thomas DEAR ; Tibia : Raphaël BREMARD ; L’Aubergiste : Jean-Christophe BORN ; le chanteur de sérénade : Tiago MATOS ; la duègne : Julien BRÉAN
Photos Christian Dresse :
2. Cœlio et Octave ;
3. Octave et Marianne ;
4. MG Marianne , la duègne, Octave;
4. Mn : Tibia,Marianne, Claudio.
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