Belle rencontre inattendue avec une jeune artiste chinoise à l’occasion d’Art-O-Rama
Vendredi 28 août à 15 heures, s’ouvrait la grande foire d’art contemporain, Art-O-Rama, à la cartonnerie, au cœur de la Friche Belle de Mai : ce salon propose un panorama de l’art contemporain dans toute sa diversité, et y exposent de nombreuses galeries, essentiellement berlinoises et bruxelloises, mais aussi coréennes, ainsi que quatre artistes spécialement invités à présenter leur dernière création dans l’espace Show Room dédié à la promotion de jeunes artistes issus des Écoles d’Art de la Région. Parmi ces artistes invités – Elsa Philippe, Lorraine Châteaux, Rafaela Lopez-, nous avons rencontré Qing Mei Yao, dont le travail artistique critique frontalement la société capitaliste, non sans humour.
QingMei Yao, une artiste à découvrir d’urgence !
La jeune femme, originaire de la province chinoise du Zhejiang, située au sud-est et dont sont originaires de nombreuses familles chinoises immigrées en France, région coincée entre le Jiangsu, où se trouve Shanghai et le Fujian, faisant face à l’ile de Taiwan, habite en France depuis bientôt huit ans. Diplômée de Villa Arson, à Nice, en 2013, elle a été lauréate du Prix Spécial du Jury du 59ème Salon de Montrouge l’an passé, puis a été sélectionnée pour participer à la Biennale de la Jeune Création Contemporaine, et a exposé au Palais De Tokyo à Paris en janvier 2015. Elle habite actuellement à Paris, y effectuant une résidence d’artiste.
A 33 ans, la jeune artiste n’en est pas à son coup d’essai et il est certain qu’elle sait ce qu’elle veut : ses réalisations artistiques prouvent la maturité de son art et la détermination d’une femme qui se plaît à « faire grincer les dents des élites avec ses créations » ; ce dont elle ne se cache pas. Au-delà de l’aspect provocateur que peut avoir sa démarche, et même si elle ne se dit pas engagée politiquement, l’artiste propose des œuvres, mêlant vidéo et performance théâtrale, dénonçant la société capitaliste, plus précisément l’hyper-consumérisme (pour exemple, son geste artistique « sculpter un billet de 100€ » pour dénoncer la tendance pathologique à la consommation de la société capitaliste ou celui de chanter à Monaco, le « troisième couplet de l’Internationale en solo » sur la place du casino de la principauté, arrêtée dans son acte artistique par l’intervention de deux policiers).
Certes, son origine chinoise n’est pas étrangère à l’ancrage ferme de la pensée anticapitaliste au cœur de son activité artistique, même si aujourd’hui, l’idéologie communiste se perd avec l’avènement du capitalisme dans ce pays, profondément marqué l’élargissement croissant du fossé entre riches et pauvres. Son exploration artistique du monde prend naissance dans des petites choses du quotidien, qui l’amènent, telle un Don Quichotte des temps modernes, à interroger le monde et ses problématiques sociétales complexes, notamment la circulation des richesses. Idéaliste, la jeune femme propose une œuvre accessible à tous, loin de l’élitisme prôné par certains mentors de la création contemporaine.
Un projet fou profondément humain et une plongée dans le théâtre du réel
Son dernier projet, un peu dément, s’intitule « Recrute mendiant/SDF pour une foire d’art contemporain ». A première lecture, le titre intrigue et la thématique nous questionne sur la présence d’un SDF à un salon où l’élite est partout présente, où le mendiant n’a pas sa place et y est encore moins convié ! Vous l’aurez compris, son action artistique parle des exclus de la société. Vous l’avez peut-être croisée, cet été, début août, sur la Canebière ou au Vieux Port, avec son écriteau « Recrute mendiant/SDF pour une foire d’art contemporain /CDD de trois jours ». La vidéo de sa recherche d’un mendiant-employé pour ce poste de comédien rémunéré (il devra y jouer son propre rôle) a été montée et sous-titrée, pour être exposée dans le cadre de la foire. Nous y découvrons la jeune femme artiste-employeur qui, avec respect (lorsque les SDF refusaient d’être filmés, la caméra s’arrêtait), mène ses pérégrinations artistiques dans les rues de notre ville, devenues son bureau de recrutement mobile.
Elle a été inspirée par son quotidien : l’idée de mettre en scène un mendiant dans son propre rôle à l’occasion d’un salon VIP autour de l’art lui est venue lorsqu’elle faisait le trajet entre chez elle et son lieu de résidence artistique à Paris. Elle y croisait beaucoup de mendiants et SDF, de musiciens de rue, avec leur petit gobelet posé à terre pour y recueillir quelques subsides pour manger, nous explique-t-elle en toute simplicité. Cette situation qu’elle a vu s’aggraver l’a questionnée et elle s’est mise à réfléchir à mettre en scène cette réalité, amenée ainsi sur place à s’interroger sur la différence et l’amalgame fait entre « un mendiant qui ne fait que tendre la main et le musicien qui se refuse à se dire mendiant parce qu’il ne fait pas que tendre la main, il joue des compositions pour gagner quatre sous » pour reprendre les paroles d’une des personnes filmée dans sa vidéo-document (il ne s’agit pas d’un documentaire à proprement parlé).
Avec acuité, elle nous interroge alors sur la société actuelle, sur nous-mêmes : cette indifférence dans notre regard, ce jugement que nous portons parfois malgré nous sur les SDF, cette condescendance dont nous les affublons aussi, et surtout, cette non-acceptation d’un mode de vie à l’opposé du nôtre. Ici, par son acte et son action, elle réussit le pari de poser un œil humaniste, voire bienveillant, dénué de tout jugement ou complaisance, sur ces êtres humains vivant à la marge de la société. Ce très beau geste, humain avant tout, n’avait pas pour but de fouiller dans l’histoire de ces personnes. Il ne s’agissait pas savoir ce qui avait pu les amener à faire la manche, nous précise-t-elle. Cependant, au fil du visionnage, avec pudeur, se dévoilent quelques moments de vie de ces êtres à l’occasion de leur rencontre avec une artiste.
Une idée insolite et un acte artistique courageux
Ce qui sous-tend ce projet décalé est cet espoir de questionner l’élite, la déranger, la perturber dans un lieu où seules les personnalités du monde de l’art, les riches VIP et aspirants artistes, et tous ceux qui appartiennent (ou prétendent à) appartenir à l’élite culturelle de la société, se rendent, en les mettant face à un clochard, en dehors de son contexte ordinaire, « là où ils ne s’y attendraient pas ». Il fallait ici de l’audace, du courage et de la ténacité pour le mettre en œuvre ! Car ce n’était qu’un commencement…
En effet, pour participer à cette création, il fallait que les mendiants disposent d’un numéro de sécurité sociale (nécessaire à l’établissement d’un contrat CDD). Parmi ceux qui en possédaient un, un certain nombre a refusé tout de go de participer à l’acte artistique pour lequel elle les sollicitait, et ce même en étant payé 230 € pour 24 heures de travail (ce qui peut nous interroger sur ce qui motive leur adoption d’un mode de vie marginal mais aussi sur la valeur travail si chère à notre société).
La jeune artiste, qui en a beaucoup appris sur le mode de vie et le choix et/ou non choix d’être un vagabond, n’a eu que quatre réponses positives sur la trentaine de personnes rencontrées ! Parmi eux, Mohamed, en photo avec l’artiste, qui nous a, à l’occasion du salon, raconté son histoire ubuesque (né en France de parents immigrés, mais marié à l’étranger, revenu en France, il attend depuis 15 ans que la préfecture statue sur sa demande de papier): il s’est ainsi prêté au jeu, armé de sa petite timbale dans laquelle le visiteur peut y jeter quelques euros.
Bien entendu, il est interdit de boire de l’alcool pendant la performance et il est nécessaire de se présenter propre sur soi ; ce qui n’a posé aucun problème notre ami comédien d’un week-end. Il ici s’agit d’œuvres coup de poings dont on aimerait en voir plus souvent ! En effet, avec authenticité, sincérité, sans langue de bois ou faux semblant quand elle nous parle de son travail, l’artiste chinoise aux idéaux révolutionnaires sonde avec ses propres armes ce monde enlisé dans le capitalisme, essayant d’en faire bouger les lignes.
Un grand bravo pour la démarche ! Souhaitons-lui d’être la lauréate de ce salon. Elle le mérite pour le travail artistique engagé qu’elle offre à découvrir, qui prouve qu’il existe encore des personnes réellement investies dans le combat pour un monde meilleur. DVDM
ART-O-RAMA, Marseille
Salon international d’art contemporain 28, 29 & 30 août 2015
(Exposition visible jusqu’au 13 septembre de 15h à 20h)
Entrée : 3 €/ Lieu : la cartonnerie, friche belle de mai, 41 rue jobin, 13003 marseille
(c) photos: Diane Vandermolina
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