Fin de randonnée théâtrale toute en poésie (5)
Ce moment de grâce passé, il est temps de se restaurer avant de terminer notre bref périple avignonnais par un spectacle où poésie et musique sont à l’honneur. C’est à la maison de la poésie, le Centre Européen de la Poésie d’Avignon, à côté de l’Utopia, ce vieux cinéma qui propose souvent des cycles de projections et rétrospectives sur des réalisateurs de talent….
Une histoire de plume
Il est 16h15 ! Nous allons voir une création autour de l’œuvre de Raymond Queneau…
Le titre, fort bien trouvé, « Queneau, Que si… », en dit déjà long sur la création de la compagnie normande, le Théâtre Ephéméride, que nous n’avions pas revu depuis plus d’une vingtaine d’années, à l’époque où le fondateur et comédien, Patrick Verschueren, interprétait des personnages d’essence plutôt brechtienne. Qu’elle fut donc notre surprise que de le croiser, tractant avec sa simplicité naturelle et sa gentillesse bonhomme, devant un théâtre rue des Teinturiers ! Et que de découvrir le changement de cap ou plutôt d’orientation de son travail artistique avec ce récital poétique de poche autour de Queneau. Promesse oblige, nous voilà cheminant à la redécouverte (et retrouvailles) de cet artiste, accompagné pour le coup d’une musicienne, Evelyne Boulbar, dans sa vie de poème !
La création entremêle ici habilement poèmes et chansons du poète : surgit aux portes du ventre d’un hôtel un homme d’âge mur, la cinquantaine, qui vient y chercher un peu de calme pour écrire… Vêtu d’un grand imperméable, un chapeau vissé sur la tête, le regard empreint de tristesse qui s’illumine soudain, au détour d’un mot, ce grand homme dégingandé à la démarche rigide d’un clown se souvient de son enfance, des instants marquants de son adolescence avec son père, de ses rêves délaissés, ambitions passées égrenées au fil de ses paroles. Il nous plonge en apnée dans son univers fantaisiste et surréaliste, où les mots prennent corps. Des lettres sont par ailleurs disposées sur la table improvisée de l’auteur ; une table qui, une fois le spectacle achevé, se retransforme en valise (ingénieuse idée). Le spectateur est transporté vers un monde étrange dans lequel la poésie interroge avec ironie le monde, la vie et la mort, la jeunesse et la vieillesse, les regrets ; où les mathématiques et la littérature sont réunies avec malice. L’acteur nous balade ainsi au grès de jeux de mots savants –et parfois quelque peu complexes pour le profane– tant le jongleur de mot qu’est Queneau se délecte à nous perdre dans le labyrinthe de ses pensées, passant du coq à l’âne par une simple pirouette verbale ou chantée…
Car, en effet, ce spectacle intègre de nombreuses chansons du même auteur, citons la chanson d’Amanda ou Saint Ouen blues, joliment interprétées par le comédien : ce dernier, à la diction quasi parfaite et à l’interprétation d’une justesse incroyable, toute en nuance, est aussi très bon chanteur, modulant sa voix et son jeu avec aisance ! A noter le subtil et délicat passage où le temps d’une chanson (Si tu t’imagines), il se transforme sans vulgarité ni trivialité mais en toute simplicité et naturalité en travesti avec son boa autour du cou, habillé d’une longue robe noire, sous un éclairage rougeoyant rappelant les bars où se produisaient les transformistes. Il est accompagné avec bonheur au piano par Evelyne Boulbar, accoutrée à la façon du titi parisien ou de Zazie dans le métro, qui derrière, son comptoir cachant une flopée d’horloges (il avait avalé une pendule), lui donne parfois malaisément la réplique.
Néanmoins, le rythme du spectacle est tel que, malgré la chaleur étouffante régnant dans la salle ce jour-là, l’heure est passée à la vitesse de l’éclair. Entre rires aux éclats, sourires et émotions, le public est ressorti de là enchanté. Enchanté de (re)découvrir un auteur fécond à l’écriture si savoureuse. Enchanté d’avoir assisté à un spectacle de très belle facture où le jeu de l’acteur est sublimé par une simplicité de moyens mis en œuvres. Enchanté aussi de (re)trouver un comédien talentueux qui n’a rien perdu de sa verve et de sa qualité de jeu, notamment en ce qui est de son engagement physique dans l’interprétation d’un personnage que le public voit évoluer et changer sous ses yeux.
Enfin un spectacle rondement mené avec un style de jeu à des années lumières du jeu contemporain où le corps est laissé de côté. Nous aimerions voir un peu plus souvent des petites formes de ce genre dans les théâtres !
(à suivre) DVDM
(c) photos Théâtre Efféméride
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