Folle matinée, avec un début de journée sur les chapeaux de roues ! (4)
Minuit et des poussières. La nuit est tombée depuis longtemps, le sommeil se fait sentir, un petit temps de repos est le bienvenu, sachant que le lendemain, le spectacle auquel nous avons été conviés un peu plus tôt dans la journée est à 12h15, du côté diamétralement opposé de là où nous résidons ! C’est dire qu’il faut se réveiller somme toute assez tôt au regard de notre coucher très tardif…. Et ce n’est pas rien avec cette chaleur accablante…
Italie quand tu nous ravis
Rendez-vous donc avait été pris avec la compagnie montpelliéraine les Têtes de Bois à la Fabrik’Théâtre pour y voir une « énième » version du « Médecin malgré lui » de Molière, revu et corrigé à la sauce italienne !
Cette création masquée s’inspire également d’ « Affreux, sales et méchants » d’Ettore Escola et intègre en son sein deux comédiens d’origine espagnole, une italienne et un français. J’avoue ne pas être très fan de Molière et encore moins du « Médecin », en ayant déjà vu de nombreuses adaptations ratées, faisant quelque peu un blocage sur Jean Baptiste Poquelin dont nos professeurs nous ont rabâchés les oreilles pendant toute notre scolarité, préférant de loin un Shakespeare ou un Marivaux ! Ceci dit, l’idée de voir un « Médecin » en version commedia dell’arte et le discours d’une des comédiennes ont fait pencher la balance en faveur de Monsieur Molière et ont eu raison de mes réticences.
Paradoxalement, ce fut notre coup de cœur du festival ! Cette libre adaptation est signée Medhi Benabdelouhab, également comédien et metteur en scène du spectacle : Medhi a réécrit le texte avec ses mots (mélange de français, italien, espagnol) tout en conservant des passages dans la langue de l’auteur (la déclaration d’amour de Léandre à sa belle), l’ajustant à son univers (les coups d’agrafeuse remplacent les coups de bâton), l’amputant (ou plutôt raccourcissant) quelques scènes certes (notamment en début de pièce mais la trame est toutefois respectée dans son ensemble), afin de n’en garder que la substantifique moelle, tout en restant fidèle aux personnages de Molière, dans une mise en scène très cinématographique qui rappelle à plusieurs égards le cinéma italien des années 70…
Pour couronner le tout, seulement quatre comédiens interprètent tous les rôles de la pièce ; certains masqués (les domestiques, hommes et femme, Géronte, Sganarelle) avec de très réussis masques grotesques de leur propre composition (ici, fort bien tenus par tous les interprètes, avec une mention spéciale pour celui de Sganarelle, plus proche d’un Brighella, personnage plus fourbe, que d’ un Arlequin, dans la catégorie des Zannis), d’autres non (les amoureux et la femme battue) ! Ce mélange de genre et de jeu théâtral fait sens au regard de cette création originale et savoureuse en ce qu’elle se révèle plus aisément, et de manière plutôt percutante, être une satire de notre société quart-mondialiste : au travers de la rencontre de deux familles aux quotidiens et modes de vie contraires, sont dépeints des personnages mus par le besoin de survie et le désir de vengeance.
Nous voici donc chez Sganarelle, ivrogne brutal battant sa femme, fabricant de cagettes en bois (excellemment campé par Medhi qui met en avant son côté lubrique, à l’instar du loup de Tex Avery, de façon réjouissante et avec grande justesse, sans oublier ses nombreuses chutes hilarantes exécutées avec art), auquel sa femme, Martine (incarnée par la pétillante, vive et drôlissime Valeria Emanuele, affublée d’une poitrine protubérante de laquelle jaillit des jets d’eau et dont le jeu rappelle une certaine Gelsomina lorsqu’elle interprète la nourrice de la fille de Géronte) décide de jouer un mauvais tour : elle le fait passer pour un fameux médecin excentrique (seuls des coups de bâtons lui font reconnaître la maitrise de son art) auprès des domestiques de Géronte. Ces derniers étaient partis à la recherche d’un docteur pour en soigner la fille amoureuse du jeune Léandre, subitement atteinte de mutisme depuis l’annonce de son mariage voulu par son père avec le riche Horace.
Ici, le décor, conçu de bric et de broc, figure un intérieur de maison dans un quartier pauvre : la scénographie est composée de plusieurs panneaux, réalisés à partir de cagettes et de vieux tissus, représentant les murs en fond de scène; d’une petite planche amovible surmontant un gros bidon en fer rouillé signifiant l’espace cuisine côté cour; et de palettes de bois faisant office d’estrade, laquelle est surmontée d’une chaise de médecin percée en son fond, préfigurant alternativement l’espace salon et les latrines côté jardin. Avec une belle maitrise du rythme, sans temps mort, alternant situations cocasses aux cadences effrénées (à la façon des dessins animés dans le style Tom et Jerry) et respirations poétiques (pauses bienvenues tant pour le spectateur que le comédien), la mise en scène oscille entre tragique et comique, avec des scènes où la tension dramatique est à son comble (lorsque Sganarelle dont le mensonge a été découvert se voit amené à la potence pour y être pendu après avoir aidé les deux jeunes amoureux à s’enfuir) et scènes d’un burlesque irrésistible (l’arrivée chorégraphiée des deux domestiques de Géronte avec leur démarche inénarrable, les coups de gueule de Martine qui mêle italien et français dans ses insultes à son mari qu’elle sauvera de la mort), voire même des moments romantiques (la scène où Léandre fait la cour à la belle Lucinde avec sa guitare flamenca et ses chansons hispaniques).
Cette farce, dénonçant les travers des hommes et des femmes avec parfois une trivialité certaine, qui n’est pas sans rappeler le théâtre de Dario Fo, ou un quotidien que nous avons pu vivre, est portée par une troupe d’excellents comédiens, qui maîtrisent aussi bien le jeu masqué que non masqué, à noter les très belles compositions de Ana et Pablo Facuno Melillo, deux jeunes artistes très prometteurs, exquis dans les rôles des domestiques mi-hommes/mi- marionnettes de Géronte et fort convaincants dans ceux des amoureux. Cette création aboutie ne laisse pas indifférent : après le rire, vient le temps de la réflexion sur la nature de l’Homme (et ses basses aspirations) ici montrée sans fard, dans toute sa cruauté et nudité.
Ce spectacle, en correspondance avec notre époque et ses enjeux sociétaux, réussit aussi le pari de nous faire redécouvrir Molière, dépoussiéré et remis au goût du jour. Bravo à toute la troupe !
DVDM (à suivre)
(c) photos: compagnie les têtes de bois
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