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Ballets à l’Opéra Grand-Avignon

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Créations

L’amour sorcier de Manuel de Falla

Gershwin blues, musiques de Georges Gerswhin

7 novembre 2015

        Peu de maisons d’opéra peuvent encore se targuer de conserver un corps de ballet et, si elles l’ont, d’offrir deux créations d’un coup à une salle comble, avec un public chaleureux et reconnaissant. Ce fut le cas à Avignon.

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L’amour sorcier

Manuel de Falla (1876-1946) compose en 1915 El amor brujo, dont c’est le centième anniversaire, un ballet-pantomime sur un livret de María de la O Lejárraga, longtemps attribué à tort à son mari Gregorio Martínez Sierra. L’argument narre les amours de deux gitans, Candela (‘Chandelle’) et Carmelo, contrariées par le spectre de l’ancien amant jaloux de la belle et l’exorcisme libérateur qui éliminera l’encombrant fantôme. Le ballet est serti de trois chansons et une ébauche finale d’air, mais aussi de deux longues romances, poèmes traditionnels espagnols, confiés à l’origine à une chanteuse populaire. Entre autres versions de la musique, celle de 1925 supprime les poèmes et confie le chant à une mezzo-soprano. Andalousisme coloré de gitanisme imprègnent la musique de Falla qui, sans rien emprunter ici au riche folklore andalou, fonde et légitime sa propre couleur locale qui en fondera bien d’autres, avec un sentiment profond d’authenticité.

Sur un simple fond noir, éclairé des sombres lumières, parfois spectrales, de Patrick Méeüs, les danseuses en simple robe noire, sévère chignon espagnol, les danseurs en pantalons noirs et chemise blanche de l’épure du bailaor flamenco, se fondent ou confondent ou se détachent dans cet espace ténébreux de caverne gitane aux rites obscurs.

On sait gré au chorégraphe Éric Bélaud d’avoir évité une interprétation faussement coloriste de la couleur locale andalouse qui défigure souvent, de l’extérieur, les œuvres hispaniques plus authentiquement sobres, et noires souvent, comme ici. Nulle invocation démagogique non plus du flamenco, sauf, peut-être, de vagues évocations des mouvements des bras et des mains, mais souplement fondues dans la gestique de la danse classique. Le vocabulaire, le langage, sont classiques : les ensembles sont d’une sobre et souple beauté  et se coulent dans la musique avec naturel et une élégance sans apprêt empesé. La « danse du feu », sans tourbillon parasite, mais avec ce cercle se serrant et se desserrant en rythme évoque paradoxalement des flammes en blanc et noir avec une grande économie de moyens. La soliste, Lucie Roche, belle et sombre voix égale sur tout le registre, donne une couleur très juste et un sentiment intense aux chansons. Elle est intégrée au jeu et sa belle et longue figure pleine de noblesse, de noir vêtue, aux déplacements et attitudes plastiques, est un vrai personnage de tragédie mais aussi une médiatrice entre le monde charnel des amants troublés et le spectre vaporeux, comme surgi des limbes, irréel de souplesse évanescente (Alexis Traissac). Intercédant, elle permet de le conjurer pour conjuguer enfin la danse, le pas de deux lumineux, aérien, des amants libérés (Agathe Clément, Candela, et Ari Soto, Carmelo), magnifiques d’étreintes charnelles de la vie terrestre, avec le précédent sillage d’un long voile blanc, à la fois suaire fantomatique évaporé et voile heureux de mariage.

 

Gershwin blues, musiques de Gershwin (1898-1937)

            De la multimillénaire culture de l’Andalousie, dont les danses et chants étaient prisés par les Romains avant même d’être la Vandalousie des Vandales qui lui donnèrent son nom et des Arabes qui l’occupèrent, on passait à la récente culture nord-américaine, qui puise cependant ses sources dans l’immémoriale Afrique des rythmes à deux temps, des syncopes universalisées dans le jazz. Sur fond d’écran cinématographique, une déferlante de couleurs, qu’on dirait en technicolor, tant les références aux fameuses comédies musicales sont évidentes dans la brillante chorégraphie de Barry Collins. Tenues de sport, pantalons de cuir, sweets, corsages, jupettes, blousons, aux joyeuses tonalités, puis robes longues roses, queues de pie et hauts de forme pour des solos très Fred Astaire et Ginger Rogers, démultipliés ensuite en ensembles harmonieux, pour finir dans une rêveuse et vaporeuse apothéose de bleu, naturellement sur la fameuse Rhapsody in blue. Nous sommes d’abord passés, comme en un film musical visualisé en danse, des airs de Porgy and Bess, du tendre « Summertime » aux couplets canailles de « Sportin’life » et la passionnée déclaration d’amour, « Bess, o, Bess, you is my women now », aux sensuelles et molles courbes d’Un Américain à Paris, avec un bonheur d’écoute et des yeux, voluptueusement caressées par l’Orchestre Régional Avignon-Provence, amoureusement dirigé par Didier Benetti, qui nous avait fait un peu peur auparavant dans l’attaque trop serrée des cuivres acides de l’ouverture de l’Amour sorcier. C’est d’une grande fraîcheur, juvénile, gymnique, succession de danses jazzy, ragtime, charleston, fox-trots, etc, mais on admire encore l’impeccable vocabulaire classique de danseurs bien formés, sauts de biche élégants, portés, jetés, entrechats, pointes, une admirable technique qui demeure le précieux fondement même de la danse moderne. Il manquait les claquettes mais… aux saluts, ce fut le chorégraphe lui-même qui, avec une aisance printanière de jeune homme pour un homme automnal, en fit une longue et malicieuse démonstration. Mémorable heureuse soirée. Avec le regret que le programme n’ait pas individualisé les remarquables solistes de cette seconde partie. Benito Pelegrin.

Ballet de l’Opéra Grand Avignon

Orchestre Régional Avignon- Provence

Direction musicale : Didier Benetti.

Lumières : Patrick Méeüs réalisées par Brice Bouviala.

 

Créations

L’amour sorcier de Manuel de Falla A l’occasion du centenaire de la création de l’œuvre.

Chorégraphie : Eric Belaud. Soliste : Lucie Roche, mezzo-soprano.

Gershwin blues, Musiques Georges Gerswhin. Chorégraphie : Barry Collins

Photos : Studio Cédric/Delestrade

 

Rmt News Int • 28 novembre 2015


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