Zigmund Follies
Pièce pour 2 comédiens et 20 doigts Spectacle Tout Public
Théâtre d’objets, de marionnettes et de doigts
Direction artistique : Philippe Genty
Comédiens et Manipulateurs : Eric de Sarria, Philippe Richard
Création Lumière : Yannick Delval/Vidéo : Claire-Marie Leroux/Son : Jean-François Lasalle
Régie Lumière : Emmanuel Laborde, puis Sylvain Buc/Régisseur Son : Sacha Moraes
Fabrication : Philippe Genty, Eric de Sarria, Mary Underwood/Accessoires : Sébastien Puech, Vincent Boisserolle
Production : MCNN – Centre de Création et de Production de Nevers / Compagnie Philippe Genty Avec le soutien du Ministère de la Culture et de la Communication et de la Ville de Nevers.
Durée : 1h15
En tournée : Vendredi 18 décembre 2015 à Marcheprime (33); Du jeudi 17 mars 2016 au samedi 19 mars 2016 à Bourg-en-Bresse (01); Jeudi 31 mars 2016 à Corbie (80); Samedi 02 avril 2016 à Ris-Orangis (91) et Mardi 24 mai 2016 à Laon (02)
Un voyage au cœur de soi-même
Zigmund Follies, odyssée burlesque à 2 doigts d’une tragédie interprétée par 20 doigts, a été présentée au théâtre Toursky la première semaine de novembre 2015. Initialement prévu à l’Espace Léo Ferré du fait de sa forme intimiste, il a finalement été joué au grand théâtre avec une jauge réduite, le théâtre ayant été submergé par les réservations. Mené d’une main de maître par Eric de Sarria, conteur et manipulateur, cette présentation d’un classique de la compagnie Philippe Genty a ravi grands et petits ! Pour ceux qui souhaitent le découvrir, après son escale marseillaise, il part en tournée de décembre 2015 à mai 2016 dans toute la France!
Ce spectacle onirique et fantaisiste, inspiré de la psychanalyse freudienne (où le héros découvrira son moi, son ça et son surmoi avant de se réconcilier avec son double malin après avoir tué le père), relate l’étrange découverte de l’INTERIEUR faite par un conteur dont la main gauche, depuis quelques temps, fouille ses poches, ouvre ses lettres, voire même tourne sa veste, sans pour autant qu’il ne le veuille, lui-même ayant la tête enfermée dans une boite (la première image du spectacle en donne ici le ton décalé). Sa main gauche prise dans le sac (au sens propre comme au figuré) est poursuivie par la police secrète. Le conteur décide de partir à sa recherche. Après une traversée périlleuse de la sinistre fermeture éclair (un moment délicieux du spectacle), notre conteur dont le chapeau cloche de couleur bordeaux est surmonté d’un énorme doigt, rencontrera Félix Nial de la police secrète, personnage ubuesque qu’il retrouvera à plusieurs reprises dans différents déguisements, puis la main droite du Ministre de L’INTERIEUR, avant d’entrer dans les Colonnes de la presse, royaume des lignes de fuite et des perspectives. Il se perdra alors dans une fausse perspective et plongera au fond d’un trou de mémoire pour y découvrir les confins de la mer des souvenirs où il espère recouvrer la mémoire perdue : à la recherche du « futur intérieur », il naviguera sur une horloge remontant le temps qui court, faisant une halte sur l’île des postes restantes.
Savoureux et drôle
Au cours de son périple, il rencontrera des personnages hauts en couleur et fort en voix, figurés par des marionnettes à doigts ou de papiers, manipulées avec une très grande dextérité par les deux marionnettistes cachés sous une machinerie complexe et habilement conçue, surmontée d’une pelouse et d’un mini-castelet ainsi que d’un écran pour les projections vidéo. Car cette création mêle avec intelligence jeu d’acteur, marionnettes de différents types (à tige, à doigt, à gaine ou en papier…), son et vidéo, ainsi que des effets pyrotechniques inattendus et saisissants. De plus, l’humour est omniprésent et chaque saynète est l’occasion de jouer sur le comique de situations (certaines sont d’un cocasse fort plaisant) renforcé par un travail d’image et de son forçant le respect, penchant tantôt vers l’imaginaire collectif des cartoons (avec ses courses poursuites de marionnettes de papiers dans le mini castelet où la diva castafiore se fait assommer par un marteau géant) ou plus grand guignol, au sens noble du terme (avec les batailles inspirées du kung fu entre le héros et le gardien des colonnes de la presse). Certains clichés sont habilement détournés : le commandant de vaisseau qui se sacrifie avec son bateau-cuvette plongeant dans les abîmes de la mer, voire la doctoresse aux formes généreuses, autoritaire et frustrée qui finalement se livre, frénétiquement, à son patient en fuite après un corps à corps savoureux. De même, ses jeux de mots jouant sur le sens littéral et métaphorique de chaque terme, en français dans le texte, sont dignes d’un Devos, passant du coq à l’âne avec dextérité à la façon des dadaïstes (le titre lui-même du spectacle fait référence à une revue dada), y intégrant des calembours, parfois un peu légers certes mais efficaces, néanmoins usant d’un humour à multiple degrés de lecture (ex. la loi Micro(n)).
Avec in fine une critique de la société
Créé il y a plus de quinze ans (en 1983, précise un des marionnettistes à l’issu du spectacle), le spectacle proposé ici a été remis au gout du jour : plusieurs références sont faites à la politique d’aujourd’hui (notamment, la loi Macron assouplissant les contraintes des entreprises au détriment des salariés et de leurs précieuses et chèrement acquises RTT, rebaptisées ironiquement rallongement du temps de travail) mais également aux médias et à leur traitement de l’actualité, ici ces journalistes à la recherche de scoops au péril du respect de la déontologie du métier, ces derniers faisant feu de tout bois au mépris de l’information et de ses acteurs (oubliant le principe de base de vérification des sources et omettant de faire des enquêtes approfondies sur un sujet…) Les figures du pouvoir sont également moquées avec malice, notamment le ministre veule qui charge un de ses sbires à capturer mort ou vif le mécréant au nom d’une politique dont il a perdu la perspective (avec en prime un très subtil jeu de mots), voire le policier incapable de retrouver son chemin à l’occasion du raid mené contre le mécréant (il fera tout sauter sans le vouloir) au sein des bien nommées colonnes de la presse (avec un clin d’œil à Charlie Hedbo, ici, écrit en toutes lettres et placé en une sur le fronton du mini-castelet). Car en sous-texte, se dévoile une critique du capitalisme, qui sans pour autant être manichéenne, montre comment les politiques et les médias sont à la solde de la finance et de leurs lobbies : citons ici, l’île des mots déchus (humanité, liberté, bonheur), recyclés par les puissants et les riches.
Surréaliste à souhait avec son récit rocambolesque des aventures intérieures d’un conteur fou et ses images poétiques, drôles, et étranges, ce spectacle familial possède tous les ingrédients nécessaires à un moment de récréation intelligent. Complet, inventif et imaginatif, il se joue ainsi de la mise en abîme et des mots dans un rythme trépidant ne laissant que peu de repos aux manipulateurs (remarquables en tout point de vue). Une re-création à voir pour le plaisir des sens et de l’esprit avec, dans le rôle du héros, un conteur qui n’est pas sans rappeler l’Idiot de Dostoïevski. Tous simplement Bravo pour avoir programmé cette fantaisie marionnettique de très belle facture. DVDM
© photos : Claire Leroux
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