SCAPIN
PERSONNAGE, PERSONNE, PERSONNALITÉ
SCAPIN
Ou
La vraie vie de Gennaro Costagliola
de
François Douan
Théâtre Toursky
25 février 2016
Personnage
Le personnage de Scapin est récupéré par Molière dans ses Fourberies de Scapin (1671) pour débrouiller les affres et affaires de quatre amants dans le sujet de la pièce, et par la populaire force de la farce, les finances de sa compagnie de théâtre mal en point. Agile comme Arlequin, issu de la ductile Commedia del’Arte, mâtiné de picaresque valet, de gracioso de la comedia espagnole, Scapin, « habile ouvrier de ressorts et d’intrigues », n’est cependant pas homme de corde et de sac, et s’il en utilise un, c’est qu’il a plus d’un tour dans le sien, même mal sacqué par le rigide Boileau qui, pincé, écrira, désavouant la pièce de Molière :
« Dans ce sac ridicule où Scapin s’enveloppe,
Je ne reconnais pas l’auteur du Misanthrope. »
On a gardé de la pièce une phrase pleine de sens à l’époque, la mésaventure de Saint-Vincent de Paul captif dans une des galère barbaresques qui désolaient les côtes de la Méditerranée, empruntée par Molière, prenant son bien où il le trouvait, à Cyrano de Bergerac :
« Mais que diable allait-il faire dans cette galère ? »,
sans trop se demander pourquoi aujourd’hui, nous en gardons encore l’expression « Quelle galère ! »
C’est ce que semble se dire le héros de ce texte de François Douan, sur une idée de Kristian Frédric qui en signe aussi la mise en scène et la scénographie, incarné par Jacques Nouard, Scapin, qui rame non à se faire un nom célèbre, puisqu’il l’est déjà, mais à se dépouiller du surnom pour retourner, sinon à l’anonymat, à l’humilité paisible de son patronyme.
Personne
Certains héritent d’un nom connu et doivent se faire un prénom pour se faire connaître ; d’autres sont affublés d’un sobriquet fondé sur une de leurs caractéristiques sinon caractère : le surnom fait nom, le nom, destin. Ici, le fameux, le fabuleux forban finaud, fourbe et maître ès fourberies Scapin, harassé d’être sans fin harcelé pour débrouiller les affaires d’autrui grâce à sa vitale virtuosité en intrigue et manigances qui lui a valu ce surnom qui vaut titre et CV, Scappino, celui qui donne bonne fin à un mauvais imbroglio et s’échappe, qui en réchappe, veut échapper désormais, sur le tard de sa vie, au masque que la légende lui a apposé pour imposer enfin son vrai visage. Las de son personnage, il aspire à être accepté pour sa personne, retrouver son vrai nom : se retrouver lui-même, sa véritable identité : Gennaro Costagliola.
Personnalité
Et c’est, entre clarté et obscurité, clair-obscur au vrai sens du terme, mélange d’ombre et de lumière à la Rembrandt (Yannick Anche) que nos regards distinguent un barbon bourru, non bourré puisqu’il boit beaucoup d’eau, qui a la bouille du peintre en certains de ses autoportraits, bonnet sur la tête, grisonnant, trogne pleine de rogne, qui grogne, bougonne, maugrée, déclinant et passant entre les rets des tentantes offres de services à Scapin, pour se contenter modestement de réparer les réseaux des filets de pêche, sur un humble ponton du port de Naples, habilement évoqué par ces quelques planches, un simple portique en bois, un tonneau rempli d’eau, un fanal, des cordages.
En quelques déplacements limités à l’échelle du petit ponton, en avant et arrière, ponctué simplement de gorgées d’eau à la louche du tonneau, simplement vêtu d’un vague manteau sur un pourpoint élimé, dans ce lieu symbolisant un port, il nous embarque dans sa narration à la première personne, comme il se doit au picaro itinérant issu de la littérature espagnole, anti-héros à la généalogie inverse des aristocrates, fils de ses propres œuvres, de Naples à Tarragone (parcours de Don Juan), aux Pays-bas espagnols : sans gesticulation, une geste modeste des petits, des obscurs, des sans grades, dans les tercios, les légions célèbres de l’Espagne, les armées défendant son empire européen. Le texte, tout moderne qu’il soit, réfère avec intelligence, élégance, sans tentation de pastiche, à la langue du XVIIe siècle, supposée du personnage. Juste de brèves allusions à la pièce de Molière, évocation du sac, de la bastonnade, de la galère. Il est assez bien informé du contexte, dont la révolte napolitaine contre l’Espagne de Masaniello. Long, il ne pèse pas.
Tel Don Quichotte auquel il réfère, vivant ses rêves plutôt que rêvant sa vie, récusant Scapin, revenu de tout et de son voyage vers la mère et mère patrie, après un parcours initiatique et ascétique, Gennaro répare donc des filets mais aura restauré, fil à fil d’un long discours, sa vie : derrière le personnage, il y avait une personne et la personnalité de l’acteur, sa force, la prouesse d’une heure et demie de texte à la texture, au maillage serré, est telle qu’il donne une densité humaine confondante à cet être de fiction sous le héros de théâtre.
Benito Pelegrín
Photos : © JP Guimbretiere
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