LAS INDIAS, CD d’Arthur Dente, compositeur et guitariste
L’universel de l’errance mais ancrée et interrogée dans le local d’ici et maintenant, déracinement et enracinement, est la recherche profonde, douloureuse parfois, d’un magnifique instrumentiste guitariste et compositeur, professeur dans le secondaire, Arthur Dente.
Né en France, mais issu de l’immigration portugaise de ses parents, contraints de fuir leur pays pour trouver une avenir meilleur à leurs enfants, puis retournés chez eux, partagé ou déchiré ainsi entre deux cultures, la familiale portugaise irriguée aussi de proche d’hispanité, et celle qu’il a acquise dans cette France de son éducation et scolarité secondaire et universitaire, Arthur Dente, dans des voyages en nombre, des séries d’émigrations en quelque sorte, des stages, des concerts, a enrichi ce fonds culturel par l’expérience, la pratique d’un grand éventail de formes, de styles, qui vont du fado fondamental portugais au flamenco en passant par le hard rock, les Pink Floyd. À la liberté interprétative, à l’improvisation de formes de musique populaire et même de rue, s’ajoute sa culture classique solide acquise aux Conservatoires d’Albi et de Toulouse de 1972 à 1987, à l’École Normale Supérieure de Paris de 1988 à 1990, puis à l’université. Cela lui permet de brasser, d’embrasser un vaste répertoire de genres musicaux, d’ouvrir grand un éventail tel un arc-en-ciel irisé d’harmoniques de sa guitare dans une musique où l’on identifie des sources, des origines, mais très expressive, très personnelle, dont la pulsation, certes, parle au corps, le meut, l’émeut rythmiquement et, le mouvant, l’émouvant, parle à l’âme.
En témoigne son disque Las Indias, ‘Les Indes’ (labelCaminando, bien nommé : ‘Cheminant’) au sous-titre très justifié de « Poésie en guitare », avec d’abondants appuis textuels poétiques comme autant de repères dans l’errance, moins descriptifs que vagues évocations, paysages intérieurs, états d’âmes. Ce sont les Indes occidentales, comme on appela d’abord les Amériques, qui renvoient aux Découvertes, mais, surtout, dépassés les affrontements cruels de l’Histoire, à la rencontre de deux mondes, de tant de cultures qui forment le spectre coloré réconcilié, de cette musique. Il suffirait d’écouter un extrait d’ « Irlande/Andalousie » pour s’en convaincre, où la guitare a des rêveries arpégées de harpe celtique et des sécheresses nerveuses de cordes pincées, du flamenco : ibère et celte, celtibère en somme, brume et soleil… Mais on trouve aussi emblématique « El indio barroco », cet ‘indien baroque’ qui mêle accents latino-américains et hispaniques.
Riche déjà d’une belle carrière de concertiste virtuose qui l’a promené de la Californie à la France en passant par le Portugal, Arthur Dente a par ailleurs formé plusieurs ensemble et, dernièrement, l’Octuor vocal d’Aix-en-Provence, quatre voix de femmes et quatre d’hommes, avec lequel il a créé les 15 et 16 avril Mundo entero pour guitare, flûte, percussions et voix.
Mundo entero
Comment qualifier ce ‘Monde entier’? La guitare, concertant avec la flûte et quelques pincements légers ou ponctuation de percussion, tire l’œuvre vers le concerto pour deux instruments privilégiés mais les vastes passages vocaux l’inclinent vers la cantate instrumentale. Peu importe la dénomination : c’est une œuvre hybride par sa forme, syncrétique par les matériaux musicaux convoqués venus des quatre horizons de la culture musicale polymorphe du compositeur, très contemporaine aussi. Cette vaste fresque est composée de sept moments ou parties largement instrumentales mais qui introduisent des textes pour le chœur et parfois des solistes, en français espagnol et portugais, très simples, trop simples peut-être, dont les paroles, par ailleurs, sont difficilement compréhensibles.
Dominante, la guitare prélude chaque partie, mais si longuement, si largement, avec une telle virtuosité généreuse, sans doute abandonnée à l’improvisation, que c’est déjà une œuvre en soi, avant que la flûte, d’une rare délicatesse, n’apporte sa note vaporeuse, brumeuse, un souffle, un halo autour des grappes argentines de notes rasgueadas (‘pincées)’ ou caressées en arpèges celtiques, ondes douces modulantes dans « Irlande/Andalousie ». Cet accord guitare et flûte, qui déborde à l’évidence, à l’ « audience », qui saute aux yeux et séduit l’oreille, de l’amour du père Arthur Dente envers son instrumentiste de fille, l’adorable et délicate Valentine Dente, est l’une des plus belles réussites de l’ensemble. La flûte sait s’alanguir d’ondoiements debussystes et la guitare a de sensuelles vibrations brésiliennes dans « Dilemme ».
Il est difficile de juger sur une seule et première écoute cette œuvre ambitieuse mais l’écriture vocale de l’octuor, rarement polyphonique, sans être complexe, pose et cause quelques problèmes aux solistes : les sopranosFabienne Hua et Géraldine Jeannot sont sollicitées dans des aigus sans préparation et la partie de basse pourtant profonde d’Yves Bergé, est maintenue souvent dans sa corde la plus grave en une sorte de recto tono qui rend impossible toute projection de la voix. Il faut reconnaître que, solides musiciens, ils s’en tirent avec honneur. La même qualité est à louer chez les altos Florence Blanc et Laetitia Alliez, les ténors Miguel Camacho et Nicolas Soheylian, l’autre sombrebasse Guillaume Barralis. Un bel octuor pas simplement d’interprètes, mais de musiciens très engagés au service d’une œuvre dont ils nous communiquent l’émotion. Et le sommet en est certainement, comme si Dente avait besoin du substrat affectif pour porter à l’acmé sa musique, le morceau qu’on voudrait final « Meu pai », ‘Mon père’ en portugais, un hommage sensible et puissant à cet émigré dont il se revendique : Portugal, patrie, paternelle autant que maternelle. Mais, monté sur le faîte, on ne peut que descendre et, après ce sommet émotif, qui semblait conclusif, ce qui vient après ne nous étreint (éteint) plus avec la même force.
Benito Pelegrín
Église Saint-Jean Baptiste
Aix-en-Provence
16 et 17 avril
Mundo entero
d’Arthur Dente
Arthur Dente, guitare ; Valentine Dente, flûte.
l’Octuor vocal d’Aix-en-Provence :
Fabienne Hua et Géraldine Jeannot, sopranos ; Florence Blanc et Laetitia Alliez, altos ; Miguel Camacho et Nicolas Soheylian, ténors ; Guillaume Barralis et Yves Bergé, basses.
Prochains concerts :
Récital de guitare le 4 Juin, 20H30, Patio du Bois de l’Aune au 1, Place Victor Schoelcher, 13090 Aix-en-Provence.
« Mundo Entero »
Dimanche 26 Juin à 18h
Paroisse Saint-Paul, 71 Boulevard de Saint-Loup 13010 MARSEILLE
Réservations : 06 04 50 73 03
site web: www.arthurdente.com
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