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Les Figures de l’amour/André Campra par l’ensemble baroque Parnassie du marais

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LES FIGURES DE L’AMOUR

DANS L’ŒUVRE D’ANDRÉ CAMPRA

 

 

En miroir, en écho au disque Les Muses rassemblées par l’Amour, le CD des aixoises FESTES D’ORPHÉE, « Les Maîtres Baroque de Provence », vol. V, un inédit discographique du grand compositeur d’Aix, André Campra, une idylle chantant la fin de la peste en Provence, qui fut créée en 1723 et plus jamais donnée depuis, sauf en extraits, voici maintenant que l’excellent label provençal Parnassie du marais, apporte une autre belle contribution à la connaissance et reconnaissance aujourd’hui de ce musicien, par ailleurs toujours bien présent dans son catalogue, avec un beau CD appelé Les Figures de l’amour/André Campra. On le doit à l’ensemble baroque Parnassie du marais, dirigé par la claveciniste Brigitte Tramier, avec au violon Claire Létoré, Sabine Weill, flûtes et hautbois, Sylvie Moquet à la viole de gambe et, en soliste vocale Monique Zanetti, avec quelque cinquante disques à son actif, une figure bien connue du chant baroque qu’elle enseigne par ailleurs au Conservatoire d’Aix où travaille aussi ce quintette de dames qui sont également des solistes réputées. Dans ce disque, voisinent des pièces instrumentales, interprétées aux claviers par Brigitte Tramier, de Lambert Chaumont à l’orgue, d’Henri Dumont et Couperin au clavecin, et de Forqueray et Jacquet de la Guerre par les divers pupitres de l’ensemble. C’est le fond contextuel de la musique au temps de Campra tête d’affiche du disque.

D’origine italienne, André Campra est né à Aix 1660 et mort à Versailles en 1744, après une vie bien remplie : il occupe diverses charges, dont celle de maître de musique de Notre-Dame de Paris et de maître de chapelle du prince de Conti. Auteur d’opéras à succès et de musique religieuse, il est un maillon essentiel entre Lully et Rameau et un trait d’union entre la musique française et italienne. Les morceaux présentés ici, tirés de son opéra comme Le Carnaval de Venise (récemment donné à la télé) ou de cantates dramatiques profanes (L’Heureux jaloux, Didon) ou religieuses (Joseph) qui sont des opéras en réduction, a permis ce florilège. Il nous offre donc les figures, les faces, parfois les doubles faces, les visages, les rivages et les virages de l’amour, ses ravages, ses rives et dérives : une promenade amoureuse à travers les sentiers fleuris d’un jardin à la française bien peigné, même s’il affecte parfois le doux désordre faussement pastoral et tendrement bucolique, semé de roses mais aussi d’épines, avec ses déchirements passionnels et jaloux, la fuite et l’abandon, ses rêves impossibles, sa douceur fraternelle et même ses élans mystiques, comme une compensation à l’impossibilité des amours humaines ivres d’absolu.

À Monique Zanetti, délicate voix, où nichent des gazouillis d’oiseau, sont confiés ces airs tendres ou tendrement âpres : sur le ruban lisse et soyeux de la tenue de la voix, elle tresse et trousse les fanfreluches, enrubanne les jolis nœuds de trilles ailés. Mais elle exprime aussi le drame que la douceur de sa voix rend encore plus aigu. Mais on peut en apprécier le dramatisme dans la rubrique « Amour jalousie » (plage 10), mettant en jeu un amant blessé par une ingrate beauté, affect exprimé par un rythme expressif saccadé, suffoquant.

Certes, au Grand Siècle et au tournant du XVIIIe siècle libertin, la rhétorique amoureuse exprime dans l’élégance souriante le beau visage de l’amour. Mais le noir côté de la passion et ses déchirements, la cruauté de l’abandon, s’y expriment aussi avec une violence que nulle galanterie ne peut farder. Ainsi, la tragique figure de Didon. Tirée de l’Éneide de Virgile, la légendaire et belle reine de Carthage, suicidée par amour après l’abandon d’Énée qu’elle avait recueilli après la destruction de Troie, est presque un passage obligé de l’époque, qui a donné lieu à d’innombrables opéras en Europe et à une infinité d’airs, de cantates. Didon ne pouvait manquer en France d’avoir un écho concret avec les grâces et disgrâces successives des favorites de Louis XIV et Louis XV. Favorites qui étaient toutes loin de mourir d’amour comme la Lavallière recluse en un couvent. Mais l’exil de la favorite, sa chute après son ascension glorieuse, la condamnait aussi à une mort sociale. On comprend alors dans cette cantate de l’antique Didon (plage 20), l’actualité que pouvaient avoir ses intemporelles imprécations, appelant les vents à contrarier la fuite d’Énée sur ses vaisseaux, noblesse déchirée des récitatifs, très longs, expliquant l’action et concision cruelle de l’air, très court, qui exprime l’affect, le désespoir furieux de Didon en volées de vocalises tempétueuses voyant voler sur les flots les vaisseaux de son amant infidèle (plage 23)

Mais ce disque alterne, avec le chant, de belles plages instrumentales, d’une grande fraîcheur, avec le pépiement d’oiseau des flûtes désinvoltes et joyeuses de Sabine Weill sur les traits langoureux de la viole de gambe dorée de Sylvie Moquet, sur la ponctuation d’argent, le scintillement lumineux du clavecin de Brigitte Tramier. La flûte affûte presse et tresse ses guirlandes autour de la tige tutrice de la voix humaine de la viole tandis que le clavecin mousseux, bouillonne, fredonne. La musique est presque visuelle et l’on devine souvent les pas des danseurs au son élégamment rustique des musettes sur un bourdon de viole tel un fredonnement de bourdon voletant, faussement sombre, gourmand de miel musical rafraîchi par l’onde fraîche du clavecin, clair ruisseau de certaines vignettes bucoliques. Mais ici, un extrait du Carnaval de Venise, c’est un sombre moment de l’intermède des esprits follets de l’Orfeo(plage 13), en italien comme il convient, chantant le désespoir d’Eurydice, dans les enfers, croyant ses appas méprisés par un Orphée qui lui refuse ses regards sur l’interdit fatal du dieu qu’elle ignore, humain sentiment de femme, d’épouse, mais coquetterie mondaine qui causera sa perte irrémédiable et l’impossibilité pour le demi-dieu de la musique de la ramener au monde des vivants.

Éternelle variété et variations de l’amour, intermittences du cœur exprimées dans la permanence élégante et sensible de ce CD où règnent les dames.

Après Aix exaltée par Campra dans le disque des Festes d’Orphée Les Muses rassemblées par l’Amour dont figurent ici quelques extraits, nous avons, par  ces artistes aixoises et ce label voisin, Campra exalté par Aix. Benito Pelegrín

 

 

Les Figures de l’amour/André Campra. On le doit à l’ensemble baroque Parnassie du marais.

La riche production discographique de Parnassie du marais dans le site : parnassie.fr

 

 

Rmt News Int • 22 juin 2016


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