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2016, l’année faste pour l’écrivaine Nina Kehayan

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Les Marseillais se souviennent de la traduction de La Cerisaie de Tchékov mise en scène par Marcel Maréchal avec pour vedette Marina Vlady. C’est sa connaissance intime de la Russie qui lui avait permis ce tour de force de l’auteur tant et tant traduit.

Cette même connaissance lui a permis de traduire pour débuter l’année 2016 le roman d’un jeune auteur russe Alexandre Sneguiriev « Je ris parce que je t’aime ». (L’Aube 20,90 euro). C’est que la Russie ce n’est pas seulement Poutine, c’est aussi, à l’image de Ludmilla Oulitskaïa des gens qui pensent, prennent position et écrivent. Né à Moscou en 1980, Snieguiriev n’a presque pas connu le soviétisme mais l’atmosphère de la ville est parfaitement rendue, comme si Nina avait traversé chaque rue décrite, chaque recoin de cour et de misérables appartements qui sont le cadre de l’amour d’un père par la force des choses et son fils trisomique Vania. Père par hasard, sa femme Lena l’a quitté et les grands parents sont morts. Ainsi Fiodor va inventer une autre vie, pleine de rebondissements avec cet enfant à renaître, à redécouvrir et à réinventer dans une relation complexe au début mais qui finalement va trouver sa voie entre amour et respect du garçon si différent. C’est attachant, plein de délicatesse et d’une sensibilité émouvante.

Jeune auteur, Sneguiriev a déjà reçu plusieurs prix littéraires prestigieux et il a choisi Nina Kehayan pour la traduction d’un autre roman, toujours aux éditions de l’Aube.

Autre registre et autre livre. L’auteure a pris la plume pour un roman sur sa mère. Banal direz-vous, mais « Tauba, juive de Bessarabie à Paris » (Le bord de l’eau, 17 euro) n’a pas eu une vie banale. Elle va fuir à 23 ans, le trou perdu d’une Moldavie grise, sale et poussiéreuse, en butte à des pogroms incessants. Et quand le train part, les deux garçons qui devaient voyager avec elle lui font faux bond.

Peu importe elle quittera le pays honni pour un périple qui fera escale à Berlin, Liège, Paris de ses rêves. Elle rencontrera la mesquinerie, mais aussi la solidarité, le goût pour la culture pour tous ces juifs groupés autour d’organisations communistes. Elle rencontrera aussi l’amour avec un juif polonais ayant fui sa Pologne natale pour lui aussi échapper aux pogromes et à la répression qui frappe les militants communistes et syndicalistes. Des engagements qu’elle ne reniera pas malgré les vents mauvais de l’Histoire.

Un style à la Annie Ernaux pour un livre captivant, hommage à une mère courage qui cèlera bien des mystères jusque dans la mort.

Pour cette année décidément bien remplie, les éditions de l’Aube ont eu la bonne idée de rééditer ses fameux « Voyages de l’aubergine », (22,60 euro) la bible de tous ceux qui sont passionnés et intrigués par ce légume violacé dont on ne sait pas toujours comment l’accommoder.

162 recettes venues du monde entier et surtout une nouvelle préface de Philippe Meyer, celui qui, la prochaine fois ne nous la chante plus. Mais ici son chant d’amour pour ce livre dépasse toutes les espérances qu’un auteur puisse espérer de celui qui avait écrit au Seuil « Le communisme est-il soluble dans l’alcool ? ». Il semble bien que oui et l’hommage qu’il rend au classique de Nina Kehayan se termine par : « Coque d’aubergine aux anchois, beignets d’aubergine au fromage de brebis, aubergines aux poivrons et pommes de terre, à la mie de pain, à la menthe, au sésame et aux noix, à la viande, au vinaigre, au lard et aux cèpes, au porc sauce piquante, au gingembre, au tamarin et même farcie aux aubergines, je ne connais pas de légume plus délicieusement cosmopolite ni de guide mieux susceptible de vous envoyer illico au marché, puis devant vos fourneaux. Ne tardez pas ».

Il a raison et on en a déjà l’eau à la bouche.

Fabrice SETRAK

Rmt News Int • 14 octobre 2016


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