Le Cabaret du Elles par la compagnie du Yak (Marseille, 2016)
Avec Olympe (Fred Kodiak), Holly (Magali Lindemann), Jean Eudes (François Escojido)
Mise en scène Patrick Rabier/Arrangements musicaux : Cabaret Du Elles, Martine Chenoz, Marie-Cécile Gautier, Martial Paoli
Présenté au Parvis des Arts les 11 et 12 novembre 2016/ Durée 1h
Photos signées Thierry Vaudé
Dis-moi ce que tu chantes, je te dirai qui tu es !
Entre cabaret théâtre jazzy et music-hall aux accents lyriques, cette création mêlant satyre et burlesque, offre à découvrir un duo d’artistes savoureuses dans une mise en scène joyeusement rythmée, avec ses entrées et sorties, quiproquos, disputes, allées et venues inspirés du théâtre de Boulevard, sur fond de décor simple et efficace, le piano occupant à lui seul tout un pan de l’espace, quelques accessoires étant là pour donner le ton, le texte bien ciselé, ironique à souhait, avec de jolis jeux de mots, n’étant pas en reste.
Deux personnalités aux caractères opposés s’affrontent à l’occasion d’un concert donné dans un Café-Concert, lieu de débauche créé au 18ème siècle où il est possible d’écouter tout type de musique et dans lequel un artiste différent se produit chaque soir. Pour la petite histoire, souffrante, une gloire vieillissante de la chanson réaliste a dû annuler son tour de chant et nos deux chanteuses, Olympe et Holly, ont été convoquées pour la remplacer, chacune étant persuadée qu’elle animera seule cette soirée au côté du pianiste Jean Eudes. Un battle enragé s’engage alors entre une diva lyrique au mezzo velouté et une chanteuse de jazz aux graves profonds.
L’orgueilleuse Olympe, diva coincée à la gestuelle empruntée, certaine de la supériorité de son talent -et pour cause: elle a étudié le solfège et sait lire une partition-, carbure au thé, l’alcool n’étant pas bon pour sa voix qu’elle doit préserver au risque de perdre une note. Vêtue d’une robe de soirée seyante et élégante, elle ne peut qu’être choquée de la tenue moulante, une robe rouge éclatante, au décolleté plongeant à peine recouvert d’un boa en plumes noires, de Holly qui roule au whisky et dont la vue l’insupporte. Elle juge son chant vulgaire, le jazz n’étant pour elle qu’une série d’improvisations, sans partition, ponctuées de « DIGA DIGA DOO », à l’instar du titre de Dorothy Fields et Jimmy Mc Hugh qui ponctuera leur rencontre musicale… et Holly de se moquer de sa préciosité affectée et de sa voix qui, quand elle monte dans les aigus, rappelle le miaulement d’un chat aux abois.
Toutes deux se jettent leurs préjugés à la face et en musique, demandant au pianiste d’exécuter pour l’une, un air de la Carmen de Bizet, le très enlevé « Près Des Remparts », joliment interprété par Fred ; pour l’autre, un standard de jazz, « Black Coffee », de Sonny Burke et Francis Webster, également fort bien chanté par Mag, avant de s’engager dans une bataille rangée au rythme d’un déferlement de tubes tantôt jazzy, tantôt lyriques incluant du Satie ou du Lecocq, du Bizet ou encore du Gounod, avec crêpage de chignon en live et en prime, avant de s’essayer à découvrir l’univers de l’autre, avec notamment l’entrelacement judicieux de la «Jitterbug Waltz» de Fats Waller, et du fameux air de « la Barcarolle » des Contes d’Hoffmann d’Offenbach.
Leur inimitié s’étiole lorsqu’elles se mettent à parler d’Yvonne Mercier, celle qu’elles doivent remplacer, s’accordant sur deux points : toutes deux sont d’avis que les musiciens ne sont pas là pour s’exprimer mais pour suivre les chanteuses. De plus, toutes deux n’ont aucun goût pour la chanson réaliste, s’en moquant joyeusement dans une interprétation fort drôle et décalée de « l’Hymne à l’Amour » de Piaf et Monnot, imitant pour notre plaisir des grandes stars de la variet’ française. C’est ainsi qu’elles abandonnent leurs préjugés, et se découvrent une amitié naissante l’une pour l’autre avant de sortir de scène, telles deux larrons en foire, sur un air des Brigitte « Encore Un Verre ».
Le pianiste, quant à lui, suit l’évolution de leur relation, s’amusant de leurs querelles de clocher : il passe du statut de simple accompagnateur à celui de personnage-arbitre puis d’acteur, prenant des initiatives musicales, las d’obéir à leurs désidératas au grand dam de nos deux complices, souhaitant reconnaissance et considération, avant de se rebeller contre les deux chanteuses pour montrer que, lui, aussi, peut faire preuve de créativité en leur intimant in fine de chanter une de ses créations « La Compil’ Des Idées Toutes Faites », signée Martine Chenoz et Martial Paoli, jolie découverte du jour.
L’introduction d’un troisième personnage, un homme face à deux femmes, modifie la donne : la forme du trio permet de jouer sur les rapports de force et de relancer le comique de jeu en créant de nouvelles situations, afin d’éviter que l’effet comique, jouant dès leur entrée en scène savoureuse sur l’opposition entre les deux personnages, ne perde en intensité et efficacité et surtout ne faiblisse. L’interprète de Jean Eudes, même s’il a tendance à jouer un peu fort du piano, s’en sort drôlement bien, passant avec aisance d’un air lyrique à un morceau jazzy, incarnant avec conviction un personnage un brin moqueur se révélant également provocateur.
Côté comédiennes, Fred et Mag se complètent à merveille dans ce duo duel. S’appuyant sur leurs formations de base, elles incarnent pleinement leur personnage, leur offrant leurs corps et voix avec enthousiasme et talent. Se jouant des préjugés que leurs personnages incarnent, elles font preuve d’une d’autodérision bienvenue, notamment lorsque Fred introduit un « miaou miaou » pour accompagner « la compil’ des idées toutes faites ». Certes son personnage est moins à l’aise dans la chanson finale, « It’s Raining Men » de Paul Jabara et Paul Shaffer, mais la comédienne fait montre de tout son talent, notamment lorsqu’après avoir englouti quelques gorgées de whisky, elle revient vêtue d’une tunique affriolante et coquine. Mag, quant à elle, nous régale de son chant avec son personnage engageant et sulfureux, sexy en diable, qu’elle incarne avec, par moments, un peu trop de retenue.
Le public venu, hélas moins nombreux ce jour-là au Parvis des Arts, s’est amusé tout le long du spectacle, savourant le texte de « la Compil’ des Idées toutes faites », un texte contre les préjugés, en écho avec le spectacle, mais également à notre époque, qui voit réapparaître avec force et vigueur les fascismes, les extrémismes et autres racismes, avec son final bien pensé sur « le drapeau bleu marine au fond des latrines de nos maisons »…
In fine, cette création, au-delà de son côté divertissant, nous fait réfléchir sur nos propres préjugés et idées reçues, dont nous avons tous du mal à nous débarrasser, tant la reconnaissance et l’acceptation de l’autre dans sa différence, pourtant si enrichissante pour chacun, est chose si peu naturelle chez l’être humain : comme on dit, « la critique est aisée, l’art est difficile » et il est plus simple de juger que d’apprécier l’autre. Ainsi, ce spectacle sous ses dehors grotesque (au sens de bouffon et burlesque) se révèle être une ode à l’amour, à la rencontre, au partage et à la paix. DVDM
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