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L’éloge de l’amour d’après le texte d’Alain Badiou

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Présenté au Parvis des Arts et au Théâtre Du Petit Matin en novembre 2016

Adaptation, mise en scène et jeu : Caroline Ruiz

Régie générale / lumières : Jean-Louis Alessandra

Création vidéo : Olivier Durand

Durée 1h/ Création  2016 du Hangar Palace

 En tournée en appartement, dans les lycées et au festival d’Avignon off 2017

L’éloge de l’amour ou la réussite d’un triple défi

Parler d’amour de nos jours peut sembler désuet, encore plus lorsqu’il s’agit d’adapter sur scène une conversation philosophique, d’autant plus encore que notre époque est dominée par la haine et la violence.  Nous pouvons en préambule remercier la comédienne Caroline Ruiz d’avoir eu cette magnifique idée que de porter à la scène « l’éloge de l’amour » d’Alain Badiou*, un si beau texte, et d’avoir réussi à transmettre, faire entendre et partager, tant par son dire que par son interprétation, l’enthousiasme et la jubilation, un véritable coup de foudre, qu’elle a rencontrés à la lecture de ce texte.

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Porter et transmettre la parole d’un philosophe sans la dévoyer : un défi relevé avec intelligence

En usant d’une dramaturgie où la parole discursive propre aux conférences se métamorphose en une parole plus intime presque susurrée à nos oreilles attentives, Caroline Ruiz -grâce à l’immédiateté du dire théâtral qui permet l’incarnation de la pensée philosophique- donne à vivre et ressentir cette philosophie dont elle se saisit afin que nous puissions en recevoir une compréhension immédiate et la prendre avec et en nous sans avoir à ne passer que par le médium de l’intellect pur, tout en nous guidant vers l’Idée à la façon de Socrate.

La comédienne s’appuie sur une scénographie sobre et élégante où quelques pupitres surmontés de petits tableaux noirs, sur lesquels se découvrent au fil du spectacle des mots écrits à la craie blanche, sont  judicieusement arrangés autour d’une petite table en bois vieilli, sur laquelle sont posés divers éléments rappelant un bureau de philosophe avec ses livres et son petit chandelier. Un espace ouvert, face au public, laissera place à un petit tableau sur lequel seront projetées de temps à autres quelques magnifiques créations vidéo signées Olivier Durand. Ces ponctuations visuelles, subtiles, confèrent un supplément de poésie à cette création réussie où la simplicité est première. Car ici, point de musique assourdissante, ni de décors d’apparats, ou encore de costumes trop voyants : des petites touches de lumière viennent éclairer la scène avec délicatesse, qu’elle vienne d’un projecteur ou de la vidéo, offrant à la comédienne des temps de ruptures bienvenus, évitant l’essoufflement dans le dire d’un texte philosophique par essence pas toujours aisé à entendre.

La comédienne a su ici le rendre accessible en retraçant les étapes clés du processus amoureux qu’elle griffonne sur les petits tableaux noirs (l’événement de la rencontre et sa surprise, la déclaration et l’engagement du « je l’aime », le désir et l’abandon du corps et encore le couple où comment réinventer la vie à deux). Elle intègre ici des éléments extérieurs au texte : un extrait de Carmen (« l’amour est un oiseau rebelle »),  une chanson de Dalida, la déclaration d’amour de Cyrano ou encore un extrait des  « enfants du paradis » de Carmet avec Arletti. Ces éléments permettent d’expliciter ou illustrer l’objet du spectacle (le discours amoureux) sans redondance aucune : dans la mise à la scène d’un texte philosophique, la répétition est nécessaire en ce qu’elle rend plus intelligible le propos à son écoute, notamment le passage délicat de la déclaration, cet engagement (prémices à la fidélité jurée) où l’instant et le hasard se fixent dans l’éternité. « L’amour est une descente de l’éternité dans le temps » et « le bonheur, la preuve que le temps peut accueillir l’éternité ».

Accompagnant le geste à la parole sans qu’il ne la parasite, occupant l’espace scénique dans son entièreté avec des déplacements réfléchis, elle fait intervenir sur scène un couple d’amoureux afin de briser complètement le 4ème mur et que de lectrice, elle devienne passeuse  et « actrice » d’une philosophie de l’amour, vivant le texte qu’elle dit d’une voix claire et limpide, le regard toujours posé vers le public. Ce dernier ne peut alors être qu’un simple auditoire passif à l’écoute d’une parole : il devient partie intégrante du spectacle, « co-acteur » de cette parole.

Une autre façon de parler d’amour qui vient à point nommé

L’ajout en préambule de l’éloge de l’amour fait par Aristophane dans le Banquet de Platon, est judicieux pour ouvrir sur les enjeux multiples de cette parole d’amour : est expliqué ici comment Zeus a, pour les punir, séparé les êtres humains en deux êtres distincts. Avant, chaque être humain était en fait une sphère avec quatre mains, quatre jambes et deux visages sur une tête unique, quatre oreilles, deux sexes etc… : il y avait des êtres mâles, femelles et androgynes. Chacun après sa séparation a été amené à rechercher sans cesse sa moitié, de l’autre sexe ou du même sexe, afin de n’en faire qu’un pour guérir sa nature humaine. Ce souhait de se fondre en l’autre et ce besoin de complémentarité est ce pourquoi Eros guide les humains à s’aimer. Cette façon d’ouvrir sur le texte d’Alain Badiou plonge le spectateur dans le vif du sujet, avec humour et finesse, posant les bases d’un discours allant à contrecourant des préjugés actuels.

Parler d’amour aujourd’hui, c’est le réinventer, le défendre !  L’amour est menacé  et il nous faut « réinventer le risque et l’aventure, contre la sécurité et le confort … » car « l’amour est une aventure obstinée …»  qui triomphe des obstacles et « fait mentir l’individualisme ». L’amour, c’est réinventer la vie à deux. « Tout amour propose une nouvelle expérience de vérité sur ce que c’est d’être deux et non pas un. Que le monde puisse être rencontré et expérimenté autrement que par une conscience solitaire, voilà ce dont n’importe quel amour nous donne une nouvelle preuve. »

C’est ainsi avec plaisir que nous avons découvert cette création où une comédienne prend à son compte ce discours amoureux dans lequel sont convoqués les plus grands philosophes (Platon et Spinoza, notamment lorsqu’elle évoque la recherche de la beauté absolue, l’universalité de l’amour ou le dur désir de durer) et qui dénonce la recherche actuelle de l’amour confortable et sécuritaire où le risque zéro est mis en avant (citons Meetic ou la jouissance débridée, deux facettes de l’absence de prise de risque de nos contemporains) ainsi que la réduction de l’amour à la famille, porte ouverte à l’intolérance religieuse, sociale et politique.

La comédienne partage alors sa vision d’un monde où le culte de l’identité et le repli sur soi, portés par les extrémismes, ne devrait pas avoir sa place, car, comme le dit Alain Badiou,  « Toute différence est un bienfait ». Et tout en rajoutant des éléments extérieurs au texte lui-même, mais toujours en rapport avec l’objet de son discours (allusion sous-jacente au terrorisme qui empoisonne le monde à notre époque), elle offre à découvrir un écrit philosophique passionnant qu’elle défend avec vibrance et porte sur la scène avec amour. Un engagement artistique à saluer ! Bravo pour ce partage. Diane Vandermolina

*Texte paru en 2009 chez Flammarion, à l’issue d’une conférence donnée pendant le Festival In d’Avignon  en 2008 par Alain Badiou, professeur émérite à l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm, mathématicien, romancier et philosophe contemporain.

Rmt News Int • 10 janvier 2017


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