Oui mais alors ! Création 2015 de l’Auguste Théâtre
Duo philosophique et clownesque/ Durée 50 min
Conception et Mise en Scène : Claire Massabo/ Ecriture : Eva Jacobi
Création lumière : Christophe Bruyas/ Jeu : Jérôme Beaufils (Clovis), Jérémy Buclon (Baba)
Quand deux clowns s’emparent des grandes questions philosophiques
Deux clowns, à la fois sérieux et loufoques, candides et fantasques, Baba et Clovis, accueillent le public venu au Dakiling assister à une des représentations de la dernière création de l’Auguste Théâtre en novembre 2016, une création qui repose essentiellement sur le texte et le jeu des acteurs, sur un plateau presque nu.
Ils sont assis là, sur un banc, situé côté jardin, et ils observent le monde qui les entoure, s’interrogeant sur ses origines, les éléments et nos cinq sens, les rêves et l’imagination, le bonheur, l’identité du Je et du Nous, l’individu et la famille, l’infini et le temps, le fait de grandir…
Autant de questions en apparence simples et pourtant essentielles qui relèvent de la philosophie et nous traversent tous un jour ou l’autre. Ici, l’auteur use d’une écriture ciselée et délicate, où l’absurde côtoie la poésie, pour construire une parole, une pensée, une réflexion qui éveille et suscite des interrogations sans pour autant y répondre. Oscillant entre profondeur et légèreté, où la tendresse et la drôlerie se répondent en écho, les dialogues aux jeux de mots savoureux et bien trouvés interpellent le jeune public mais également les grands au sujet de notre humanité.
La création présentée n’est pas sans rappeler un certain texte de Becket : en attendant Godot ! Ici, nos deux clowns clochards passent leur journée en attendant la nuit… sur un banc, certes sans arbre, et que font-ils en attendant la nuit ? Ils philosophent ! Une analogie qui se retrouve dans la composition du duo. Clovis, l’hyperactif impatient, et Baba, le flegmatique qui prend son temps, aiment à se chamailler, se contrarier et se contredire mais ils ne peuvent vivre l’un sans l’autre, à l’image d’Estragon et de Vladimir, les deux clochards de Beckett.
Jérôme BEAUFILS est Clovis, le plus vieux des deux clowns. Ayant alterné répertoire classique et clown, pratiquant les arts martiaux, il fait preuve d’une grande maîtrise des techniques de jeu ainsi que d’une belle mobilité et énergie sur scène. Son jeu est par ailleurs plus corporel et physique que celui de Jeremy BUCLON, jeune comédien interprète de Baba. Issu de l’école régionale d’acteurs, ce dernier a découvert son clown durant un stage avec Catherine Germain et son jeu s’en ressent, perdant de temps à autre son masque, sa maitrise du clown demeurant fragile et le texte chez lui, précédant souvent le corps.
Néanmoins, la différence de formation et d’âge entre les deux comédiens confère au duo clownesque un aspect décalé et improbable même si il est à regretter un manque d’homogénéité dans leur interprétation respective, parfois trop « intellectualisée » et/ou technique, ce qui ne laisse l’émotion filtrer que par intermittence. Or l’art n’est pas qu’une question de technique mais également de vision, disait Proust.
Cette création repose sur un jeu de répétition, élément classique du ressort comique clownesque, mais, hélas, ces répétitions -dont le crescendo peine à atteindre son acmé- n’arrivent guère à impulser un rythme plus effréné au spectacle, les ruptures n’étant pas assez nettes. Néanmoins, l’occupation de l’espace scénique, les déplacements des comédiens et certains de leurs gestes (avec de bonnes idées, la représentation du zéro par exemple), ainsi que le travail de lumière, quant à lui sobre et efficace, sont bien amenés.
A décharge, ce travail n’a été présenté que peu de fois au théâtre, le temps permettra au jeu des comédiens de s’épaissir, prendre plus de corps, et à la mise en scène, de gagner en rythme, dans la mesure où son propos est véritablement engagé dans une pensée du monde qui suscite interrogation* et réflexion chez le public y assistant. Une création dont nous suivrons l’évolution de près. DVDM
*Interrogation dans le sens de questionnement philosophique.
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