Récital de Wenwei Zhang au Temple Grignan
DANS LE CADRE DE LYRICOPÉRA, BEL CANTO ET MÉLODIES CHINOISES
Récital de Wenwei Zhang,
baryton-basse, Soliste de l’Opéra de Zurich,
Vladik Polionov, pianiste concertiste
Marseille, Temple Grignan, 4 février 2017
En 2009, ce jeune chanteur, frais émoulu du CNIPAL (Centre National d’Insertion Professionnelle d’Artistes Lyriques), inaugurait, de magistrale façon, ce qui allait devenir LyricOpéra, qui fait désormais partie du paysage lyrique marseillais sous la férule attentive et tendre de Marthe Sebag. Désormais artiste reconnu, demandé par nombre de scènes allemandes, soliste de l’Opéra de Zurich, distribué dans un Boris Godounov d’anthologie à l’Opéra de Marseille, où il incarne un Varlaam truculent, salué par une critique unanime, Wenwei Zhang, entre deux répétitions, offrait généreusement un récital dans ce Temple désormais aussi de la musique où il fit ses débuts de soliste devant un auditoire conquis.
Ce programme, attentivement servi au piano par le concertiste Vladik Polionov, dont nous avons dit tout le mérite lors de la récente résurrection de la Marie Galante de Kurt Weill, nous promenait des lieder de Schubert à Mozart et des airs de basse du répertoire lyrique romantique, en passant par une découverte pour nous, trois admirables mélodies chinoises. Né en Chine, lauréat de prix internationaux prestigieux (dont la troisième place à l’Operalia de Plácido Domingo), Wenwei Zhang, qui a déjà foulé les scènes de Munich, Francfort et s’apprête à être Sarastro à Berlin, faisait donc briller diverses facettes de son talent, de sa taille et voix imposantes. D’un beau métal égal sur toute sa tessiture, le timbre est musical, couleur lumineuse jusqu’en ses profondeurs, d’un airain sans arête acérée ; volume, puissance, aisance, dons de la nature, sont complétés par une technique vocale sûre et le prédisposent aux grands rôles dramatiques, même s’il saura se montrer diabolique rieur dans ses bis, la sérénade ironique du Méphisto de Berlioz et drolatique dans l’air trop rabâché de « la calumnia » du Barbiere di Seviglia, qu’il ravive d’une verve qui nous ravira dans son Varlaam de Boris.
Comme une marche fatale vers un lointain destin au piano, lancinante, égrenée sous le clavier implacable de Vladik Polionov, dans « Gute Nacht » le premier des trois extraits du Winterreise de Schubert, la voix de Zhang se déploie au-dessus, sans qu’on sente, sans doute déconcerté par ce chant opératique, l’ironie amère du poème. Certes, il convient parfois de chanter la mélodie comme l’opéra et l’opéra comme la mélodie, dans la nuance, la variation des couleurs (Hans Hotter y fut admirable dans ce même répertoire) mais, cependant avec plus d’intériorité dans Der Lindelbaum et Wasserflut, tout en goûtant sa beauté, on a le sentiment que le fleuve ou torrent de la voix de Zhang ne se coule pas facilement dans le ruisseau schubertien.
Il serait odieux d’enfermer un artiste dans les limites de son pays et lui assigner —ou le consigner— sa seule musique nationale : la musique est universelle et ne connaît pas de frontières. Mais il faut reconnaître, même sans en connaître les poèmes juste résumés, que dans les trois mélodies ou airs venus de Chine dont il nous entrouvrait un infime échantillon, très vocal, très lyrique, le chanteur, sans doute plus à l’aise, sut être émouvant, bouleversant : Comment l’oublier?, musique de Zhao Yuan Ren (1927), texte de Liu Ban Nong (1927), assimilant fiancée au pays et mère Patrie : la femme perdue ; Mon pays natal, musique de Zai Yi Lu (2003) sur un poème (1962) de Ren Yu Yu (1879-1924), exilé en 1949 à Taïwan, isolé sans sa famille ; Le grand fleuve d’Orient, poème de Su Shi (1080), mis en musique par Qing Zhu (1920). À part le premier air, gamme pentatonique caractéristique, les deux autres semblent moins identifiables à une première écoute comme orientaux, mais tous disent l’universelle détresse de l’exilé, la nostalgie, l’amour. On aimerait les réentendre pour mieux les goûter.
On devine le grandiose Sarastro de la Flûte enchantée de Mozart que Zhang sera prochainement à Berlin : dans le second air si plein de noblesse et d’humanisme, il sait alléger sa voix marmoréenne pour en distiller et détailler les vocalises. Même art dans le beau légato nostalgique du Bellini de la Sonnambula « Vi ravviso, o luoghi ameni… » (‘je vous revois, lieux pleins de douceur…’). Mais on sent que Zhang est chez lui dans le drame verdien, peut-être moins, trop jeune pour la mélancolie amoureuse de l’homme âgé du Philippe II de Don Carlo, mais à coup sûr dans le grandiose, frémissant de présages funestes à mi-voix du Banco de Macbeth, avant d’éclater en un mi aigu, insolent de puissance et de beauté.
En un interlude entre des charnières du récital vocal, Vladik Polionov menait à l’extase la montée des gammes chromatiques périlleuses du Prélude et mort d’Isolde transcrits par Liszt.
Benito Pelegrín
LyricOpéra
Bel canto et mélodies chinoises
Marseille, Temple Grignan
4 février 2017
Récital de Wenwei Zhang,
Vladik Polionov.
Schubert, Mozart, mélodies chinoises, Bellini, Verdi.