Chansons napolitaines et opéra
LyricOpéra, Marseille, Temple Grignan, 11 mars 2017
Déjà voué, en plus du culte protestant, à la musique par une riche programmation, le Temple Grignan est aussi devenu un temple lyrique grâce à l’obstination, au goût et à l’oreille de Marthe Sebag : elle y programme depuis 2009 des soirées d’un grand niveau vocal mais, avec la particularité qu’il faut signaler, qu’elle donne carte blanche à de jeunes chanteurs prometteurs ou déjà bien affirmés, et certains qui s’y sont produits font désormais de belles carrières. Le mois dernier, l’admirable baryton-basse, Wenwei Zhang, soliste à l’Opéra de Zurich, qui avait inauguré les concerts à l’origine, programmé en Varlaam dans le remarquable Boris Godounov à l’Opéra de Marseille, y était venu donner un récital en remerciement à la confiance qui lui fut faite autrefois. Mais un Luca Lombardo, ténor marseillais qui court le monde en défendant le répertoire français, le Chouiski du même Boris, arrivant de Santiago du Chili où il venait d’interpréter le héros de La Damnation Faust de Berlioz, ne dédaigne pas d’honorer le temple comme chanteur et même spectateur.
Ce soir-là, avec un programme de Chansons napolitaines et opéra qui nous laissait d’abord dubitatif tant on entend, tan-tan, le tintamarre napolitain à la sauce même pas napolitaine même par de grands chanteurs, dans une ignorance bien coupable de l’accent et de la couleur particulière de cette langue, qui mérite plus de respect, je ne serais pas venu sans l’instance de Gérard Monchablon, préposé aux lumières et aux belles projections qui éclairent les airs, fin connaisseur et amoureux des voix, assidu des grands Opéras du monde grâce à sa profession de pilote de ligne pour longs courriers, connu des plus grands chanteurs qui l’autorisent à les filmer pour avoir une trace de leur jeu et chant. Je devais ainsi découvrir le ténor Rémy Poulakis, par ailleurs accordéoniste.
Il partageait l’affiche avec Lucile Pessay, adorable soprano, et le pianiste Vladik Polionov qui les accompagnait attentivement, nous privant ce soir-là d’un solo piano que l’on attend toujours de ce grand artiste salué entre autre par Opéra Magazine, mais s’érigeant présentateur disert mais discret des morceaux interprétés par les chanteurs. Connaissance déjà ancienne mais toujours nouvelle, tant elle sait se renouveler dans un large éventail d’interprétations lyriques, Lucile Pessay, que nous avons la chance d’entendre dans nombre de concerts de qualité, voix soliste des soirées du festival consacré au compositeur Jean-Claude Petit dont nous parlerons, illuminait de son timbre limpide et raffiné, frais vibrato, cette soirée. D’une expressivité vocale sans outrance, la chanteuse nous faisait aussi lire délicatement la partition sur son visage dans deux mélodies de Paolo Tosti, charme troublant de Malia, amertume de l’abandon dans Non t’amo Più. Mêmes qualités de comédienne lyrique, mais dans l’air dramatique, puissant et orné à la fois de la Mathilde de Guillaume Tell de Rossini puis dans les extraits de Rigoletto et de Traviata de Verdi, en solo ou en duo avec Rémy Poulakis.
Ce dernier, pour la première fois à Marseille, avenant et souriant, n’usurpait pas, ne dénaturait pas enfin, comme tant de chanteurs, le chant ni l’accent napolitains, heureux époux d’une femme du cru et l’on peut imaginer les conséquences d’un mariage à la Napolitaine si le mari avait trahi ce patrimoine si charnellement chéri à Naples ! S’ouvrant une ouverture à l’accordéon, telle une déchirure, alors que le piano de Vladik Polionov jouait des arpèges de guitare, il se lançait dans le redoutable et émotionnel Core ‘ngrato de Salvatore Cardillo, maîtrisant la passion, fatale à la voix chantée, tout en nous passionnant et émouvant : voix large, médium solide, aigu aisé, ce qui ne l’est guère pour un chanteur assis, son instrument entre les bras. Du même Cardillo, le plus confidentiel Dicitencello vuie, sera interprété avec une tendre conviction mais, la trop fameuse Danza de Rossini, qu’on se lasse déjà d’entendre tellement, il la renouvelle par la virtuosité de son accordéon aux brillantes variations et la volubilité vocale que témoigne cette voix large et corsée. Il sera un élégant et désinvolte duc de Mantoue avec une belle cadence comme un panache, un bouillant Alfredo avec l’émouvante Violetta de Lucile dans « Addio del pasato… », beaux et touchants duos, et l’on pardonnera aux deux jeunes chanteurs leur bis du sempiternel « Libiam… » de Traviata, usé jusqu’à la corde par des chanteurs sans imaginations réduits à se copier et recopier depuis les Trois ténors, au titre que, oui, eux, ils exécutent réellement les traits délicats, les ornements de séguedille en doubles croches quand tant de chanteurs en font une vraie exécution capitale en les réduisant à la lourdeur de la croche.
Benito Pelegrín
LyricOpéra
Chansons napolitaines et opéra
Marseille, Temple Grignan,
11 mars 2017
Lucille Pessey, soprano, Rémy Poulakis,
Vladij Polionov, piano
Airs de Tosti, Cardillo, Rossini, Verdi.
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