DE L’UNIVERSALITE DE LA POESIE
« Au commencement était le Verbe »
Des mots symboliques qui s’appliquent pleinement aux Universités populaires du Théâtre Toursky : Expliquer, raisonner, entendre, percevoir, entrevoir, questionner, comprendre, rêver…
En ce Jeudi 6 avril 2017, ce sont «Les Poètes et l’Univers » qui sont à l’honneur, et plus précisément, Jean-Pierre Luminet, astrophysicien, conférencier, poète, écrivain, spécialiste des trous noirs et de cosmologie, de réputation mondiale, détenteur de nombreux prix et Richard Martin, directeur du théâtre Toursky, une rencontre autour des étoiles et de la poésie.
La rencontre commence par quelques mots : « Armand a décidé de partir ailleurs… Il fait partie des grandes rencontres essentielles que j’ai faites dans ma vie…» Richard parle de « cette maison » où il est venu si souvent, du « Costanza » sur le Danube, à la rencontre des artistes venus de l’Est, de cette fraternité qui déborde, de cet atelier qu’il faisait avec Jean-Marc Coppola. Et ce sont des applaudissements chaleureux du public qui rendent hommage à Armand Gatti, disparu ce jour, immense poète, artiste et politique, « frangin », compagnon de route de Richard Martin.
Des papillons à l’âme
« Les poètes, de tout temps et de tout pays, n’ont cessé d’interroger le ciel, peut-être pour trouver des réponses aux questions qu’ils se posaient sur terre. A travers quelques textes essentiels lus et commentés, Jean-Pierre Luminet, au travers d’un livre qu’il a publié en 1996 « Les poètes et l’univers », nous conduit dans les méandres de l’imagination créatrice, en s’attachant aux « Rêveurs d’Univers » dont l’intuition poétique a coïncidé, sinon précédé, la découverte scientifique. »
Et des Etoiles dans les yeux
La séance est scindée en deux parties ; une première proposant des textes de poètes de différentes époques, en ordre historique chronologique, et une seconde proposant, toujours par l’intermédiaire du récitant Richard Martin, des poèmes de l’auteur. Chaque poème, dit magistralement, est suivi d’une explication de Jean-Pierre Luminet, plus un éclairage, une précision, un commentaire. Rien de didactique. Le principe étant de mettre en exergue dans la première partie, l’incroyable, l’extraordinaire clairvoyance des poètes et de leur amour de l’univers. Aucun clivage entre les poètes et les scientifiques. Le cosmos est au-delà et à l’intérieur de l’homme, chacun l’explore à sa façon, chacun marrie les mystères du cosmos pour explorer le « soi » intérieur, à la découverte de son passé, de son présent, de son futur.
« Le poète et l’artiste, à la manière du scientifique, inventent la façon de « dire » l’univers » (J.P. Luminet)
« A la faveur d’une grande sensibilité, j’ai compris la corrélation intime de la poésie avec l’univers, et pour qu’elle soit pure, conçu le dessein de la sortir du rêve et du hasard et de la juxtaposer à la conception de l’univers pour sonder le double infini du cosmos et de l’âme humaine. » (Stéphane Mallarmé)
Les lectures sublimes
– d’Héraclite (6e siècle av JC) « Le Cosmos » : «Parmi les choses répandues au hasard, la plus belle, le cosmos… Ni Dieu ni un homme ne l’a fait… » Poète visionnaire, en perspective avec le travail d’un Pythagore ou d’un Platon : l’univers est soumis à des lois, non des Dieux ; les scientifiques sont là pour l’expliciter.
-d’Arastus qui transcrit en vers un « catalogue d’étoiles » d’Eudoxe (-438 – 355), qui découpe le ciel en constellations, et dont le parchemin a été perdu. Cette transcription poétique connut un succès équivalent à celui de la Bible jusqu’à la Renaissance.
-de Cicéron « La musique des sphères » : « La terre me parut minuscule. Quel est donc ce son qui emplit mes oreilles ?… Vous, les hommes, nos oreilles sont assourdies… » Voyage initiatique
–d’Omar Khayyâm, écrivain, savant, astronome persan (1048-1131) qui préconise de se consacrer à l’essentiel et le vin et l’amour comme remède à la prétention humaine. «Nous sommes des pions qui tombent un à un au fond du non-être. Le vaste monde, un grain de poussière dans l’espace… ».
Au 11e siècle, la civilisation arabo-musulmane démontre la parenté entre l’homme et l’univers : les hommes sont « poussières d’étoiles ».
-de John Donne « First Anniversary » (1611), texte hypersensible d’une grande humanité. La mort d’une jeune fille est vécue littéralement comme une fin du monde ; elle est l’occasion d’une description apocalyptique de l’univers. Dans ce poème transparaît la frayeur du poète devant la dissolution et la perte du sens qu’occasionnent les révolutions astronomiques et philosophiques : Elisabeth est morte ; l’ancienne image du monde est morte. Il s’en afflige. Tout vole en éclats, toute cohérence est abolie. « Elle, le meilleur… » Le premier original de toutes les copies.
On assiste aux révolutions entrainées par les découvertes de Newton et de Copernic :
« Où s’effondre l’ancien se bâtit le nouveau »
–de Pierre Daru « l’Astronomie chant I » (1801). Académicien, il entrevoit les limites de la science. « Et l’univers n’a plus ni centre ni limites. Notre brillant soleil, dans cette immensité, n’est qu’un point ; notre terre, un atome habité. »
Révolution remarquable, la terre a été évacuée du centre de l’univers.
-de Jean-Paul Richter qui transcrivait ses rêves au réveil, un rêveur d’univers. « La plus haute pensée humaine »(1895) « Tu peux voler pendant des siècles sans atteindre le dernier soleil et parvenir, au-delà, à la grande nuit. »
-de Jules Lafforgue « Le sanglot de la terre » (1880), poète au destin tragique, inadapté à la société, malade, mal reconnu, c’est la traduction littérale de son spleen et d’un voyage onirique qui le conduirait vers un univers imaginaire plus plaisant. « Eclair de gouffre » : « …l’énigme du cosmos dans toute sa splendeur ! Tout est-il seul ? Où suis-je ? Où va ce bloc qui roule et m’emporte ?… Ah ! Redevenir rien irrévocablement ! »
-de Gérard de Nerval « Les Chimères », poésie visionnaire. « Sais-tu ce que tu fais, puissance originelle, De tes soleils éteints, l’un l’autre se froissant… Es-tu sûr de transmettre une haleine immortelle, entre un monde qui meurt et l’autre renaissant ?… » « Tout est mort. Un souffle vague émeut les sphères vagabondes, un arc en ciel étrange entoure ce trou sombre. »
De Filippo Tommaso Marinetti (1876-1944), auteur franco-italien, fondateur du mouvement artistique et poétique : « le futurisme », simultanéité et dynamisme, le temps et l’espace ; « Il y a des heures qui s’élancent et d’autres qui s’endorment. »
La théorie et les travaux d’Albert Einstein sur la Relativité changent totalement la vision du cosmos, du monde, du temps.
-de Jacques Prévert « Le Temps nous égare, le Temps nous étreint, le Temps nous est gare, le Temps nous est train. »
-de Blaise Cendrars « Orion ». Grand voyageur, il écrit des pages magnifiques sur le ciel, surtout le ciel austral. Son roman « L’eubage, aux antipodes de l’unité » est un récit mythique, explorations de mondes inconnus ; des mondes en éruption marquent le temps, orgue des origines.
-d’Yves Bonnefoy, disparu en 2016, chez qui le sentiment cosmique était présent.
-de Francis Ponge (1898-1988). Avec l’humour qui le caractérise : « Nous voici revenus presque au temps du chaos… »
-de Raymond Queneau (1903-1976) « Petite cosmologie portative » : « l’atome primitif, l’âge du monde, nébuleuse primordiale. »
-d’Henri Michaud « le dépouillement par l’espace » (1966).
Avec la conquête spatiale,
-de Charles Dobzynski « Opéra de l’espace » (1963)
-de Jean Tardieu « le ciel ou l’irréalité » « pulsations de points d’or…Je monte au-delà de ce silence où je retrouve ma patrie. »
Et enfin
-de Marcel Pagnol « La petite fille aux yeux sombres » : « La prunelle de ses yeux est plus vaste pour moi que l’infini des mondes ».
Jean-Pierre Luminet : Le Poète sondeur de l’insondable
La deuxième partie est consacrée à la lecture par Richard Martin d’extraits de poèmes de Jean-Pierre Luminet. Un vent de fraîcheur teinté d’érotisme poétique envahit la salle Léo Ferré. L’astrophysicien revient à l’origine, le cosmos fait femme, et la femme faite amour ; sans-doute l’amour d’un homme pour la vie et l’espace. L’espace de Jean-Pierre Luminet, porté par la voix grave et captivante de Richard Martin, cet espace envahit la salle et l’étreint dans un émoi partagé. Les mots sans ambages sont à la mesure de l’homme qui les écrit, celui qui scrute et décortique le cœur et les âmes, ce scientifique poète « cartésien », mêlant les corps charnels et les corps célestes, au charme mystique et absolu.
« Les montagnes craquent les mers fument contre le ciel ce qui arrive sur nous est un trou de lumière douce tiédeur de la concoction brûlure du désir il est rarement question de lumière la vie organique est éternelle à mesure que l’espace se creuse aux yeux nous ne trouvons rien qui ressemble à l’enfer comme des étincelles dans les roseaux transmuées en substances lumineuses nous sommes une lente rêverie végétale où s’étirent les rameaux du désir c’est ainsi que se consume l’univers et cela éternellement. »
Danielle-Dufour Verna
Prochaine université populaire : « Peut-on parler calmement de laïcité » avec Maïssa Falha et Marc Rosmini, professeurs de philosophie et Richard Martin. Mercredi 26 avril 19h Salle Léo Ferré du Théâtre Toursky
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