Des festivals et des structures culturelles en état d’urgence
Les récents résultats aux législatives ont permis au gouvernement actuel de récolter une large majorité à L’Assemblée Nationale, un résultat certes attendu, longuement débattu ces derniers jours, un record d’abstentions chiffré encore plus commenté… Je ne reviendrais pas sur ces éléments que chacun de nous connaît et sur lequel nous avons chacun notre petite idée. Je n’exprimerais ici que ma grande tristesse au regard de l’état de déliquescence de notre démocratie aujourd’hui.
Ma plus grande inquiétude est celle de la volonté affirmée de prolonger encore jusqu’au 1er novembre 2017 l’état d’urgence en attendant la promulgation d’une énième loi antiterroriste : depuis 2015, cet état d’exception se pérennise au fil des attentats commis ici et ailleurs, surfant sur le sentiment de peur et de terreur que ces actes inspirent aux citoyens, pour devenir in fine un état « normal ». Cette normalisation d’un état d’urgence où les libertés se voient réduites et les mesures sécuritaires accrues est fort dangereuse pour notre culture.
Et ce, tant du point de vue éthique, où la liberté d’expression artistique inscrite dans la récente loi LCAP* s’en trouve ici contrainte, que du point de vue financier où la sécurité, pourtant mission régalienne de l’Etat, est laissée à la charge des communes. Or, ces dernières, par manque de moyens ou non, font hélas peser, dans de nombreux cas, en tout ou partie, sur les acteurs culturels, les coûts et surcoûts liés à la, désormais incontournable, sécurisation renforcée des manifestations** du fait même de cet état d’urgence normalisé.
A Marseille, cet état de fait a obligé le Bureau Intermédiaire de Production (BIP), organisateur des fameux rendez-vous du Kiosque, à annuler purement et simplement les deux dernières dates de la 6è édition de leur manifestation, à la fois gratuite et populaire, grandement appréciée des marseillais. Certes, d’aucuns diront qu’à Marseille, nous avons depuis janvier les Dimanches de la Canebière et en prélude à celui du 25 juin, quatre journées dédiées aux 90 ans de notre belle avenue organisées par la Cité des Associations.
Rappelons ici qu’il s’agit là d’initiatives voulues par les instances politiques de notre ville : cette dernière s’est, par ailleurs, engagée pleinement dans la sécurisation de ces manifestations. Or, ce n’est pas le cas de toutes les manifestations organisées, en rue (sur la Canebière ou sur l’Esplanade Barjemon), ou en plein air dans un espace semi-ouvert (un parc ou un jardin à l‘image de Borély ou de Longchamps), par les structures culturelles privées, en dehors bien entendu des grands événements soutenus par les tutelles (exemple du festival de Jazz des 5 continents).
Pour mémoire, le festival Etang d’Arts (19è édition) qui devait se dérouler au Parc Borély mi-mai a été annulé : il aurait fallu, pour qu’il ait lieu, qu’il réponde aux exigences de sécurité d’une fan zone, ce qui était financièrement impossible pour l’association porteuse du projet. N’oublions pas qu’il avait été demandé au BIP pour assurer son rendez-vous mensuel de prendre après 18h, le relais de l’impressionnant dispositif de sécurité mis en place, les tutelles n’en assurant plus après cette heure-ci le soutien logistique ni la prise en charge des frais des agents.
On assiste progressivement à la restriction de facto de l’expression même des acteurs culturels de moindre envergure financière. Dans la mesure où l’argent est le meilleur moyen de contraindre une structure au renoncement, et un abandon total d’une action culturelle, on peut craindre, sous prétexte de l’état d’urgence pris comme alibi, un musellement des petites et moyennes structures culturelles condamnées au silence artistique, avec le risque d’arrêt complet de leur activité. De plus, la baisse accrue des dotations des tutelles aboutit à la concentration (voire à ce qui est joliment appelé une mutualisation des moyens) dans les mains d’une poignée de personnalités, de l’expression culturelle diffusée.
Cent cinquante structures culturelles de PACA (à lire ici) ont par ailleurs en mai dernier saisi les tutelles sur leurs difficultés financières sans obtenir grand écho auprès des politiques : elles vivent une crise sans précédent qui s’est encore plus aggravée ces derniers temps. Et il m’est d’avis que l’Etat d’urgence n’y est pas pour rien. La culture dans toute sa diversité et ouverture ne peut en sortir qu’affaiblie et cet appauvrissement de l’offre culturelle se fait au détriment d’un public, éloigné et souvent exclu des événements culturels couteux ou élitistes, inaccessibles pour lui***, public avec lequel les structures culturelles de proximité travaillent avec ferveur afin qu’ils s’approprient la culture et y participent.
Il en va de l’avenir de notre humaine condition : cette liberté de pensée et d’expression si chèrement acquise par nos aïeux permet de développer notre esprit critique, élever nos âmes et ouvrir nos cœurs à la tolérance et à la fraternité. Sans culture digne de ce nom (c’est-à-dire une culture plurielle et ouverte sur l’autre et non une culture uniforme et centrée sur elle-même telle qu’elle peut être engendrée par une trop grande concentration des moyens), qu’adviendra-t-il de notre humanité?
Diane Vandermolina
* Loi n°2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à la liberté de diffusion de la dite création mais également à la promotion de la diversité culturelle et à l’élargissement de l’accès à l’offre culturelle.
**Notamment ce qui concerne la sûreté des spectateurs qui nécessite la mise en place de barrières sécuritaires ainsi que, et surtout, l’embauche couteuse d’agents de sécurité du privé en nombre pour réaliser les fouilles.
***Et ce même si un grand travail de sensibilisation auprès des publics dits empêchés est effectué par les structures proposant ce type d’événements.