Sur la scène du Théâtre du Gymnase à Marseille, Natalie Dessay dans « UND »
Telle une cariatide, elle se dresse, immobile, au centre de la scène, cependant que le public envahit la salle. Sa robe rouge sculpte son corps. Ses yeux seuls sont vivants. Au-dessus d’elle, un plafond de lames de glace ruisselle, rendant plus irréelle encore cette figure antique. Côté cours de la scène, un guitariste assis derrière des tiges de fer blanc, habillé simplement. Il est là, mais à part, comme ne faisant pas partie d’un tout. Son emplacement est d’ailleurs délimité. En elle rien ne frémit, immuable et hiératique, malgré la longue attente. Va-t-elle s’animer et danser en l’honneur d’Artémis ?
Elle, c’est Natalie Dessay ; Merveilleuse, extraordinaire Natalie Dessay. La pièce qui la retient ainsi longuement immobilisée, plantée au milieu de la scène avant de laisser couler les mots comme un appel à la vie, c’est UND, de Howard Barker, mis en scène par Jacques Vincey. Le guitariste se nomme Alexandre Meyer. Et la salle qui accueille en ce jeudi 1er Juin 2017 cette œuvre et ces artistes admirables, c’est celle du Théâtre du Gymnase à Marseille que Natalie Dessay a choisi pour terminer sa tournée théâtrale avant la reprise en octobre à Paris.
UND (ET), c’est le monologue d’une femme qui attend un homme qui ne vient pas. Existe-t-il seulement ? Des mots qui heurtent, cognent, résonnent, interrogent. Des phrases criées, hurlées, scandées, murmurées, diction et articulation parfaites, et la voix grave, chaude, transcendante de Natalie Dessay. UND, c’est un dialogue avec la glace qui se délite et tombe avec fracas sur scène, éclaboussant Natalie. Elle est droite, fière, altière, puis se contorsionne, supplie, a peur. Peur de la mort peut-être ? Peur de la vie sûrement. L’ombre du fascisme, des camps de la mort, plane sur la scène. Jusqu’à la cendre qui descend jusqu’à elle sur un plateau et où elle enfouit ses doigts :
« -Je ne suis pas une aristocrate, je suis une Juive »
C’est un dialogue avec la musique, les sons : des sons de cloche à la porte, des bruits terribles qui font sursauter, des lamentations qui font tressaillir, des échos de voix. Mais sont-ils vrais où est-ce seulement le fruit de son imagination ? Qui est-elle vraiment ? De statue grecque en triste Pierrot lunaire, de l’orgueil à la pitié, de l’extravagance à la détresse, cette femme n’est qu’une humaine. Une humaine en quête d’amour, dans une tentative désespérée d’arrêter le temps. Où est-elle ? Dans son salon ? Dans une prison ? Retenue prisonnière dans un asile froid et aseptisé ? Le décor existe-t-il ou est-ce hallucination ? Et nous, pauvres humains, buvons-nous à la fontaine de sa folie ou à celle de la vérité ? Impossible de détacher le regard de cette femme torturée, abandonnée, seule. Inimaginable de ne pas entendre ce flot de paroles qu’elle érige en barrière de l’inéluctable. Illusoire de croire pouvoir résister à ce flot de sentiments qui nous submerge. Chimérique d’espérer en sortir sans avoir été perturbé, ébranlé.
Extraordinaire, prodigieuse performance de Natalie Dessay, éblouissante de bout en bout dans ce rôle d’une difficulté absolue. Une création, une mise en scène, inventives, déstabilisantes, géniales. L’intensité de l’interprétation de Natalie Dessay, l’émotion et la force qu’elle dégage font de cette artiste fine et sensible une comédienne absolue. Alexandre Meyer est excellent.
La salle acclame une Natalie Dessay pieds nus et trempée, donnant la main à son partenaire musicien. Vous avez changé de répertoire Madame ? Permettez-nous de vous remercier de cette décision qui donne au théâtre une de ses meilleures comédiennes.
Danielle Dufour-Verna