Quand la POESIE et la MUSIQUE se SUBLIMISENT : « LA MEMOIRE ET LA MER »
Salle comble ce samedi 18 novembre 2017, au théâtre Toursky à Marseille, pour un gala exceptionnel : Richard Martin, au sommet de son art et Vincent Beer-Demander, le « Paganini » de la mandoline ont littéralement ébloui les spectateurs, debout, subjugués, « chamboulés », ravis.
Ils se sont rencontrés là, Richard et Vincent, le musicien et le poète, sur la belle terrasse de ce théâtre rebelle qui ne veut pas mourir. Les arbres qui la recouvrent ont eu la primeur de leur projet. Quoi de plus naturel d’ailleurs ! Ne dit-on pas qu’ils ont une âme ? Peut-être sont-ils plus sensibles à l’art que ne le sont les responsables politiques délégués à la culture ? Car les promesses d’aides au théâtre Toursky n’ont pas été tenues et ce sont les artistes, irréductibles saltimbanques devant l’éternel, qui se mobilisent dans des soirées de soutien dont ce gala faisait partie.
Sur scène, un ménestrel et un amoureux fou de Ferré, deux artistes immenses ont conjugué, mêlé, marié, clamé leur passion solidaire. Mais le ménestrel n’est pas venu seul. Un orchestre composé de quarante mandolinistes l’entourent. C’est un concert de cordes pincées, grattées, frottées, entrecoupé d’onomatopées, ou plutôt d’interjections, fulgurantes comme les ressacs de la mer, donnant à l’ensemble une modernité, une contemporanéité surprenante et totalement fascinante.
Vincent Beer-Demander rend ses lettres de noblesse à cet instrument magnifique, la mandoline, profondément ancrée dans l’histoire de la musique méditerranéenne. Musicien éclectique et prodige, sa musique est jouée dans le monde entier.
On ne présente plus Richard Martin : directeur de théâtre, metteur en scène, dramaturge, auteur et comédien français, reconnu ardeur défenseur du théâtre pour tous. Mais ce que ne dit pas Wikipédia c’est : le frère, l’ami, le fidèle, le libertaire, le saltimbanque, l’homme tendre à l’amour débordant pour ses frères humains les plus meurtris, irrémédiablement rebelle, LE POETE.
« La poésie est une clameur. Elle doit être entendue comme la musique. Toute poésie destinée à n’être que lue et enfermée dans sa typographie n’est pas finie. » (L. Ferré)
Richard « EST » Léo, deux frères unis en éternité.
Qui, mieux que Richard Martin, pour dire avec force, avec ardeur, ce sommet de la poésie et de la chanson française peut-être jamais égalé ?
Mélange de sexe, de mots, de mer… D’une beauté surprenante et rare. La voix de Richard Martin, magistrale, son timbre chaud, grave, qu’il module, qu’il amplifie, qui résonne, recouvrant l’espace, suffirait sans doute à cette œuvre car sa voix est musique. Dans ce texte, l’écriture de Ferré fait appel à des images complexes et à des éléments autobiographiques que l’artiste imbrique dans un fil d’Ariane difficile à suivre pour le profane. Richard Martin a choisi, pour cette création, d’allier la musique à la voix. Le résultat est époustouflant :
Léo est là, immense, les poings levés. Les cheveux blancs qui encadrent le visage de Martin sont ceux de Ferré. La gouaille, la verve, le sourire, tout est là, tout est dit. Tout est nuance, clameur, amour. Le poète chuchote et ses mots retentissent jusqu’au dernier rang avec une clarté qui relève de la magie… et du talent. Qu’il est bien servi Léo ! Le frisson parcourt la salle, tenue en haleine par ce chantre de l’amour. La langue de Ferré est flamboyante et Richard Martin est bouleversant de vérité : force du verbe et sens intense de la dramaturgie. Son interprétation est d’une justesse et d’une simplicité remarquables. Les colères, les sourires, la profondeur, la tendresse et le désespoir de Ferré sont là. Richard Martin ose les silences qui rebondissent sur une voix puissante, profonde, qui happe le public et l’étreint.
Un poète et des musiciens AU DIAPASON
« Ce qui aurait pu être une simple rencontre –dit Vincent Beer-Demander- est devenu un projet de cœur où le grand artiste qu’est Richard a littéralement donné des ailes aux petits, aux grands, jeunes et chevronnés, virtuoses et amateurs de l’orchestre et nous nous sommes tous laissé emporter dans l’univers Martin-Ferré… c’est ce que Maxime (Maxime Vagner) et moi voulions, et la résidence d’une journée au Théâtre Toursky n’a fait que renforcer ce lien très fort entre son directeur artistique et nos musiciens.»
Une mélodie, simple comme l’amitié, berce cette émouvante ode à l’audace, une harmonie miraculeuse.
Le spectacle commence par une ouverture composée par Vincent Beer-Demander, grand amoureux de Ferré, dans le caractère engagé qui convient au poète. Elle annonce le climat, mais aussi les possibilités techniques et sonores de son orchestre constitué de mandolines, mandoles, guitares et contrebasses. Puis débutent les premiers arpèges à la guitare de la musique composée par Léo sur laquelle rentre discrètement Richard Martin.
ET LA MAGIE OPERE
Avec tout l’univers de Léo, dont certains textes évoquent d’ailleurs la mandoline. Plusieurs musiques mélodieuses, dans l’esprit « chanson française », mettent le texte en lumière sans jamais l’écraser. Parfois c’est la musique qui s’exprime seule, après un mot, un souffle même de Richard, parfois le silence devient musique et Richard Martin capture l’émotion, cette émotion constante, palpable, qui transforme l’instant en éternité.
Parfois la musique sert d’écrin à la voix. On devine chaque musicien impliqué dans le champ émotionnel du « récitant-poète ». Ils réagissent avec lui par un crescendo, un diminuendo, un arrêt brutal, un piano, un forte…
L’orchestre et son chef magnifient ce tourbillon de mots où le lyrisme de Ferré atteint le sommet tout en maintenant une grande rigueur dans la versification : une véritable magie musicale qui épouse les mots.
Ce mariage des notes et des mots, de l’orchestre de mandolines dirigé par Vincent Beer-Demander et de la virtuosité de Richard Martin dans « La Mémoire et la Mer », est un chef-d’œuvre.
« Avec le temps on aime plusssssssss »
A la fin du spectacle, Richard Martin n’incarne plus seulement Léo, mais lui, mais nous, mais la vie.
Vincent Beer-Demander glisse à ses côtés les accords discrets de sa mandoline sur le thème de la chanson. Vincent Vagner improvise à la guitare des harmonies sur le même thème. La voix de Richard se fait nostalgie, tristesse, fatalité, vieillesse, tendresse. C’est le temps du dépouillement, l’âge du déclin « où l’on se sent blanchi comme un cheval fourbu». D’une manière éblouissante, en tournant le dos à tout compromis, à toute complaisance, la voix de Richard est un appel qui déchire le cœur. Inutile de se dérober, il y a là une fatigue dominée par la fuite du temps. Grandir, vieillir, c’est arracher le masque et laisser la peau nue. Vieillir, c’est regarder en arrière et s’approcher de la vérité. La vie nous interdit formellement de prendre congé… de la vie. Quand l’amour s’en est allé, chacun bricole les ressorts de sa propre vie, ou de sa survie. « Avec le temps », ce sont les paroles de la rue, avec les mots de tous les jours « les mots des pauvres gens », un texte caractéristique de l’oralité que Richard Martin empoigne à bras le corps.
Merci, poète
L’émotion fait face à ce temps qui s’avance, qui se retire, qui file, qui s’effiloche ; à ce temps qui sépare ; à ce temps qui endeuille. Le tutoiement nous plonge dans notre quotidien, dans l’intimité de la vie à deux, de la vie de couple. Celui des petits riens, des petits accidents « l’autre qu’on cherchait sous la pluie ». Mais avec le temps on se souvient de l’amour fou, de l’amour passion. Et si on se souvient, c’est qu’on est vivant. On a encore le temps de la révolte, le temps d’aimer encore et de souffrir peut-être, mais le temps de vivre, celui d’avoir envie. Alors si, avec le temps, les blessures sont toujours là, c’est la preuve, pour Richard, qu’avec le temps, le cœur bat toujours, qu’ « avec le temps, on aime plussss ! ».
L’émotion l’oppresse. Richard Martin nous dédie la plus belle déclaration d’amour. Son cœur bat à l’unisson de cette fraternité qui l’habite et qu’il nous communique, sans détour. Merci, poète.
L’orchestre termine le spectacle avec brio. Puis, c’est un déchainement dans la salle, debout, applaudissant à tout rompre l’orchestre et Vincent Beer-Demander, son talentueux chef d’orchestre, l’immense Richard Martin et l’inoubliable Léo Ferré.
On savait Léo Ferré poète de l’univers. Avec le temps, aujourd’hui, c’est Richard Martin qui tutoie les étoiles.
En première partie, deux chanteuses de talent, Giselle Maurizio, accompagnée au piano par Marja Jolivet, et Natasha Bezriche-Gastinel, avec Sébastien Jandon au piano, ont tour à tour interprété Ferré de manière magistrale, plongeant les spectateurs dans le monde étourdissant du poète. Deux chanteuses aux timbres de voix différents et magnifiques. Chacune à leur manière ont épaté le public, littéralement sous le charme, comme en témoignent les applaudissements qui ont éclatés à la fin de leur prestation.
Danielle Dufour-Verna
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