Boradway symphonique à l’Odéon de Marseille
L’HEURE AMÉRICAINE DE L’ODÉON (I)
Avec une programmation (on s’en tient au musical) qui réveille un répertoire endormi d’opérettes, l’Odéon veille sur un répertoire patrimonial de culture populaire en déshérence que les aînés, les grands aînés, très grands aînés, parents, grands-parents et même plus qui font le gros du public, rêveraient de transmettre à leurs enfants. Ceux-ci ne sont pas oubliés avec des spectacles à eux destinés, comme Hänsel et Gretel, dont, à défaut de l’avoir vu, on imagine la féerie : l’essentiel est le premier pas, qui ne coûte pas cher pour les enfants, de franchir le seuil d’un théâtre et de s’installer dans un fauteuil en attendant que le rideau s’ouvre pour que la magie opère, opérette ou opéra. Le goût acquis dans l’enfance se cultive toute la vie.
On tirera vite le rideau sur Rêve de valse d’Oscar Strauss, fadasse fadaise mal fichue du livret : même la plus haute fantaisie irréaliste a besoin d’un grain de réalisme pour qu’on marche à son irréalité. Alors, ce grand dadais d’officier français marié de force à une jolie princesse aimante (Charlotte Bonnet), un jour appelée à régner, qu’il dédaigne pour courir un problématique guilledou avec une également jolie musicienne de taverne (Cécilia Arbel), alors que rien ne l’empêche d’avoir les deux, n’est guère crédible, même incarné en belle voix et allure par Lionel Delbruyère. Le convenu couplet sur la nostalgie de la coupe de champagne des libations parisiennes ou valses viennoises, horizon bien limité des ambitions du pâle héros, ne fait guère pétiller l’ensemble, malgré la pétulance de Cécile Galois et Dominique Desmons seul duo drôle de la pièce qui frôle l’indigence théâtrale malgré le savoir-faire de Jack Servais, d’excellents chanteurs, et l’intelligence de la direction d’Emmanuel Trenque qui dirige avec finesse l’Orchestre de l’Odéon, faisant briller des détails délicats, il est vrai, de cette musique.
Avec bonheur, on retrouve Emmanuel Trenque flamboyant, plein de fougue et de feu de la baguette aux souliers rouges comme certaines cravates, nœuds papillons, fleurs, châles ou chaussettes des musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Marseille qu’il enflammepour Broadway symphonique, tonique concert qui soulèvera l’enthousiasme de la salle.
Le premier morceau, A salute to Richard Rodgers faute d’explication d’un très sommaire programme, est sans doute un ‘ Salut’, un hommage à Richard Rodgers (1902-1979), immense compositeur à l’importante influence sur la musique populaire bien au-delà de l’Amérique, auteur de quarante-trois comédies musicales, de musiques de films et de neuf cents chansons mondialement connues dont My funny Valentine, The lady is a tramp. Ce pot-pourri, cette probable miscellanée (bon, osons medley pour être dans le ton) de morceaux en ouverture, commençant par un glissando tempétueux, passant par des plages calmes, de tendres valses, des crescendos a tutti moins agressifs que jouissifs, à grand renforts de toniques vacarmes de cuivres excitants, exaltants, percussions, batterie, timbales, marimba, tout un orchestre déployé et déchaîné dans une fête de couleurs de timbres, sera la caractéristique de cette musique de la soirée : une image sonore d’une Amérique triomphante, à la joie communicative, de juste après la fin de la Grande dépression et… de la prohibition jusqu’à pratiquement nos jours. Non pas cette frileuse « America first » du repli égoïste de Trump, mais une Amérique débordante d’énergie contagieuse, de joie de vivre à partager.
Les moments lyriques sont assumés par deux jeune et beaux chanteurs, le ténor Gregory Benchénafi, déjà salué à l’Odéon, et Marion Taris, soprano. L’orchestre se fait délicatement nocturne pour le « Tonight » tiré de West side story de Bernstein, enveloppant tendrement le jeune couple découvrant l’amour, et Benchénafi se fait magiquement le jeune Roméo newyorkais pour murmurer rêveusement « Maria », le réciter comme un chapelet, une litanie, une religion d’amour, émerveillé de sa douceur, jusqu’à le clamer, le proclamer éperdument comme une évidence de la vie. Avec un art consommé de la nuance, de la demi-teinte et du fausset, avec un engagement physique très expressif, il sera l’émouvant Marius des Misérables de Claude-Michel Schönberg (un Français, d’origine hongroise) chanté en anglais. Son médium corsé, certes aidé par le micro, lui permet de barytonner la déclaration passionnée de Porgy « Bess o, Bess, you is my women now » à laquelle répond avec force et douceur Marion Taris, magnifique duo de Porgy and Bess de Gershwin. La jolie soprano émeut avec un autre air et nous caresse avec la tendresse déchirante de la fameuse berceuse « Summertime ».
Au programme encore, un brillant extrait du fameux Chicago de John Harold Kander, un autre de Wicked de Stephen Schwartz et le concert termine, mené toujours de main de maître par Trenque, avec une irrésistible vitalité, par Symphonic Reflections, un medley tiré des œuvres Andrew Lloyd Webber, célèbre compositeur britannique, auteur, entre autres succès, des comédies musicales Jésus Christ super star, du Fantôme de l’Opéra, etc : des mélodies passent dans l’orchestre, fredonnées par le public, preuve qu’elles ne passent pas.
Dans ce concert marseillais si américain, sur sept compositeurs de musiques « américaines » jouées à Broadway, un Français, un Anglais, et trois des plus grands, d’origine juive : une belle image de l’Amérique ouverte que nous aimons, pas de l’étroitement WASP (White Anglo-Saxon Protestant) à la Trump replié en ses frontières mentales de nationalisme étriqué, mais du melting pot de nations, de races et de cultures vivantes qui la constituent et qui font la musique universelle.
BENITO PELEGRÍN
Théâtre Odéon Marseille
Broadway symphonique
Orchestre philharmonique de Marseille
Direction Emmanuel Trenque
Marion Taris, soprano ; Grégory Bénéchafi, ténor
Musiques de Bernstein, Gershwin, Rodgers, Schwarz, Schönberg, Webber.
30 novembre