Le violon pleure Didier Lockwood
Lors de son dernier passage au théâtre Toursky qu’il affectionnait qui l’aimait tant, j’avais écrit : « Didier Lockwood frotte, pince, fait vibrer, chanter, piailler, comme autant de passereaux ou de mouettes survolant les pointus des pêcheurs dans le port de Marseille, les cordes de son violon lyrique, révolté, endiablé. »
Aujourd’hui, l’immense musicien poète s’en est allé. Ses doigts ne caresseront plus les cordes de son violon. Les oiseaux se sont tus. Le violon est orphelin.
Un message laconique a envahi les ondes et les réseaux sociaux, répercuté, retranscrit des milliers de fois :
« Son épouse, ses trois filles, sa famille, son agent, ses collaborateurs et sa maison de disques ont la douleur de faire part de la disparition brutale de Didier Lockwood dans sa 63e année »
Il est possible d’écrire au passé sur « le » géant de la musique Jazz. On peut parler à l’imparfait de « la » sommité de la scène mondiale. Pas d’un ami, et cependant…
Didier Lockwood c’était la simplicité, l’élégance de l’âme, la bonté, la générosité, la fraternité, le partage. La citation de Pablo Neruda, devise de l’Odyssée du Danube : « Nous, les poètes, nous haïssons la haine et nous faisons la guerre à la guerre. », Didier Lockwood l’avait faite sienne. Il avait vogué pour la paix en compagnie de ses compagnons saltimbanques, écrivains, musiciens, poètes, pour cette Odyssée de la Paix. Il rejoint Armand Gatti, parti lui aussi, et tant d’autres faiseurs de rêves. Aux côtés de Richard Martin, il luttait inlassablement, fidèle à ses idées, pour la survie du théâtre, offrant sans réserve son temps et sa passion.
Didier musicien, Didier Jazziste, Didier pédagogue, Didier compagnon : avec Richard, Pierre, Michel, Bernard, Pietra, Julien, Lévon… (on ne peut tous les citer), il tissait les filets de l’amour, son violon à la main. Didier Lockwood était un passeur d’étoiles.
Les médias du monde entier évoquent son extraordinaire carrière, mais il y a bien plus. L’émotion ressentie comme un coup de tonnerre, c’est l’homme qui la porte. Didier Lockwood était lumineux, intelligent, cultivé. Son archet était au service de sa sensibilité, de son humanisme.
Le violon frémissait sous la caresse du visage de Didier Lockwood. Les sons en émanaient comme par magie : un feu-follet agrippant des cordes, la symphonie de mille chardonnerets, le clapotement de l’eau sur la pierre du torrent, le glissement du vent dans les feuilles d’un arbre, le bourdonnement de l’abeille sur les champs de lavande, le bruissement des blés mûrs un soir d’été. Le théâtre Toursky est imprégné du sourire de l’artiste. Il résonne du rire de son ami. Aujourd’hui Richard, Françoise, Serge, Didier, Marc, Nadia, Fatou, Guy, Francis, Jean-Pierre… etc. tous ceux qui font que le Toursky existe cherchent l’écho de sa voix, le chant merveilleux de son instrument.
En apprenant son départ brutal, le monde entier a retenu sa respiration. Oui, aujourd’hui, les oiseaux se sont tus. Les poètes, la musique, les violons sont en deuil. Nous sommes tous orphelins.
Danielle Dufour-Verna