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La Fontaine en ville par les Tréteaux de l’Ubaye

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De l’entrain et de la générosité dans cette pièce adaptée librement des fables de la Fontaine

Portée par les tréteaux de l’Ubaye, une troupe amateur de 8 comédiens de tout âge (à parité égale : 4 hommes, 4 femmes), La Fontaine en ville, spectacle tout public d’une heure, a été présentée le 5 mai à la salle des lices de Marseille, mise en scène par Gérard Colombani.

La Fontaine quand tu nous tiens!

Le metteur en scène a également imaginé des kakémonos géants pour figurer les décors de chaque saynète : un grand chêne vert bien feuillu perdu en rase campagne, un rideau métallique crasseux fermé sur une ruelle malfamée, une barre d’immeuble aux centaines de fenêtres surplombant la ville, et une forêt de roseaux bordant une plaine soumise aux quatre vents. Quelques éléments épars en fond de scène (ici, un plot de travaux et un saut, côté jardin ; là-bas, une grande échelle et un morceau de tôle figurant un puits, côté cour) viennent compléter le décor dépouillé du plateau, un bel écrin de jeu pour les comédiens. 

Ces derniers, vêtus de noir, arrivent, en file indienne, à la suite, sur la scène, au son d’une petite musique entêtante et enjouée, leitmotiv musical donnant le La à chaque début de tableau. Un personnage tenant un livre est déjà sur la scène, proposant aux acteurs des masques et autres accessoires. Une mise en scène qui fourmille de bonnes idées (notamment les intermèdes – quand Gérard joue le facteur, voire quand s’invitent deux rappeurs sur scène-, mais la fin, également, avec la mort du chêne, sont bien vues) et une entrée en matière qui nous rappelle que nous sommes au théâtre et que nous allons voir des acteurs se métamorphoser en animaux de tout poil pour nous conter quelque fable animale. Chaque comédien doit ainsi incarner les personnages animaliers des fables de la Fontaine, affublés d’un masque et/ou d’une queue, symbole de l’animal de la fable présentée.

Et à chacun de mimer la démarche de l’animal qui lui est dévolu (la tortue avec sa maison sur son dos à la démarche pesante, la grenouille sautillante avec son ballon, la cigale musicale qui virevolte à l’envi avec ses Caracas, la fourmi travailleuse et affairée avec son balai), d’en prendre l’attitude (le loup affamé et carnassier, l’air menaçant ; le renard agile et malin, l’œil roublard ; le lièvre bondissant et joueur ; l’agneau apeuré aux pattes tremblantes ; voire les rats des champs insatiables à la démarche penaude), d’en saisir un trait de caractère caractéristique (le gros chien ventru à l’aboiement roque, heureux dans sa prison dorée qui satisfait à sa gourmandise; le bœuf bien gras et bonhomme dont la seule préoccupation est de se remplir la panse ; le majestueux corbeau qui n’a de cesse d’agiter ses ailes pour montrer son beau plumage ou encore le bouc idiot et bien naïf, avec son regard effaré, qui irait se noyer si on le lui demandait).

Les tableaux se succèdent avec rythme : un petit noir, bref, permet de passer d’une scène à l’autre sans perdre le fil du spectacle, aucun temps mort ne vient interférer dans le déroulé de cette création vive et dynamique, rythmée par une musique entrainante et joyeuse à l’image de la troupe. Car ici, les comédiens font preuve d’un bel effort de diction (chose si rare aujourd’hui au théâtre) et tentent de personnifier les animaux avec conviction et sérieux, même si à certains moments les gestes, parfois pas assez précis et marqués, peuvent paraitre parasités par un relâchement dans le jeu (notamment chez le jeune Zaccharie qui tend à en faire un peu trop ou lors des entrées/sorties des personnages). Néanmoins, l’ensemble est homogène et les correspondances entre le comédien et l’animal incarné sont judicieuses. Un très bon choix dans la répartition des rôles.

Un éventail également avisé de fables bien connues de tous et de fables méconnues, joliment réécrites. Parmi elles, citons La cigale et la fourmi  (avec Carine et Lise), Le loup et le chien  (avec Thomas et Isabelle), La grenouille et le bœuf  (avec Lily et Isabelle), Rats des villes, rats des champs (avec, Théo, Zacharie et Carine), Le loup et l’agneau (avec Thomas et Théo), Le renard et le bouc (avec Zacharie et Lise), Le lièvre et la tortue (avec Thomas  et Lily), Le corbeau et le renard (Carine et Zacharie ainsi que la participation de DMA, un jeune rappeur marseillais, et de son acolyte, Swanny) pour finir avec Le chêne et le roseau (tous).

Il est agréable de voir ici une troupe composée de jeunes et de moins jeunes qui travaillent, main dans la main, dans la bonne humeur et en belle intelligence, avec respect. Et même si la création souffre d’un manque de temps de répétition (notamment pour la tenue des personnages), qu’elle a besoin d’être peaufinée (surtout au niveau du rapport du comédien au masque, très spécifique au jeu masqué qui requiert un travail précis et particulier sur l’intention*), elle est néanmoins fort agréable à découvrir, de bonne facture, et peut rivaliser avec d’autres créations dites professionnelles moins abouties. D’autant plus qu’elle propose de redécouvrir les fables de la Fontaine et par les temps qui courent, c’est une excellente idée : la création nous fait ici réfléchir sur notre humanité, nos travers persistants, et notre société, telle que nous l’avons modelée.  Ce fut ainsi un bon moment de théâtre que ce La Fontaine en ville.

In fine, soulignons la générosité du metteur en scène qui a invité un jeune groupe de rap marseillais DMA et leur a offert un set musical de 4 singles pour clôturer la représentation à laquelle ils ont participé, étant intervenu sur une fable avec un sens du jeu et des mots bienvenus. Un jeune groupe à écouter qui a su nous séduire par son humilité, sa prestation scénique, la sensibilité de ses propos et sa musique. A suivre donc ! Diane Vandermolina

*Cela nous amène à nous interroger sur le choix du masque dans cette présentation, quelques accessoires et la pantomime sont suffisants pour créer l’illusion animale sachant que les masques sont ici de textures et matières, de qualité et style, fort différents et qu’un petit loup comme ceux du final pouvait suffire.

Copyright photos: Florence Rougny/www.florencerougny.com

Infos et Distribution:

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Rmt News Int • 11 mai 2018


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