MARSEILLE CONCERTS : Festival Orgue en Chansons
Marseille est une fête et on ne sait où donner de la tête à vouloir courir à tant de manifestations. Sur la lancée, le terreau de MP2013, Marseille-Provence Capitale européenne de la Culture, on a vu bourgeonner des initiatives des collectivités locales pour fomenter des événements collectifs et l’on a vu fleurir Marseille 2017 capitale européenne du sport et 2018, avec un programme tous azimuts Quel amour !, sans que l’amour du sport soit renié, qui sait, l’amour comme sport, culte du corps et du cœur, disons aussi comme une saine culture, l’esprit, on se retrouve comblé dans une multitude d’événements culturels.
À côté d’institutions officielles comme l’Opéra et l’Odéon, seul théâtre en France entièrement dévolu à l’opérette, la vie musicale est riche de lieux consacrés à la musique et, rien que pour ce mois de mai, s’annonce la naissance en fanfare des VOIX DE LA CANEBIÈRE, un chœur qui se veut « emblématique pour Marseille. » Dans ce vaste panorama, Marseille Concerts a déjà un long passé prestigieux. Mais, sous la présidence de Robert Fouchet, la vénérable institution a su se diversifier en lieux, thèmes et programmes. Ainsi, les petits concerts gratuits dans les musées, les Muséïques, et, dans le cadre des Dimanches de la Canebière, diverses animations des fins de mois, Marseille Concerts a trouvé la bonne formule et le bon format avec son original Festival Orgue en chansons, élargi du dimanche au samedi, des concerts d’une durée et à une heure raisonnable, d’une heure trente à 20 heures le samedi, 17, le dimanche. Avec l’ambition de donner champ libre à de jeunes interprètes régionaux de qualité. Audacieux défi : marier l’intime et le grandiose, la confidence et l’éclat, la chanson et les grandes orgues
Marseille Concerts s’est donc lové amoureusement dans deux églises presque symétriques, l’une au Vieux-Port pratiquement au débouché de la Canebière et l’autre, remontant la célèbre artère, à son extrémité.
Le samedi 28 avril, on se pressait donc vers l’Église Saint-Ferréol les Augustins de Marseille, sur le Vieux-Port, très vieille église rescapée des rages de la construction de la Rue Impériale de Napoléon III et des ravages nazis de 1943 : sur une géométrie classique, plaquée en 1874, une lumineuse façade blanche soulignée sobrement par de légers rentrants café au lait ; deux niveaux, mais le second, en fronton triangulaire, appuyé élégamment sur deux volutes, ébauche d’arcs ouverts, baroques. En somme, un discret syncrétisme architectural cher au XIXe siècle bourgeois en apothéose à Marseille : un faste sans néfaste ostentation. Le clocher ancien témoigne ses riantes rides authentiques, du ravalement de façade, du lifting moderne. Son orgue fut installé en 1844 par le facteur Zeiger de Lyon, dont le matériel est classé aux Monuments historiques, et, après de nombreuses retouches, restauré et inauguré en 2015, il est habillé d’un buffet néo-gothique, étiré de pinacles et ajouré de fleurons.
Le programme proposait une mise en regard, disons plutôt en écho, de chansons de Charles Aznavour / Serge Gainsbourg, confié à la voix d’Ewa Adamusinska-Vouland (photo de Une) et à Frédéric Isoletta pour l’orgue. Autre pari : apparier Aznavour et Gainsbourg, dont les patronymes certes rimant semblent ne rimer à rien par le voisinage apparemment artificiel de deux compositeurs et chanteurs si différents.
Les chansons d’Aznavour, dont il ne signe pas toujours les paroles, sont souvent narratives, racontent une histoire, d’où leur universalité : le fond est toujours facile à traduire, non une forme spécifique dans une langue. Peu de chansons « verbales », en conséquence chez lui, si l’on peut y admettre les jeux de mots entre deux langues, en l’occurrence l’anglais et le français de For me formidable (texte de Jacques Plante). En revanche, auteur, compositeur, interprète, avec simplement ici deux chansons en collaboration, Gainsbourg est singulier à tous les sens du mot. Ses textes sont une singulière orfèvrerie verbale et sa musique puise chez les grands classiques. Il est aussi intimiste, ironiste dans son expression qu’Aznavour est généralement, généreusement, dramatiquement, déclamatoire. C’était donc marier la carpe et le lapin.
Pourtant, les deux interprètes se tirent avec une rare élégance et intelligence du sujet épineux, du problème que leur imposait Robert Fouchet, sans se résoudre et le résoudre par la facilité d’une banale, d’une simple ballade de textes inconnexes enfilés comme des perles. Il faut dire qu’autant Ewa Adamusinska-Vouland, jeune Polonaise installée en France, que Frédéric Isoletta, ont un bagage culturel imposant, littéraire et musical, théorique et pratique, avec des carrières universitaires et artistiques solides : elle, déjà versée dans un travail pointu sur la chanson scénifiée dans son pays d’origine, experte entre autre en chanson française, et lui, pianiste, organiste, figure essentielle de la scène musicale régionale, déployant une activité impressionnante comme critique, conférencier, accompagnateur piano du Festival Lyrique d’Aix-en-Provence, créateur d’œuvres contemporaines que lui ont confié nombre de grands compositeurs. Choisissant dans le fouillis énorme du corpus des chansons des deux auteurs, ils en tirent une épure, un véritable livret, avec une introduction (une strophe de Pour essayer de faire une chanson, d’Aznavour), un développement sur le parcours amoureux, de la rencontre à la rupture, en harmonie avec le thème de Marseille Quel amour !qui se clôt sur la parenthèse de fin d’une autre strophe de Pour essayer de faire une chanson.
Abdiquant tout effet lyrique, sans renoncer au déploiement de la voix quand la musique et le texte le requièrent comme dans La Javanaise de Gainsbourg, la chanteuse détaille sobrement les textes avec une simplicité touchante, un timbre satiné et une voix souple et libre. Un écho, galant, auréole sa voix d’harmoniques aiguës, sans gêne pour l’écoute de notre place. De son côté, s’il exprime le texte par des colorations adéquates de son orgue, vapeurs, nuages pour Dieu est un fumeur de havanes de Gainsbourg, grandioses grondements des ruptures, gazouillis d’oiseaux, modalismes gothique funèbres pour le terrible sort du Poinçonneur des Lilas voué aux « petits trous » et au grand, Isoletta glose, unifie les étapes diverses de cet itinéraire par la soudure toujours expressive de son orgue entre les morceaux. Un interlude vocal lui offre l’occasion de déployer son grand jeu de l’improvisation aux classiques, montrant encore que tout est un quand la qualité parle.
Le lendemain, le 29, la foule de spectateurs que ne décourageait pas une pluie battante, se pressait, s’empressait d’entrer dans l’Église Saint-Vincent de Paul les Réformés en haut de la Canebière pour y entendre le ténor Jean-Christophe Born interpréter Brel avec la complicité de Sylvain Pluyaut à l’orgue.
Puisque ces concerts ont pour but aussi de ranimer des lieux patrimoniaux de la ville, je ne résiste pas à rappeler ici ce que j’écrivis autrefois, justement l’occasion d’une mémorable soirée offerte par Marseille Concerts.
L’église néo-gothique des Réformés de Marseille en perspective montante, au-dessus de la ligne arborée des allées de Meilhan, des deux aiguilles de ses pointes, semble coudre la Canebière avec le ciel. Elle fut bâtie entre 1855 et 1888, en une époque où régnait le goût pour le « style troubadour », retour romantique au Moyen-Âge, nouvelle floraison gothique au moment où s’achevaient certaines cathédrales authentiquement médiévales, telle celle de Nantes, commencée en 1434 et terminée… en 1891. Celle de Prague fut achevée en… 1929. Le gothique prenait son temps, se bâtissait pour l’éternité : avec le temple grec qui modèle tant de Palais de Justice, le gothique est le seul style architectural qu’on n’ait cessé de construire, du Parlement et son Big Ben de Londres au XIXe siècle au New York des gratte-ciels et même, en plein Baroque ou Classicisme, la cathédrale d’Orléans est inaugurée sous Louis XIV.
À l’intérieur, l’église est si lumineusement restaurée qu’on croirait à un original médiéval flambant neuf qui a miraculeusement traversé les âges sans la noirceur du temps. Et là, face au chœur, comme un
insolite papillon géant par ses dimensions, pour l’envol de la musique, une aile courbe immense posée à même le transept, la nef transversale spacieuse, cet étrange vaisseau spatial : une console d’orgue descendue de ses hauteurs, mais électronique, avec voyants lumineux, cinq claviers, ponctués de constellations de boutons des tirants de jeux, une myriade de combinaisons sonores possibles, infini arc-en-ciel de couleurs, de nuances…
De là, de ses doigts, avec la prestesse d’un prestidigitateur et dans un ballet virtuose des pieds sur les pédales, comme un navigateur à ses commandes, l’organiste, gouverne la futaie métallique des tuyaux couronnés des pinacles gothiques des deux orgues anciens face à face sur leur haute tribune, plus un troisième latéral : orgues historiques classés du XIXe siècle, les premiers et uniques d’Europe dotés d’une transmission électrique par Merklin en 1887, restaurés et rendus à la musique en 2009 dotés de la technique la plus sophistiquée du XX e. Musique jouée silencieusement d’en bas, de la terre, mais retombant d’en haut comme une bienfaisante pluie musicale exauçant le jeu de l’interprète et les vœux du public, baignant l’assistance, sans qu’on distingue exactement d’où émane un son si célestement spatialisé, si enveloppant, consolateur. Effet prodigieux sans effectisme, toujours dans la pureté respectée de la musique, croisée d’ogive sonore entre les deux orgues face à face qui dialoguent dans la tradition antiphonale, avec les jeux d’écho, de réponse, d’appel du troisième.
Ce concert nous permettait de découvrir Sylvain Pluyaut, professeur d’orgue au Conservatoire à Rayonnement Régional de Dijon, concertiste et accompagnateur ployé à tous les impératifs de son instrument, interprétation bien sûr, harmonisation, accompagnement, improvisation et musique d’ensemble. Professeur d’improvisation et d’accompagnement pour la formation des organistes liturgiques russes à la cathédrale catholique de Moscou depuis 2008, ce musicien voyageur ne pouvait que s’entendre avec Jean-Christophe Born, notre paradoxal ténor local né à Poitiers, enfance au Gabon, passage marquant à New-York avant de jeter une ancre, qu’on voudrait définitive, à Marseille dont il est devenu un chantre charmeur par ses spectacles montés par lui-même (Marseille mes amours, Gaby mon amour !,sans oublier My Fair Lady), menant de front une belle carrière lyrique qui l’a déjà promené dans quinze pays et de metteur en scène interprète.
Le risque, le piège de reprendre les chansons, notamment les succès, des tubes, qui ne peuvent manquer à l’appel (d’autant qu’on est invité à « chanter ensemble » dans le programme), si marquées par un inoubliable interprète présent dans toutes les mémoires, est de tomber dans l’imitation, volontaire ou non, ne serait-ce que dans une intonation, une inflexion, du phrasé et de l’accent si caractéristiques de Brel. Born réussit ce pari de faire siennes ces chansons de Brel et de tous par leur succès, durant une heure trente sans entracte, sans boire une goutte d’eau, sans repos autre que de brefs interludes de son partenaire, avec une générosité vocale qui nous fait craindre pour lui. On retrouve, dans son interprétation, l’homme de théâtre complet qu’il est, l’intelligence fine du texte, l’art de faire vivre les mots, le sens du phrasé qui met en valeur chaque syllabe, la mordant, comme se désespérait Piaf finissante de ne plus pouvoir le faire, ou la caressant, selon le sentiment et la signification.
Introduite par une fugue de Bach, Quand on n’a que l’amour que Pluyaut semble enlever, élever vers un ciel d’un amour infini dans une scansion d’un crescendo palpitant, thème de Quel amour !, donne d’entrée la couleur et le ton de ce qu’on n’ose dire un récital tant c’est peu récité et tellement vécu. Ce sont des scènes, des tableaux, épiques (Amsterdam, La Quête) ou lyriques (Ne me quitte pas, Matilde), souvent ironiques, sarcastiques (Les Flamandes, Les Bourgeois, Vesoul, Les Bonbons), frénétiques (La Valse à mille temps), etc.
L’organiste, sans lier les chansons entre elles comme Isoletta, les glose de l’intérieur, les commente avec truculence ou dramatisme comme le tictac implacable de la pendule de la vie finissante des Vieux, les brode de l’intérieur comme cette exhalaison désespérée dans Ne me quitte pas, nappant d’un doux gazon le gazouillis des pauvres fleurs qui pleuvent et pleurent pour une Madeleine qui ne viendra pas au rendez-vous.
Deux concerts, deux paris réussis du mariage moins de raison que de passion entre l’orgue et la chanson.
BENITO PELEGRÍN
I.Festival Orgue en chansons·
- Aznavour ·Gainsbourg.
28 avril 20h
Église des Augustins de Marseille — Saint Ferréol
9, Rue Reine Elisabeth · 13001 Marseille
Ewa Adamusinska-Vouland · Voix
Frédéric Isoletta · Orgue
II
Jacques Brel
dimanche 29 avril 17h
Église Saint-Vincent de Paul — Les Réformés
Haut de la Canebière · 13001 Marseille
Jean-Christophe Born · Ténor
Sylvain Pluyaut · Orgue
PROCHAINS CONCERTS
Festival Orgue en chansons
- Michel Legrand
26 mai 20h
Église des Augustins de Marseille — Saint Ferréol
9, Rue Reine Elisabeth · 13001 Marseille
Lucile Pessey · Soprano
Stéphane Eliot — Organiste - De Fauré à Ferré
27 mai 2018 · 17h
Église Saint-Vincent de Paul — Les Réformés
Haut de la Canebière · 13001 Marseille
Jacques Freschel · Baryton
Philippe Gueit · Orgue
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En partenariat avec la Ville de Marseille et la Mairie des 1er et 7earrondissements
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