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Avignon off 2018 : Il Mascheriao de et avec Andrea Cavarra

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Collaboration artistique de Carlo Boso et Andrea Biagiotti/ Durée 1h

Tel un Geppetto des temps modernes, vous souvenez-vous de ce menuisier qui créa le petit pantin de bois animé connu sous le nom de Pinocchio ?,  Andrea Cavarra, maître facteur de masque reconnu en Italie*, vêtu d’un tablier souillé, le sourire aux lèvres, accueille, assis sur son tabouret en bois, les spectateurs dans son antre. Il fabrique lui-même ses masques de commedia dell’arte et leur insuffle la vie avec un généreux talent et une grande maîtrise de son art.

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A peine le public installé, Andrea commence par nous apostropher avant de nous éclairer sur la matière des masques (le cuir de vache), nous interrogeant ensuite à la cantonade : pourquoi utilise-t-on le cuir ? Et de nous apprendre que ce fut par un heureux hasard que fut découverte la technique de conservation du cuir lorsqu’un paysan souhaitant garder pour un usage ultérieur la peau tannée de ses animaux dont il avait vendu les parties comestibles la mit dans un fut de chêne, le tanin du vin permettant de conserver  le cuir séché en le nourrissant : avec un peu d’eau, elle retrouvait son élasticité et plasticité, et devenait ainsi facilement façonnable. Le matériau idéal pour la fabrication des masques était trouvé !

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Un préambule au spectacle qui met l’eau à la bouche, tant sa verve teintée de néologismes italianisants est enlevée, tant sa présence scénique généreuse et sincère nous happe dans l’univers de la commedia dell’arte, de ses origines qu’il nous conte brièvement. Ici, l’objet n’est pas de nous faire une conférence sur cet art mais plutôt de nous en montrer l’essence originelle, ce qui l’a constitué dès sa naissance : l’improvisation ; le tout sans les artifices réalistes dont on use de nos jours. Tout est figuré par une couleur, un habit, un objet  ou encore une attitude, un geste, une parole qui viennent préciser le personnage représenté par le masque qui prend vie sous nos yeux. Parfois même, seuls le masque et la façon dont le comédien le personnifie suffisent pour en saisir le caractère.

Ainsi, sur les tréteaux formant la scène en fond de jardin de la cour du barouf, se trouvent, côté jardin, pèle mêle des masques en cours de fabrication, de la peau de vache étirée sur des matrices en bois, des teintures et autres instruments nécessaires à la réalisation des masques. Côté cour, des costumes aux lignes épurées représentent les différents personnages (un oripeau pour le zanni balourd et benêt, une jolie robe blanche pour la jeune femme de bonne famille, un élégant gilet de soie pour le jeune homme instruit, une chemise rouge pour le capitaine vaniteux…) et de nombreux accessoires de jeu (un vieux couvre-chef pour le zanni, un élégant chapeau pour la maîtresse de maison, un bâton de bois pour symboliser l’épée du capitaine…) sont accrochés à une corde. Une grande malle usée trône sur le sol.  

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Revêtant les atours du Zanni, il commence alors par improviser comme cela se faisait à l’époque sur les tables des marchés dans les villes, haranguant la foule (ici le public) car c’est là que naquirent les Zanni puis le Capitan fanfaron, l’occasion pour ces amuseurs publics de gagner quelques sous au chapeau. Basées sur des canevas simplissimes, ces histoires comiques permettaient de mieux dénoncer  les travers de la société en mettant en scène des personnages grotesques que tous reconnaissaient. Et l’histoire achevée, les comédiens pouvaient quitter le marché en toute quiétude : une fois leur masque ôté, personne ne les reconnaissait !

Puis se rajoutèrent au fil des temps d’autres personnages : notamment les amoureux, appelés protagonistes. Ces derniers ne sont jamais masqués et leur introduction marque un tournant, une révolution, dans l’histoire du théâtre : ce sont des femmes qui interprètent les jeunes filles  (souvent des prostituées ou courtisanes cultivées entretenues par les riches hommes de la ville-état). Il nous interprètera avec une femme du public une scène de retrouvailles dans la forêt des deux amants, cocasse et drôlissime à souhait. Puis viennent les vieux barbons (Pantalone ou Dottore) qui n’ont de cesse de contrarier les amours de nos jeunes amants, et leur pendant miséreux, les couples de serviteurs de ces derniers (dits antagonistes). Vous l’aurez compris, la commedia dell’arte ne peut fonctionner que s’il y a complication même si in fine tout s’achève dans la joie et la bonne humeur avec le mariage des jeunes amoureux.

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Changeant de costumes et de personnages avec une aisance rare, Andrea nous offre à apprécier en live un panel de personnages hauts en couleur, avec une mention spéciale pour son Capitan, merveilleusement incarné dans l’attitude, le geste et le dire. L’âge aidant, il interprète également avec maîtrise Pantalone. Hélas, au grand regret du public, il ne pouvait présenter Arlequino, car l’énergie de ce zanni ne lui correspond pas et en artiste honnête, il a préféré ne pas s’engager sur cette pente glissante même s’il s’est fait plaisir à relater avec force de conviction et d’humour la fin tragique du créateur de Pulcinella. Une mort tragi-comique qui offrit à ce masque d’être le dernier survivant de la commedia dell’arte au cours des siècles où elle disparut des tréteaux, avant qu’elle ne réapparaisse au théâtre grâce à des auteurs comme Goldoni ou Gozzi.

La prestation du comédien est ici remarquable, oscillant entre narration et jeu, avec un sens du rythme et des enchaînements, un talent d’improvisation étonnant : il nous tient en haleine pendant près d’une heure et réussit le tour de force de faire participer le public, puisqu’à deux reprises des jeunes femmes du public, encouragées par ses soins, sont amenées à monter sur scène pour y jouer sa partenaire avec succès. Ainsi, avec trois fois rien, en toute simplicité et avec allant, sous une chaleur avignonnaise étourdissante, il arrive à transporter le public dans cet univers de la commedia dell’arte.

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In fine, l’originalité de ce spectacle réside en ce qu’il s’agit d’un facteur de masque qui présente en les incarnant les différents masques de la commedia dell’arte, tout en faisant avec impertinence, tradition oblige, de nombreux clin d’œil à son époque (c’est-à-dire la nôtre) qu’il tourne en dérision avec un sens de l’humour un brin provocateur. A la fin du spectacle, on en redemande encore tant redécouvrir, en live improvviso, cette tradition du jeu masqué est un plaisir pour les yeux et les oreilles, l’âme et le cœur. Bravo ! Diane Vandermolina et Paola Lentini

https://vimeo.com/204747530

Nota bene :

Par ailleurs, Andrea propose des stages de fabrication de masques (2 sessions de 4 heures) en matinée (de 9h à 13h) du jeudi au dimanche à la cour du barouf pour la modique somme de 120€ : sachant qu’un masque en cuir coûte environ 80€ et que le stagiaire repart avec son masque en cuir, le coût de cette formation est vraiment peu onéreux. Qui plus est, nul besoin de maîtriser l’art de la fabrique de masque pour y goûter et les curieux qui n’oseraient y participer activement sont invités à assister gracieusement à la formation au cours de laquelle il raconte l’histoire du masque de ses origines grecques à aujourd’hui.

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*Il enseigne à l’Académie des Beaux-Arts de Milan et à l’Académie des Arts d’Arezzo.

Plus infos : à 14h15, du 6 au 29 juilletRelâches : 10, 17, 24 juillet à la Cour du Barouf, 7, rue Louis Pasteur 84000 – Avignon/ Réservations +33 (0)4 90 82 15 98

Rmt News Int • 20 juillet 2018


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