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Avignon off 2018: La Potion de réincarnation par la Jin Kwei Lo Puppetry Company

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Mise en scène : CHENG Chia-Yin /Musique en live : CHIANG Chien-Hsing

Avec : KO Shih-Hung, KO Shih-Hua et LIU Yu-Jane

Spectacle de marionnettes à gaine et théâtre d’ombre

Durée : 1h/ tous public dès 10 ans

En taïwanais, sur-titré français

Imaginée et conçue par CHIANG Fu-Chin et Shih-Hung, l’ainé des enfants KO, cette création de belle facture propose de revisiter trois histoires traditionnelles bien connues des peuples chinois et taïwanais, issues de l’opéra pékinois ou de romans chinois classiques, en version marionnettique pour le plaisir des yeux et des oreilles.

Nous sont présentées les histoires de WANG Bao-Chuan qui, aveuglée par sa passion pour son mari Hsueh Pin-Gui parti à la guerre, l’attend pendant 18 ans ; celle de PAN Jin-Lian, une esclave courtisane dont le nom signifie « Salope », qui mène une vie amoureuse défiant la morale et qui, une fois mariée, empoisonne son époux Wu avant d’être assassinée par le frère cadet de ce dernier dont elle est amoureuse, et celle de BAI Su-Zhen, alias le Serpent Blanc, être magique et monstrueux, qui, une fois devenu femme, tombe amoureuse d’un jeune homme, Hsu-Hsian, bravant  un interdit sacré ; leur amour est contrarié par Fa Hai, le moine garant de l’ordre.

Afin de lier les trois histoires desquelles ne sont conservés que les éléments dramatiques  faisant sens,  les dramaturges ont fait appel à une figure bouddhiste et taoïste bien connue : Dame Meng. Cette vieille femme permet à chaque âme errant dans les Enfers sur les bords de la Rivière de l’oubli  de prétendre à la réincarnation et, après avoir bu son breuvage, renaître dans un nouveau corps. Pendant que les marionnettistes s’échauffent et se préparent à la représentation à venir, nous apprenons que la compagnie  fut créée par la première femme marionnettiste taïwanaise, KO CHIANG Szu-Mei,  il y a trois générations quand les femmes n’avaient pas encore le droit d’exercer cet art joué devant les temples en l’honneur des dieux.  

C’est  ainsi par la rencontre entre une jeune femme au nom inconnu et Dame Meng que commence le récit allant crescendo des heurs et malheurs de ces trois héroïnes traditionnelles.

DM : -Vous êtes là.  Ce chemin n’est pas facile, n’est-ce pas ?

La femme : -Où suis-je ? Pourquoi le chemin est tantôt apparu, tantôt disparu ?

DM : -C’est comme le chemin humain, Tantôt lumineux, tantôt obscur, Tantôt lumineux, tantôt obscur, Tandis que pour ta vie, je vois que c’était plutôt désastreux. C’est bien cela, le destin

La femme : -Ce bruissement, c’est quoi ? C’est le son de la rivière. Nous sommes au bord de la rivière?

DM : -Oui, la rivière est juste devant nous 

La femme : -Qui es-tu? Qui suis-je?

DM : -Tu es une passante. Et moi, je préparerai une potion, un remède pour toi

La femme : -Où vais-je, moi ?

DM :-Viens, bois cet élixir, Et tu deviendras une nouvelle personne 

Un leitmotiv par trois fois répété par Dame Meng. Revêtue d’une ample cape grise de laquelle seul son visage est visible, celui d’une vieille femme sans âge, elle apparaît, telle une gardienne des enfers, garante de la renaissance des âmes. Ici, il est à regretter que nous apercevons en de brefs instants le visage de la talentueuse Liu Yu Jane sous le masque de l’inquiétante et envoûtante Dame Meng lors de ses apparitions. Néanmoins, les mouvements exécutés avec grâce par la comédienne occupent fort judicieusement tout l’espace scénique dans un ballet de gestes enveloppants la salle. Sa cape servira par ailleurs à de jolis jeux d’ombres ou de scène pour les marionnettes.

Entrecoupant le récit, sont racontés l’histoire de la compagnie et l’évolution du métier de marionnettiste ; ce qui permet de saisir la spiritualité au cœur de cet art de la marionnette à gaine qui se jouait en extérieur avant d’entrer au théâtre. Nous assistons au cérémonial de l’habillage de la poupée -délicatement exécuté par Shih-Hung : la couleur de l’habit -rouge, bleu, blanc ou encore ocre-  définit le type de chaque personnage, immédiatement identifiable à l’image des protagonistes dans l’Opéra Chinois, un genre également très codifié. Ce rituel est répété à plusieurs reprises, une même  poupée selon l’habit duquel elle est revêtue suffit à présenter toute une palette de personnages.

 Shih Hung manipule avec adresse, dextérité et douceur chaque personnage féminin du récit auquel il donne vie, leur prêtant sa voix, leur conférant une personnalité unique par un mouvement de tête, un geste, une attitude. Son petit frère Shih Hua est, quant à lui, bien plus à l’aise dans les scènes de combat : lors du combat entre Serpent Blanc et le moine Fa Hai, il fait toute la démonstration de son talent. Hélas, cette scène est trop brève et le grand combat entre l’armée du gardien de l‘ordre, les escortes du temple,  et celle de serpent blanc qui fait appel à tous les monstres marins et autres espèces magiques est joué en ombres : certes, c’est très beau mais un véritable combat de marionnettes à gaine eut été bien plus réjouissant pour les amateurs du genre.

En effet, pour en avoir vu à Taïwan lors de précédents voyages, ces combats sont fort impressionnants, tenant en haleine le spectateur, avant la chute : ils rappellent ceux des spectacles de « pupi » siciliennes, ces grandes marionnettes à tige traditionnelles. Nous pensons ici à l’Orlando Furioso de la compagnie Mimmo Cuticchio. Respect de la tradition oblige -même si sont rajoutés des éléments modernes-, transmission familiale de cet art de la marionnette, combats incessants et récit d’une épopée, voilà ce que la poupée taïwanaise partage avec la pupo sicilienne.

Ces similitudes se trouvent également dans ce qui sous-tend le récit, cette notion de quête inhérente à toute odyssée : ici celle de l’amour, la vrai, l’unique. « Le véritable amour ne meurt jamais » chantera Serpent Blanc. Cette quête n’empêche pas de faire preuve d’humour – autre trait en commun avec nos amis siciliens-, certes ici typiquement taïwanais, quand Dame Wang choisit un mari à Pan parmi un jeune étudiant pauvre, un vieillard cochon ou un boucher bien mis de sa personne – représentés par des habits disposés sur un plateau – avant de porter son choix sur le petit Wu, une homme bêta et laid, vendeur de pains. La comédienne-marionnettiste, Yu Jane qui également interprète Dame Meng, est ici excellente : ses mimiques coquines et ses modulations de voix subtiles nous régalent et le public de rire de cet intermède amusant, drôle et enlevé.

Car le sujet même de la pièce, au-delà de la question de la réincarnation qui, en Asie, est une croyance répandue, est celui de la condition féminine. Chaque personnage, qu’il soit relégué à attendre son époux, obligé d’épouser un homme qu’elle n’aime pas ou encore forcé de ne pas voir son époux, a en commun d’être une figure féminine au destin contrarié et insatisfaisant.  Pan souhaite mener une vie libre du joug d’un époux, prenant des amants et souhaitant à l’instar des hommes profiter des joies de l’amour : ce personnage est très moderne et offre une belle façon de parler de la condition -encore complexe- de la femme à Taïwan. Dans l’île, plus clairement au sud, la tradition reste encore très vivace et les mentalités évoluent lentement : de nombreux époux – hommes et femmes- se plient à cette tradition qui veut que la femme soit au service de l’homme et soumise à lui, celles qui le refusent restent célibataires.  Comment vivre sa vie de femme avec ce poids écrasant de la tradition ? Nous questionne cette pièce.

« Souffrance, pourquoi ton nom est femme ?  

Il y a tous les goûts dans la vie – aigre, doux et amer »

Cette création mise en scène par une spécialiste de la marionnette contemporaine dont on avait adoré les précédentes créations, Cheng Chia Yin, emprunte de nombreux éléments au monde occidental, notamment en ce qui est de dévoiler l’envers du décor, les coulisses de la tradition ou en demandant au marionnettiste d’aller à la rencontre du public lors de la distribution des petits pains.

A l’image du décor amovible, deux tables hautes -sur lesquelles sont posées habits et poupées à hauteur d’homme- positionnées de biais de chaque côté de la scène, se dévoile un jeu de miroir entre l’homme, le marionnettiste, et la poupée, la marionnette. Les marionnettistes tantôt s’adressent au public, tantôt se fondent et s’oublient derrière la marionnette qu’ils manipulent, créant quelque confusion par moments  au sein du public : qui de l’homme ou de la marionnette parle ? Un regard de l’homme à la poupée ou au public permet la plus part du temps de lever la confusion.

In fine, nous avons assisté à une belle création sur un sujet encore d’actualité, un sujet brûlant qui fait écho à nos combats. Avec une musique traditionnelle et des chants en live, ses percussions et cuivres exécutés d’une main de maître par un ancien des Ten drums, « la potion de réincarnation » nous transporte avec poésie et magie dans l’univers  des marionnettes taïwanaises. Une création sur l‘histoire familiale est en préparation : nous espérons vivement la découvrir à l’occasion d’un prochain Avignon. Diane Vandermolina

Rmt News Int • 25 juillet 2018


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