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The culture beyond borders

Vu pour vous au Festival Off d’Avignon: au Théâtre du Balcon, Et Hop, les guérisseurs ! jusqu’au 28/07/2018

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«Le théâtre, c’est quand la passoire à légumes devient le casque du samouraï»

C’est La rencontre improbable d’un tueur en mal être et d’un exorciseur avide, en raccourci, la rencontre de deux hommes perdus dans une société pervertie… une situation, des sentiments dont l’écho résonne inexorablement en chacun, une comédie douce-amère où la leçon de vie revêt le nez rouge de l’Auguste et le tablier blanc de chirurgien de l’exorciste. 

Le IN et le OFF

Déambuler dans les rues d’Avignon pendant le festival, c’est aller à la rencontre de la culture. Ici, l’effervescence n’a ni le même son ni la même couleur. Ici, la foule n’est plus un amas dynamique de gens qui se croisent, ici, elle a une âme. Chaque visage reflète l’intelligence du propos, du partage. Mélange de poésie, de burlesque, de musique, la Cité des Papes devient une immense scène. Les passants sont les interlocuteurs curieux de saltimbanques qui les accostent, les spectateurs conquis d’une culture en ébullition. En Avignon, durant le festival, il est une lumière à nulle autre pareille, une lumière qui donne envie de partage, d’amour, envie de fraternité. Ce miracle, c’est le théâtre qui l’accomplit, le théâtre et ceux qui le font vivre.  C’est ici que débute la notion de ‘Off’ et de ‘In’, deux mondes qui partagent la même passion, la même ville, les mêmes dates, mais pas le même budget. Le ‘In’, ce sont les spectacles des théâtres subventionnés par l’Etat à hauteur d’environ 13 millions d’euros. Le ‘Off’, ce sont 1500 spectacles financés par les théâtres eux-mêmes et les compagnies elles-mêmes. Il est dès lors facile de comprendre l’intérêt du spectateur, curieux de goûter aux spectacles offerts par les deux, dont la valeur ne dépend pas de la catégorie qui lui est allouée.

Preuve en est faite, s’il le fallait, avec :

‘ET HOP LES GUERISSEURS’ donnée au Théâtre du Balcon.

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Un huis-clos vertigineux signé Rufus,

Rufus signe ici un univers poétique démentiel d’une perfection rare, entre deux acteurs magiques, nous prenant à partie, nous forçant à réfléchir sur le conditionnement des hommes : un rire salvateur, l’image de la comédie humaine, forcément tragique et, sous couvert de légèreté, un appel d’urgence à la liberté et à la prise de conscience.

Trois acteurs :

Rufus, dont le nom résonne étrangement en écho à Rufus d’Ephèse, extraordinaire médecin du IIe siècle prônant l’anamnèse, ou plutôt la remémoration, dans les soins aux malades. Seraient-ce les études de médecine de cet immense acteur qu’est Rufus qui l’auraient amené à penser une pièce où le rôle du guérisseur prend une telle dimension politique ?

En plus de 30 ans de carrière, Rufus a joué quantité de seconds rôles dans des registres extrêmement variés. Comédien de scène autant que de cinéma, il a développé une sorte de personnage un peu austère, un peu lunaire et pince-sans-rire, sa longue silhouette, son visage anguleux, sa voix grave et posée s’adaptent à tout.  Boulimique de travail, Rufus continue de multiplier les apparitions au cinéma, pour des réalisateurs de renom. Il excelle dans ce personnage de guérisseur en quête de vérité.

Richard Martin, en tueur malade de la société dans laquelle il vit, est le « détonateur ». Richard Martin est un saltimbanque virtuose, directeur de théâtre, metteur en scène, dramaturge, auteur et comédien français. Il est reconnu comme étant un ardent défenseur du théâtre pour tous. Il nous revient de Saint-Pétersbourg, auréolé d’un succès retentissant pour son interprétation de ‘La Mémoire et la Mer’, accompagné par Vincent Beer-Demander en chef d’un orchestre symphonique russe, lors de l’ouverture du très prisé festival ‘Raduga’ (Rainbow). Richard Martin campe un tueur neurasthénique plus vrai que nature, avec une prestance magnifique et une superbe qualité d’acteur.

Et Zoé Narcy, comédienne. Elle est le rêve indispensable à la vie.

Un Auguste en cravate

Sans aucun doute, une pièce qui exorcise !

Les deux comédiens ne ‘sur-jouent’ pas. La voix est claire, le cours de la pièce est fluide, les réparties s’imbriquent parfaitement dans cet espace-temps hors du temps. La mise en scène est sobre, prenant à partie les spectateurs, placés eux-mêmes en état de jeu. Comme décor, un canapé, rouge, assorti aux chaussures du tueur. Les ustensiles dont ils se servent ont aussi leur part dans la pièce : une passoire noire au début en guise de couvre-chef pour le guérisseur, un pistolet et un nez rouge pour Richard Martin venant saluer le public à la fin du spectacle, histoire de bien nous faire comprendre que nous sommes en présence de deux clowns, l’un, impertinent, qui cherche à déstabiliser le clown blanc (le guérisseur). Si l’univers de l’Auguste doit, dans l’absolu, dominer celui du clown blanc, en est-il vraiment de même ici ? Aux spectateurs de le découvrir…

C’est l’histoire d’un certain Lebeurlard, un olibrius qui a la réputation d’être un guérisseur efficace. Le voici devant un patient qui se nomme Jean Dube. Le cas est difficile. L’homme craque. Toute sa vie, il a été malheureux. Il a pourtant lutté, suivi des régimes alimentaires, arrêté l’alcool, le tabac, le sucre… et le journal télévisé. Il a sélectionné ses fréquentations, observé une morale rigide, il n’a pourtant jamais atteint un minimum de bonheur de vivre. À bout, il vient donc voir Lebeurlard, auquel il avoue son métier : il est tueur à gages professionnel. À chaque fois qu’il exécute quelqu’un, il en éprouve une douleur à l’estomac. Il demande au médecin de pouvoir exercer son métier sans souffrance au travail ! Il essuie un refus catégorique de Lebeurlard. Complètement perdu, Jean Dube prie, supplie, menace… Il veut à tout prix sortir de cet enfer.

La rencontre entre les deux hommes permettra-t-elle la guérison, et par quel subterfuge ; le théâtre peut-être ?

A la manière de Beckett, le masque de la Tragédie et de la comédie à la main, nous sommes tous en attente d’une joie, d’un avenir meilleur, d’un miracle. Ces deux-là n’y échappent pas : deux anti-héros comiques qui émeuvent par leur pathétique. Un seul miracle pour les mettre sur la voie : il s’agit de l’ex de Jean Dube, la coloc. Une lumière ! C’est elle qui les a réunis. L’un la voit, l’autre non ; métaphore de la possible rédemption d’une partie de la société pervertie, papillon sur l’épaule à la manière d’un Jacques Deray ou fil d’Ariane pour trouver le chemin de la lumière?

Dans ce splendide théâtre du balcon, impossible de ne pas se poser la question à la fin de la représentation, applaudie à tout rompre par les spectateurs : peut-on guérir du manque d’amour ?

Une pièce magnifique, des acteurs envoûtants, à ne rater sous aucun prétexte.

Danielle Dufour-Verna

 

A 15h 40 au Théâtre du Balcon Cie Serge Barbuscia, 38 rue Guillaume Puy 84000 Avignon

Relâches les 10, 16, 17, 18 et 24 juillet.

Production Théâtre Toursky-Cie Richard Martin international (Marseille)

Co-production Théâtre du Sémaphore, scène conventionnée (Port de Bouc)

Co-réalisation Théâtre du Balcon- Cie Serge Barbuscia (Avignon)

Photos: Candice Nguyen 

Rmt News Int • 12 juillet 2018


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