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Interview: Lord LEWIS MARTIN

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Un Metteur en Scène de talent pour ‘PLUS BELLE LA VIE’

« Quand on est petit, qu’on dit, plus tard je veux faire ça, quand on a choisi quelque chose dans la vie et que plus tard on fait cette chose et qu’on arrive à en vivre, je pense que c’est cela le bonheur. » Lewis Martin

Aux manettes d’un nouveau producteur, Sébastien Charbit, Plus belle la vie (également connu sous le sigle PBLV) est un feuilleton télévisé français créé d’après une idée originale d’Hubert Besson. Diffusé du lundi au vendredi sur France 3 depuis le lundi 30 août 2004, il met en scène le quotidien des habitants d’un quartier imaginaire de Marseille, le Mistral. Phénomène de société ? Exutoire à une vie difficile où les gens se reconnaissent dans les personnages et ‘s’expriment’, d’une certaine façon, à travers eux, dans une civilisation de l’échange virtuel qui confine à la solitude? Quelles qu’en soient les raisons –sans-doute multiples- la durée et l’audience, montrent la fidélité et l’engouement des téléspectateurs pour PBLV. Cela prouve également que la production sait s’entourer d’une équipe performante et de réalisateurs aguerris qui rafraichissent le show.  

Lewis Martin est un réalisateur qui officie depuis Juillet 2018 au sein de l’équipe. Avec lui, les épisodes de PBLV sont autant de calices dont il est l’un des protagonistes. Lewis-Martin Soucy, réalisateur, scénariste et directeur de la photographie français est né à Montréal le 25 août 1968. Il est aujourd’hui connu sous le nom de Lord Lewis Martin. C’est une belle journée d’octobre quand je le rencontre. Il officie aujourd’hui en extérieur, un domaine de rêve aux alentours d’Aix-en-Provence : champs de lavande et d’oliviers à perte de vue. L’air frais du matin est vite réchauffé par des rayons de soleil venant baigner, par trouées aux couleurs moirées, les arbres séculaires de l’immense parc. Souriant, ‘cool’, homme élégant à la belle prestance, je l’observe pendant qu’il travaille. L’équipe semble soudée, acteurs et techniciens confondus. Il règne une ambiance détendue, presque bon enfant, qui n’entache en rien la perfection à laquelle s’attache ce réalisateur méticuleux amoureux de l’image et de la lumière. En fin de journée, nous prenons rendez-vous pour une interview téléphonique.

LEWIS MARTIN 1Danielle Dufour-Verna  –Est-ce en quelque sorte pour redorer le blason de PBLV que l’on a fait appel à vous ?

Lewis Martin –En fait c’est un petit peu cela, une envie de rafraîchir la série effectivement, de prendre de nouveaux réalisateurs. C’est également une autre façon de travailler depuis qu’il y a le nouveau producteur. Il donne plus de liberté aux réalisateurs. Il leur permet de s’approprier un peu plus la série et d’y amener leur univers de sorte à faire un travail un petit peu moins formaté, un travail qui rafraichit.

DDV Connaissant la qualité et le choix de vos réalisations, ce travail ne vous semble-t-il pas répétitif ? Intervenez-vous dans le scénario ?

L.M -On n’intervient pas au niveau du scénario ; parfois on nous laisse changer de petites choses ; C’est plus un travail qu’on fait avec les acteurs. Les scénaristes n’ont pas toujours une idée précise du décor, de l’endroit où on va tourner la scène. Parfois on change aussi. On va passer d’un lieu à un autre  parce qu’on trouve cela plus original ou parce qu’on fait une trouvaille sur place. On va parfois un peu adapter le texte à l’endroit où l’on se trouve. Quelqu’un dit par exemple : «  -Je te retrouve à tel endroit -Je vais à la réception », on trouvera une astuce pour dire autre chose qui n’a pas d’incidence sur la narration. Notre travail c’est trouver une façon originale de mettre en abyme le texte déjà écrit.

DDV –Vous attachez-vous plus à la lumière, à la photo ? Préférez-vous un tournage en studio ou en extérieur ?

 L.M – Je préfère les extérieurs parce que, notamment sur un programme comme PBLV, c’est ‘vachement’ agréable. On a des décors superbes, des journées différentes, ça nous permet de changer un peu tous les jours, d’être dans un environnement sympa. On prend l’air et on voit du pays ce qui enlève une certaine monotonie par rapport au travail en studio qui est plus répétitif. On est enfermé, ce n’est pas du tout le même travail. J’adore travailler en studio car les conditions sont confortables ; on a moins de complications car il y a moins d’imprévus liés à la météo, à la température, à tout un tas de facteurs, les déplacements sont plus faciles. Les tournages en extérieur sont un peu plus compliqués car il y a des déplacements entre divers endroits ce qui peut avoir un impact sur les horaires etc. Ceci dit PBLV est une machine qui est bien huilée depuis longtemps et on a la chance de travailler dans un cadre  ‘vachement’ bien réalisé qui laisse très peu de place aux complications liées à l’organisation. L’équipe de régie et de production est ‘vachement’ forte pour ça.

DDV – Le temps imparti étant nécessairement court puisque vous tournez en continu peut représenter un obstacle à votre travail ?

L.M -Je pense que c’est là où justement mon travail peut avoir une valeur pour la production. Une partie de mon travail n’est pas qu’artistique, c’est savoir aussi gérer le temps et réussir avec le temps que j’ai à faire des choses intéressantes, des choses belles et justement sans prendre sur la qualité. Il y a peut-être des réalisateurs et je ne parle pas forcément sur Plus Belle la Vie, mais notamment dans le long métrage, qui prennent beaucoup plus leur temps car le temps n’est pas calculé de la même façon. Moi, je trouve ça intéressant, ce challenge, parce que cela me met face à mon propre talent on va dire

DDV  –Faites-vous partie de ces réalisateurs qui se dépassent dans l’urgence ?

L.M -C’est exactement cela. Je crois que vous avez mis le doigt sur ma personne. J’ai tendance à être meilleur quand je n’ai pas beaucoup d’options. Je crois que mon cerveau doit faire en sorte que j’aille à l’essentiel, que je trouve la meilleure idée tout de suite. C’est ce que j’aime de ce boulot sur PBLV. Je m’amuse beaucoup, je vois cela comme un jeu, une espèce de challenge plutôt que comme un obstacle. Je n’ai jamais été quelqu’un de défaitiste, d’angoissé, quelqu’un qui est en panique ou qui perd ses moyens quand il n’a pas tout ce qu’il lui faut. Au contraire je trouve cela plus dynamisant. En fait, je préfère m’enorgueillir de me dire ‘je me débrouille par rapport aux circonstances et par rapport à ce qu’on me donne’. Si, à la dernière minute, je dois changer un truc ou faire cela à cause d’intempéries ou autre, je me dis ‘si je suis bon, je dois rebondir, je dois faire avec, je dois faire aussi bien’.

DDV – Pour une certaine partie de la population, PBLV ressemble à un feuilleton soap. Avez-vous cette impression ? Et dans l’affirmative, comment gérez-vous le problème, en vous attachant à l’image, au sujet, en faisant fi du scénario ?

L.M -En fait, je ne savais pas comment ils travaillaient dans cette série. Le côté feuilleton c’est le contexte de la série, je sais que tout est très étudié pour que les gens puissent, même s’ils ratent un épisode, continuer à regarder la série et que les gens ne soient pas perdus. Donc les informations sont très claires pour que l’on sache toujours où on est.  C’est le concept du feuilleton qui est comme cela et c’est le concept de PBLV. On pourrait croire qu’artistiquement ce n’est pas très, on va dire, éclatant. En même temps j’ai trouvé là quelque chose d’assez unique dans la série. C’est que c’est une série qui est ‘vachement’ aux prises avec son temps, une série qui est finalement assez moderne. J’étais très étonné quand j’ai commencé à m’y intéresser parce que cette série traite de sujets de société qui ne sont pas toujours évidents et qui ne sont certainement pas évidents avec tout le monde. Je pense qu’il y a une belle prise de risque, vis-à-vis des spectateurs, de réussir à leur présenter des idées et des choses de la vie qui ne sont pas forcément évidentes pour tout le monde, acceptées ou faciles à entendre. Je trouve qu’au niveau social, au niveau humain, au niveau de tous les phénomènes de mode, de phénomènes de société, de phénomènes de gens, de choses liées à la région etc., c’est une série qui arrive particulièrement bien à un alibi à l’intérieur de tout cela de façon très intelligente. En fait, là où je m’amuse, c’est que j’ai énormément de liberté. Les producteurs sont ‘vachement’ cools à ce niveau-là. Ils te laissent vraiment les coudées franches. C’est-à-dire qu’en réunion, on me dit : « N’aie pas peur, vas-y, fais ce que tu veux, et même parfois c’est moi qui improvise. Je me dis je ne vais pas oser leur présenter telle ou telle chose ; c’est un peu trop fort ou un peu trop décalé par rapport à la série. On me dit : « Non vas-y ! Si jamais il y a quelque chose qui vraiment sortirait de l’harmonie du concept, on va le dire, et après on redressera le tir. » C’est justement ce qui est assez étonnant je pensais avoir des frustrations au départ. Je pensais : «  Voilà, je vais arriver sur quelque chose qui est déjà sur des rails depuis très longtemps. Je vais embarquer sur le train, je vais devoir suivre le chemin qu’on me propose, et là c’est l’inverse. C’est carrément : j’arrive et je fais ce que je veux ! Bien sûr sans transformer la série en film d’horreur ou en film porno ou par commencer à faire n’importe quoi ! Mais tout ce qui est de la présentation de la trame au niveau de l’image, de la mise en scène, du travail sur les comédiens, les choix des décors, les choix des costumes, le ton que je veux donner à la scène et ma façon de travailler, c’est génial. Et même techniquement ! C’est un autre aspect du travail qui est très important car j’arrive avec une façon de travailler qui est différente, pas de la manière classique instaurée il y a quelques années. En fait, je m’amuse beaucoup car j’ai vraiment cette liberté. J’ai un immense plaisir à travailler sur cette série, avec beaucoup moins de contrainte que sur d’autres choses dites « plus artistiques » que j’ai créées avant mais où on m’a bridé parce que, voilà, il fallait faire comme ceci, il fallait faire comme cela, il ne fallait pas faire cela. Sur PBLV il y a un bon esprit à ce niveau-là et on me dit : «Vas-y ! On veut que tu apportes ton style à toi ». C’est ce qui est intéressant. Je peux arriver avec ma propre signature dans PBLV. C’est en voyant le travail de deux réalisateurs super-chouettes et qui ont des styles différents, Sandra Perrin et Philippe Dajoux -et c’est cela que je trouve intéressant- que j’ai vu qu’il y avait beaucoup de place pour s’exprimer ici parce que qu’on est tous différents. C’est important pour les comédiens et les techniciens que le travail ne soit pas toujours le même, répétitif. Des acteurs qui passent entre les mains de réalisateurs différents, cela permet à leur jeu de ne jamais être dans quelque chose de statique et de monocorde. Bien sûr j’ai mon style que j’essaie de développer et cela se passe très bien jusque-là.

LEWIS MARTIN 2 (2)DDVVotre formation, votre parcours sont-ils des atouts dans votre vie de réalisateur ?

L.M. -D’avoir été comédien forcément m’apporte une compréhension des acteurs un peu plus aboutie. Je dirais même d’une façon assez anecdotique que cela apporte aussi quelque chose à mon travail car, comme j’ai un petit côté un peu spectacle, un peu comédien, un peu comique, c’est mon tempérament d’apporter une bonne ambiance, je dirais, sur le plateau. J’aime beaucoup faire rire les gens, leur rendre belle la journée sous le soleil. J’ai eu des journées où c’était ‘Apocalypse Now’ ! On était dans la boue, on était dans la forêt, c’était très difficile et en plus j’avais fait le strike. J’avais tourné sous la pluie, ce qui donne quelque chose de plus fort et de plus dramatique à l’image et cela, ce n’est pas facile pour l’équipe et pour le matériel.

DDV  – J’ai ressenti une osmose entre l’équipe et vous. En avez-vous besoin pour donner le meilleur de vous-même ?

L.M. –Ce que vous dîtes me touche beaucoup parce que cela veut dire que j’ai réussi mon travail, d’une certaine façon. Encore une fois je reste persuadé que cela fait partie de mon travail de savoir fédérer les gens, les comédiens. C’est une vision que j’ai. De les emmener avec moi jusqu’au bout de la journée et qu’ils me suivent je vais dire, presque aveuglément, c’est une réussite. Quand vous êtes en conflit avec les gens, ils ne mettent pas, entre guillemets, de cœur à l’ouvrage. On ne peut pas faire un travail de même qualité si on n’a pas une équipe qui est dévouée derrière soi. La qualité de mon travail dépend de celle des gens qui m’entourent et fédérer les gens autour de moi est ‘vachement’ important. A la fin on s’aperçoit que les gens sont contents. Je préfère que les gens travaillent pour me faire plaisir plutôt que lorsque qu’ils travaillent seulement parce qu’ils sont payés. D’une certaine façon, ils veulent absolument m’aider à résoudre.  Mon contrat avec la production est basé sur la relation et la qualité du travail. C’est une maison qui est très attachée aux valeurs de l’ambiance. C’est très familial PBLV ! C’est aussi une chose qui m’a surpris car, ayant travaillé sur d’autres chaînes à une certaine époque, le milieu ne m’attirait plus du tout.  J’appréhendais un peu en revenant sur PBLV et j’ai découvert une organisation complètement à l’opposé de cela, qui entoure en permanence de bienveillance. On ne vous attend pas au tournant en espérant que vous vous cassiez la gueule. Très bonne ambiance et très agréable d’aller au travail le matin.

DDV – Avez-vous gardé un bon souvenir de votre enfance ?

L.M. -Oui j’ai eu une enfance heureuse, avec beaucoup de jeux et de plaisirs. J’ai grandi à la campagne. J’ai eu une enfance pleine de liberté et pleine de créativité avec des parents qui me laissaient m’exprimer. C’est sans-doute ce qui a enrichi mon univers créatif.

DDVVous habitez Paris ?

L.M –Je voyage beaucoup. Marseille est l’endroit où je vais le moins loin pour travailler. Je travaille principalement à l’étranger donc, Marseille, c’est pour moi idéal. Cela me permet en plus de rester en France et de travailler dans un cadre idéal. Ne serait-ce qu’au niveau climat, Marseille c’est plutôt sympa. Cet été, quand j’ai commencé, c’était fantastique, j’allais bosser au bord de la mer, au soleil.

DDV -D’autres projets ?

L.M -Je travaille sur une autre série en Amérique. Je pars bientôt aux Etats Unis tourner une série, une comédie sur la base d’un road trip. Puis je travaille sur une autre série que j’ai co-écrite avec un ami à Los Angeles, dont le pilote est déjà tourné.

DDV – Avez-vous d’autres passions à part la réalisation ?

L.M -Le cinéma tient une grosse place. J’écris beaucoup de scénarios. J’écris d’ailleurs mon premier long métrage, et puis j’ai une passion pour les voitures. Cet  été, j’ai fait l’acquisition d’une vieille Ford mustang 1968. J’adore les voitures anciennes. J’ai des petites choses comme cela. Je collectionne les vieilles consoles Atari, je collectionne les Walkman, des petites lubies comme cela.

DDV – Est-ce que la situation politique actuelle vous interpelle ?

L.M. -Oui ça me fait très peur ! C’est dommage qu’aujourd’hui le monde parte dans la mauvaise direction. Je trouve que depuis qu’on a des moyens de se rassembler, de se connecter, cela crée de la distance et cela crée l’effet inverse. C’est très pervers. Je pense qu’il y a des gens qui utilisent cela de façon très vicieuse et malheureusement, je répète, on va dans une très mauvaise direction. Je n’ai pas confiance du tout en l’avenir. Quand on a des enfants, ce sont des choses auxquelles on pense beaucoup. Je crois quand même en l’humain et je pense que tôt ou tard les gens vont se réveiller. On va aller jusqu’à un point où il y a des choses qui vont éclater, qui vont faire réveiller les gens.

DDV –Pour vous, le bonheur, c’est quoi ?

L.M –Le bonheur c’est ce que je vis en ce moment, c’est-à-dire pouvoir vivre de mon métier, passer de belles journées avec de belles personnes à faire des choses que j’aime et à rire toute la journée, être fier de moi à la fin de la journée. Pour moi, quand on peut vivre du métier que l’on aime, c’est ça le bonheur. Quand on est petit, qu’on dit, plus tard je veux faire ça, quand on a choisi quelque chose dans la vie et que plus tard on fait cette chose et qu’on arrive à en vivre, je pense que c’est cela le bonheur.

Danielle Dufour-Verna

Rmt News Int • 6 novembre 2018


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