Décolonisons les arts ! Des clés pour se réveiller de son sommeil dogmatique
Les artistes regroupés dans le collectif « Décoloniser les arts » (créé en 2015) luttent contre les discriminations vis-à-vis des populations minorées et postcoloniales soit au travers de leur création artistique soit au travers de rencontres.
Une quinzaine d’entre eux ont participé à un ouvrage collectif intitulé « Décolonisons les arts ! » (et les imaginaires) paru aux éditions de l’Arche en septembre 2018 afin de déconstruire la représentation « colonialiste » érigée en dogme, négatrice de l’autre, que nous avons de la société et de l’histoire.
Ouvrir le débat sur le racisme dans le monde artistique et culturel en France
L’ouvrage, majoritairement écrit par des femmes, se compose de trois essais de Françoise Vergès, Gerty Dambury et Leila Cukierman ainsi que d’entretiens menés auprès de 12 artistes de toutes disciplines : Pascale Obolo, Alessi Del’Umbria (écrivain, réalisateur), Bania Medjbar (réalisatrice), Eva Doumbia (metteure en scène, auteure) pour ne citer qu’eux.
Des entretiens auxquels tous répondaient du point de vue de leur propre pratique artistique dans sa dimension décoloniale, réaffirmant l’urgence de la transformation du monde et la nécessaire émancipation créatrice des artistes « racisés » c’est-à-dire « étiquetés comme appartenant à une autre culture dans le regard de l’autre ».
Ils évoquent ce racisme « sans race », silencieux et insidieux, inscrit dans l’inconscient collectif de chacun, qu’il est nécessaire de combattre afin d’ouvrir et libérer notre imaginaire d’une vision « tronquée » de la culture et des arts.
Décloisonner, décentrer, décolonialiser : pour une nouvelle « mondialité culturelle » émancipée de la servitude mentale de l’universalisme occidental (Leïla Cukierman)
Myriam Dao dénonce ainsi la mode bankable de « l’esthétique du Divers ». Eva Dumbia critique à juste titre l’opération de blanchiment des apprentis comédiens à propos des démarches de formation destinées aux populations « discriminées » ou des acteurs issus des diversités.
Chacun témoigne d’un terrible constat : l’invisibilité (ou plutôt invisibilisation) des artistes « issus des minorités » qu’il faudrait à tout prix intégrer (jusqu’à nier ce qu’ils sont) et de leur double peine en tant que femmes (le sexisme ayant la vie dure en dépit du mouvement metoo#).
Il s’agit dans ce livre, au demeurant passionnant, de donner matière à penser une véritable libération des MANA* du joug de la culture occidentale –plus particulièrement française- érigée en valeur universelle et de ses clichés « exotiques » sur les cultures orientales ou africaines.
Il ainsi offre de nombreuses clés pour mieux saisir et prendre avec soi, au travers de leurs expériences, les luttes de ces artistes engagés, luttes qui rejoignent également celles de toutes les femmes, victimes de la servitude mentale exercée par une représentation de la société (et de sa culture) inventée par une élite bienpensante constituée d’hommes.
In fine
Certes, la mise en œuvre de cette libération de nos imaginaires est complexe, nécessitant de s’affranchir de nos propres cadres : « la raison n’aperçoit que ce qu’elle produit elle-même d’après ses propres cadres » écrivait Kant dans La critique de la raison pure, pointant ici les limites de notre esprit.
Néanmoins, dans cet ouvrage collectif qui offre à apprécier la diversité des voix plurielles convoquées, la prise de conscience à laquelle il convie nos esprits apparaît ici comme une nécessité « ontologique » afin de faire tomber les barrières et bousculer les dogmes en place, imaginer une Culture non soumise à une minorité autoproclamée se définissant comme étant la seule détentrice du savoir et de la culture. Diane Vandermolina
*Maghrébins, Asiatiques, Noirs et Autres assignés à une identité pour reprendre l’expression de Gerty Dambury. Mana signifie également force en langue polynésienne.