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Guignol, une tradition héritée de la commedia dell’arte en voie de disparition
Retour sur le déménagement fantastique (adapté du « Déménagement », pièce de Laurent Mourguet, créateur de Guignol) par la Cie du Théâtre Chignolo présenté le 8 février au Divadlo (30 min).
Le Guignol, art séculaire créé à Lyon, est un genre marionnettique méconnu et méconsidéré : qualifier un spectacle de grandguignolesque, c’est souvent porter un jugement négatif sur son objet et désigner la vulgarité, voire même la grossièreté de la chose, au sens péjoratif du terme. Or, le vulgaire désigne ce qui est commun à une majorité voire ordinaire et par extension ce qui est populaire ou relatif au peuple, en opposition à ce qui est noble c’est-à-dire réservé à une catégorie restreinte de personnes issues des milieux favorisés se flattant d’être les tenants de la Culture et du bon gout.
La pièce ici présentée est la première relatant les aventures de Guignol, écrite au début du XIXème siècle. La trame est simple : Guignol est menacé par son propriétaire d’expulsion et par les gendarmes, de prison pour non-paiement de son loyer. Son ami Gnafron lui propose un travail : Piccolo cherche deux personnes de confiance pour déménager une armoire chère à son cœur. Guignol n’a pas le temps d’exécuter ce travail avec l’arrivée inopinée de son propriétaire qui, aux aguets, le harcèle et fait appel aux gendarmes. Suivant les conseils de son ami, il se prépare alors à déménager ses maigres affaires mais avant cela, il lui faut se débarrasser de son propriétaire (surnommé la Saucisse à roulettes) et des gendarmes (le chef rebaptisé Banane).
C’est l’occasion pour Guignol, personnage du peuple et son porte-parole, simple et toujours de bonne humeur, un tantinet espiègle, de se jouer de ces derniers. Entre mauvais tours et coups de bâtons (un des ressorts comique propre au Guignol hérité de la commedia dell’arte avec le comique de répétition et de situation), il se moque de la bêtise des représentants de l’ordre et des riches qui lui imposent leur loi. Car le personnage de Guignol à l’instar de son ancêtre venu d’Italie (Guignol est un Zanni lyonnais, héritier de Polichinelle) est subversif : sous couvert de divertissement et de rire, les spectacles qui le mettent en scène critiquent la société et ses travers, ridiculisant tous ceux qui oppressent le petit peuple (qualifié de fainéant, d’ivrogne, de voleur ou encore de bêta) en les corrigeant à coups de crosse dans un renversement tout hégélien où l’esclave devient le maître.
Autre point commun entre la commedia dell’arte et Guignol : c’est la possibilité d’improviser autour du canevas prédéfini, d’en créer une infinité de variantes et d’intégrer des clins d’œil à notre actualité : ici, l’ami de Guignol passe ses journées avec les GJ au rond-point. Ailleurs, l’objet de sa correction sera un ancien président français. Cet art méjugé requiert également une grande maîtrise de la marionnette à gaine ou burattino : la difficulté réside en ce que le marionnettiste doit manipuler de lourdes marionnettes à tête de bois les bras levés (le Castelet étant en hauteur) afin de les faire vivre et bouger, prendre un objet dans ses bras ou encore parcourir les deux extrémités du Castelet à la vitesse de l’éclair lors de courses poursuites dont certains cartoons se sont faits les fervents imitateurs. Une prouesse technique qui requiert souplesse et dextérité dont le résultat visuel est un ravissement!
Hélas, il est à regretter que cet art soit snobé de nos élites culturelles : rares sont les artistes qui le présentent encore. Néanmoins, ce fut avec grand plaisir que nous avons assisté à cette unique représentation au Divadlo et nous saluons ici le travail à l’œuvre de l’artiste, Guy Baldet (en photo avec son Guignol), sa maîtrise de la manipulation de marionnettes et sa passion communicative pour ce genre en voie de disparition, quant à l’issue de la représentation, il nous raconte l’histoire de Guignol. Bravo et merci pour ce magnifique moment! Diane Vandermolina
© photo de Une : cie chignolo
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