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The culture beyond borders

Retour sur LE SECRET DE LA SAUCE SAMOURAÏ de Benjamin Piat

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Fiction – Long Métrage/Création Cie Mémoires Vives/Décembre 2018 – Belsunce-Noailles-Busserine/Créé en partenariat avec l’APECB (Association de Promotion de l’Espace Culturel Busserine), soutenu par la Fondation Abbé Pierre

Sortie officielle du film : Jeudi 25 avril 2019 À 20h00 au cinéma Le César 4 Place Castellane, 13006 Marseille/  2,50 € – tous publics

Egalement dans le cadre du Festival OQP le mercredi 08 mai 2019 au Point d’Eau à Ostwald

Le Kung Fu du Kébab Vs Le Kung Fu de La Main Invisible*

 

Réalisé avec les habitants de Belzunce, des jeunes talents et des acteurs confirmés, ce premier film alternatif et indépendant, drôle et émouvant, engagé et militant, pose la question des projets de rénovation urbaine voulue par des pouvoirs politiques acoquinés avec des promoteurs immobiliers peu scrupuleux. Sous le voile de l’humour et avec un sens certain de l’autodérision, il porte la parole des habitants et leur critique de la politique de la Ville en matière d’urbanisme.

Les habitants, les politiques et les promoteurs

La Ville (dans ce film, la grande absente) utilise des prestataires douteux comme paravent pour se dédouaner de son action avec les dommages collatéraux que nous connaissons : fermetures de snacks (ils font tâche dans le paysage), expulsion des populations (non désirées), relogements imposés (dans les quartiers Nords). Sont abordées les problématiques de la requalification des quartiers et la gentrification du centre-ville à Marseille ainsi que les méthodes fallacieuses utilisées avec ses réunions de concertation pipeautées, ses pseudo-promesses et tout le tintouin.

Réalisé après la requalification de la rue de la République évoquée par un des protagonistes (très critique à l’égard du projet de création de résidence de luxe à destination des riches qui pourront « faire leur safari » en centre-ville), mais tourné avant le drame de la rue d’Aubagne le 5 novembre dernier et les affrontements autour de la rénovation engagée à marche forcée de la place Jean Jaurès, ce film retrace avec acuité le combat d’une communauté unie en lutte contre un empire immobilier aux méthodes suspectes.  

Le jeune rappeur marseillais Mehdi Amici (Derel) dont les interventions sont filmées à la façon d’un clip musical ponctue les moments clés du film de son rap engagé et offre une respiration bienvenue au regard récit sans l’alourdir. Interagissant avec l’histoire et ses personnages, commentant ici une scène de balade amoureuse entre deux personnages que tout oppose, exprimant là sa critique du phénomène politique de la collusion des intérêts entre les droites, assis sur le perron d’une entrée d’immeuble à la façade abîmée : il scande « Solange Biaggi, Robert Ménard, même combat. Contre le Kebab! ». En une saillie, il fustige la banalisation des idées d’extrêmes droites et les méthodes peu orthodoxes de certains groupes qui n’hésitent pas à employer la force pour déloger les contestataires. Le message est clair et il fait mouche auprès du public.

L’interprétation

Le spectateur suit avec intérêt les destins de ses quatre personnages principaux : Sophiane, le sage du film, gérant d’un snack, ancien maître kung-fu, dévoré par un passé traumatisant ; Djovany, le comique de service, employé de snack qui tente de réaliser une websérie avec ses amis, Karim, la grande gueule dont les ambitions l’amène à trahir ses amis pour devenir le cerbère à la solde du grand patron du consortium immobilier à l’appellation hautement symbolique, et Daniel, jeune homme timide qui s’exprime au travers de ses acrobaties urbaines étonnantes.

Chacun réserve quelques belles surprises au spectateur, notamment le jeune héros, Djovany, qui refusant de se résigner face à la situation, cherche à acquérir un savoir secret « Le Secret de La Sauce Samouraï » afin de mettre en échec le directeur machiavélique de Babylone, maître du KUNG FU de la main invisible* (aux allures de Diable) dans un combat mémorable.

Une galerie de personnages attachants complète le casting avec Jeanne, l’employée de Babylone, médiatrice naïve et dépassée par la tournure que prennent les réunions et qui se ralliera aux habitants, la maître Kung fu qui préfère manger un kébab bien gras au lieu du repas à base de tofu servi dans son restaurant ou encore le jeune homme censé remplacer Karim dans la websérie réalisée par Djovany qui ne jure que par un certain Jacques Mandréa….

Saluons la belle direction d’acteurs et l’interprétation des personnages : chacun, qu’il soit amateur ou professionnel, incarne avec justesse son personnage, avec une mention spéciale pour nos 4 héros très convaincants. Le tout servi par un scénario aux dialogues percutants et vrais qui portent les paroles des habitants.

La réalisation 

Filmant un Marseille vrai et authentique, sans tomber dans les images d’Epinal (ex. la balade de Sophiane et Jeanne sur le boulevard Lonchamps), la réalisation alterne longs plans séquences, scènes brèves et dynamiques, plans larges et gros plans. Le montage s’avère efficace, énergique et rythmé, avec ses effets rajoutés lors des scènes de Kung Fu et un mouvement de caméra approprié donnant l’illusion d’une maîtrise de cet art difficile.

Un beau travail de photographie (le travail du noir et blanc de la scène du détective, la captation de la lumière, notamment lors de la scène où la maître Kung Fu transmet son art à Djovany avec les couleurs chatoyantes de son coucher de soleil sur terrain vague) et une maîtrise des codes du genre (films de gangster, Kung Fu, film noir des années 50 et films d’action américains) par moment détournés (notamment la scène rappelant Rocky) sont à souligner.

Le tout saupoudré d’un zeste de kitch avec cette scène hilarante où Djovany et Daniel parcourent tout Marseille en sautant par-dessus les toits pour livrer un kébab à l’autre bout de la ville et d’un soupçon de gore entre Peter Jackson et David Lynch (avec la main arrachée par le rideau de fer, le cœur arraché de ses entrailles).

On y découvre une subtile mise en abime avec ses personnages tournant une websérie de gangster et ses règlements de compte dans un terrain vague, une façon de montrer l’envers du décor. La question du financement d’un film, et celle de savoir à qui revient la décision finale -du producteur ou du réalisateur- sont posées, ce qui nous rappelle un certain film de Lynch « Mulholland Drive », critique acerbe du milieu hollywoodien.

Ode au vivre ensemble

Cette fiction avec ses nombreux clins d’œil aux films de genre lorgne également du côté du docu-fiction (avec son petit habillage façon histoire vraie où l’on nous révèle ce qu’il s’est passé une fois le film achevé).

Grâce à son hommage au Kung Fu et au travers de l’initiation de Djovany, il permet de traiter de respect et de sagesse, valeurs propres aux arts martiaux, valeurs humaines fondamentales, indissociables des valeurs de solidarité et d’entraide, au-delà de nos différences.

Cette réalisation collective pose en acte un principe souvent oublié : sans la communauté, sans les autres, nous ne sommes rien et c’est grâce au collectif que les choses peuvent évoluer, que des solutions peuvent être trouvées, en témoigne ici la fin du film avec la reconversion dans le bio de Sophiane (redevenu agriculteur) et de Karim (devenu gérant de snack).  

Réalisé avec un petit budget, ce premier film est une belle réussite dont peuvent être fiers ses participants : on rit beaucoup des situations cocasses, on est ému par les personnages, on ne s’ennuie pas. Si bémol il y avait, il serait dans la longueur de la scène (presque) finale où l’on suit un détective embarqué (bien malgré lui ?) dans une situation des plus dangereuses. Mais in fine, cette réalisation offre une bouffée de fraicheur au cinéphile en posant de vraies questions, en offrant une possibilité aux jeunes des quartiers de s’approprier la problématique du réaménagement urbain de laquelle ils peuvent se sentir éloignés. DVDM

Retrouvez notre reportage sur le film

*La main invisible est une théorie économique libérale d’Adam Smith selon laquelle l’intérêt égoïste de chacun contribue au bien-être général.

 

Plus d’infos

Réalisation, scénario : Benjamin Piat/Direction d’acteur, assistante réalisation: Angie Pict/Scripte, assistant réalisation : Nawyr Haoussi Jones/Cadreur, caméraman : Lois Simac/Son : Alexandre Rameaux/Régisseur général : Felix Doullay

Distribution : Sophiane Adgharouamane, Mehdi Acimi, Cyrine Azzouti, Daniel Dorel, Albert Huline, Djovany Manhafou, Karim Medjahed, Leatitia Njariny Boyer, Jeanne Peltier-Lanovsky, Hachim Bimali, Camille Champliand, Yan Gilg, Lucile Marino, Hélène Mohamed, Nadir Ouhab, Teninw, Issa Youm, Mounira Costica, Marc Neiluge, Vanessa Pedrotti, Soraya Aloune.

Crédit photo Jean-Jacques le Masson et Angie Pict

 

Rmt News Int • 25 avril 2019


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