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Le rap engagé et festif de Sara Hebe

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Vous connaissez la série argentine El Marginal, vous en aimez le générique ? Alors venez découvrir le 15 juin au Makéda, 103 rue Ferrari à Marseille (ouverture des portes dès 20h/1ère partie avec WAKA/tarifs : 6 à 10€), Sara HEBE, l’auteure du générique de la série. La rappeuse argentine présente son dernier album Political Pari avec son groupe.

Rencontre avec Sara Hebe

Depuis le début du mois de Mai, la trentenaire Sara Hebe sillonne les routes d’Europe avec son rap engagé et féministe*. Entre deux concerts, nous avons rencontré l’artiste argentine, fraichement revenue de Genève ce 12 juin, en relâche à Marseille avant de repartir à Toulouse où elle donnera un concert unique le 14 juin à l’occasion du festival Rio Loco dont elle est l’artiste coup de cœur. La jeune femme s’est aimablement prêtée au jeu de l’interview malgré la barrière de la langue et la fatigue du voyage : elle nous livre ce qui motive son travail artistique en toute simplicité.

Ses débuts, ses influences, son style

Originaire de Trelew dans la Province du Chubut en Patagonie, Sara s’est installée à Buenos Aires pour y prendre des cours de théâtre et danse en 2007. Ses professeurs l’ont poussée à écrire des scènes de théâtre. De son propre aveu, elle n’était  pas la plus douée en dancehall, elle dansait mais préférait écrire des textes. Son goût prononcé pour l’univers Hip Hop, une culture qui mêle scraching, danse, graffitti et Rap, l’a très rapidement amenée à « écrire ses propres textes et rapper sur des sons téléchargés sur internet ». L’artiste aime les mots et soigne son travail d’écriture : «le plus important, c’est la rime » précise-t-elle avant de rajouter que ce qu’elle aime c’est écrire de « la poésie urbaine ».   

Autodidacte, elle s’est entourée au fil des ans de RAMIRO JOTA, son producteur, que l’on retrouve à la basse, à la guitare et aux machines sur scène, et de EDU MOROTE à la batterie. Ses musiciens l’accompagnent désormais dans tous ses concerts, que ce soit en formation complète en Argentine avec des danseuses, sa sœur au chant et d’autres musiciens, ou réduite, en trio, lors des tournées.

Ses influences musicales sont variées, éclectiques : de Mickael Jackson qu’elle écoutait enfant à Manu Chao dont elle apprécie beaucoup le reggae et l’engagement altermondialiste, en passant par des artistes telles que la rappeuse espagnole Mala Rodriguez ou Actitud María Marta, groupe de rap argentin des années 90, des stars du Hip hop et de la soul comme Lauren Hill du groupe Fugees ou Kenny Arkana, également la cumbia argentine,  ses inspirations sont multiples à l’image de son rap qui mêle cumbia, funk, punk, trap et reggae.

La jeune femme a récemment été auréolée du prix Martin Fierro pour le générique de la série à succès El Marginal tournée dans une prison à Buenos Aires par la TV argentine, « une série avec de très bons acteurs » souligne-t-elle avouant ne pas l’avoir vue en entier (la série entame sa 3ème saison) : cette reconnaissance lui donne plus de visibilité et « c’est bien, cela me permettra de plus travailler », nous confie-t-elle humblement. Le succès, avec cette récompense, ne lui est pas monté à la tête même si cela lui fait plaisir d’avoir eu ce prix « pour une chanson qu’elle aime » précise-t-elle (chanson en bonus dans son dernier album).  

Considérée unanimement comme la meilleure rappeuse d’Amérique Latine, elle garde néanmoins la tête froide.

Copyright photo: Jody Sumergido

Ses combats et engagements politiques

La forme du rap lui permet de parler des injustices de son pays, notamment de la lutte des femmes pour le droit à l’avortement. Car en Argentine, les femmes n’ont toujours pas le droit d’avorter : elles sont encore trop souvent reléguées au foyer pour s’occuper des tâches ménagères et de l’éducation des enfants.  « La lutte pour l’avortement est celle de toutes les femmes, pas seulement la mienne ! » s’exclame-t-elle. Avec humilité et sans prétention aucune, l’artiste explique que la musique est sa manière à elle de s’impliquer dans cette lutte : « ma musique accompagne ces mouvements sociaux afin contribuer à transformer la société argentine » parce que la musique est inhérente aux mouvements sociaux : elle porte une parole politique et le concert live est un espace politique où les gens se regroupent.

« Le concert, c’est un espace de fête, de danse avec des pogos mais c’est également un lieu de revendication et de dénonciation du système et des injustices : les gens chantent contre le président, s’expriment librement » dit-elle. « Il y a beaucoup de fêtes avec un contenu politique à Buenos Aires car il y a beaucoup de collectifs qui organisent des manifestations culturelles et musicales avec un discours politique et militant ». Ne mâchant pas ses mots, elle critique la politique de la gâchette facile des policiers « locos » qui tirent à vue sur les personnes, tuant des innocents. « Dans la loi, les policiers n’ont pas l’obligation de s’annoncer avant de tirer » nous précise-t-elle : avec le gouvernement actuel, « la répression policière est plus forte, faisant des milliers de morts ».

Le titre de son album est une référence à ces rassemblements culturels et sociaux antiMacri. « Political Pari », sorti en avril, peut s’entendre comme une Political Party. « Il ne faut pas attendre que la société soit prête ou non pour défendre nos corps et lutter pour nos droits, combattre le biologisme qui divise et exclut. Il nous faut écrire notre propre histoire, construire nos identités ». Et c’est bien ce qu’elle fait avec son rap engagé et pêchu porteur également d’un message fort, son leitmotiv : « Il faut accepter l’autre tel qu’il est ».

Lutte pour le droit à l’avortement des femmes, combat contre les exclusions et les fascismes

Nous sommes face à un paradoxe dans ce pays catholique : l’Argentine fut le premier pays en Amérique Latine à avoir légalisé le mariage homosexuel, donné le droit au changement de sexe dans l‘Etat Civil pour les personnes transsexuelles et ouvert le droit à la PMA entre 2010 et 2013 (sous la présidence de Cristina Fernández de Kirchner élue de 2007 à 2015). « Il y avait une volonté politique pour la lutte des droits : à cette époque, il y avait un gouvernement qui accompagnait les droits des hommes : c’est une avancée importante mais dans les faits, une grande partie de la société est homophobe, transphobe etc » commente-t-elle.  L’Eglise a un grand pouvoir et l’arrivée du nouveau président de centre droit, Mauricio Macri, s’est accompagnée d’une forte augmentation des violences contre les femmes, les lesbiennes et les personnes trans ces dernières années.

 « Je crois que quand l’antifascisme avance, les fascismes et les droites se lèvent : la société actuelle est fasciste et raciste ». Ce triste constat la motive à continuer à se battre et lutter pour les droits humains et le droit de chacun de vivre sa vie sereinement quelle que soit son orientation sexuelle et son identité autrement dit avoir le droit d’être ce qu’on est. La jeune femme rebelle insiste sur la nécessité de sortir de la pensée binaire des genres et du biologisme : elle nous explique que la déconstruction des genres est nécessaire mais qu’elle prend du temps.  

Elle dénonce un féminisme de droite selon lequel les transsexuels et les travestis ne sont pas des femmes parce qu’ils n’ont pas de vagin : « cela me parait un fascisme. Je crois que le féminisme qui inclut les femmes lesbiennes, les trans et les travestis est un antifascisme », un moyen de lutte contre le patriarcat. « Il y a un mouvement social « el encuentro national des mujeres » (le rassemblement national des femmes), qui est très fort et massif en Argentine : il regroupe tout type de femmes de tout milieu, même des femmes d’église, et se veut une réponse politique au gouvernement. Il va être rebaptisé mouvement plurinational des femmes afin d’inclure les aborigènes qui peuplaient l’Argentine avant d’être colonisés », citant l’exemple de la communauté « mapuches ». « Les mapuches se sentent mapuches et non argentins : c’est important de les inclure comme d’intégrer les LGBT aux luttes féministes » conclut-elle**.

Des propos d’une actualité troublante qui trouvent leur écho en Europe avec la montée des extrêmes et la régression sociale que connaissent les pays européens avec une augmentation des violences anti-LGBT, de la répression policière et la lourde menace qui pèse sur nos droits humains chèrement acquis. Nous ne pouvons que saluer le combat de la jeune femme aux idéaux humanistes et vous conseiller de la découvrir sur scène. Diane Vandermolina

*Après Marseille, elle ira en Italie pour une date à Gênes le 19 juin et une seconde à Bologne le 21 juin avant de continuer son tour européen. Dès le 4 juillet, elle se produira en Allemagne : à Berlin, Kiel, Bremen, Hambourg. Egalement invitée au Festival de la cité de Lausanne  le 9 juillet et au Transit Festival en Allemagne le 12 juillet, sa tournée s’achèvera par une dernière date en Espagne le 20 juillet à Oxiando, un retour en ce pays qui l’a accueillie dans les plus grandes villes (Barcelone, Madrid, Valence, Bilbao etc) au début de sa tournée européenne avant de revenir en son pays natal, l’Argentine où elle présentera à la rentrée son dernier et 4ème Album Political Pari.

**Ce mouvement a accueilli plus de 70000 personnes en octobre 2018 quand il s’est réuni en Patagonie : cette année, en octobre, ce sera à La Plata à côté de Buenos Aires qu’ils organiseront une grande manifestation contre la violence envers les LGBT et les femmes.

Quelques morceaux à découvrir

 

Rmt News Int • 13 juin 2019


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