Retour sur « Homo, ça coince ! » du Collectif Manifeste Rien (création 2019)
Quelle belle surprise que celle de la soirée du 30 mai au Théâtre de l’Oeuvre Marseille avec le collectif Manifeste Rien et leur dernière création « Homo, ça coince ! ». Nous avons assisté à du Théâtre, du vrai théâtre, qui aurait sa place sur les grandes scènes françaises.
Une « joyeuse » performance d’acteur sur un sujet grave : l’homosexualité
Le spectacle est interprété par un Olivier Boudrand magnifique, précis dans sa gestuelle, notamment lorsqu’ il mime les mouettes ou encore donne vie à un comptoir de bar, sa machine à café… Vêtu d’un costume de cérémonie blanc, au col bien droit, il est seul en scène durant une bonne heure sur un plateau nu. A la fois émouvant et drôle, il incarne avec talent et sobriété, une grande justesse et sans caricature, les 15 personnages du spectacle et passe avec dextérité de l’un à l’autre (la difficulté de jeu résidant à jouer plusieurs personnages interagissant dans une même scène) : Albert, un macho homophobe amoureux de Betty, une trans argentine, une famille marseillaise classique et bon teint dont le papa va s’encanailler à la place Sébasto et leur fils, une lesbienne afro-américaine délurée et sa copine camionneuse, un joueur de flipper maghrébin, un habitué des relations homosexuelles tarifées, un garçon de café enjoué, etc… sans oublier Monsieur Loyal, le narrateur.
Ce dernier, dans un langage parfois cru mais jamais vulgaire, parle des pratiques sexuelles entre femmes ou encore commente la scène précédente : le principe du « rewind » et de la répétition est par ailleurs fort bien vu et amené, notamment lorsqu’il demande ironiquement : mais où va le papa ? avant que le comédien ne rejoue la scène et ne nous dévoile cette réalité d’une double vie à laquelle nous nous attendions.
Jeu sur des clichés « rassurants » pour mieux les dénoncer
De nombreux clichés sont ici dénoncés lors des interventions du narrateur : celui de la lesbienne féminine ou encore de la tapette créative plus tolérés par la société que les trans. Alors, même si les personnages au premier regard peuvent paraître aux yeux de certains « clichés », leur histoire et évolution au fil du spectacle les éloignent de cette caractérisation rassurante, déjouant les préjugés: pour exemple, un garçon qui enfant aimait les robes ne devient pas forcément homosexuel (le fils de la famille marseillaise) ou un macho grande gueule et susceptible, bête et homophobe, peut se révéler, en amoureux transi, dans un renversement tout hégélien, doux comme un agneau (Albert ne relevant pas les railleries de la camionneuse sur sa personne ou se baladant, bras dans les bras, avec Betty à la vue de tous).
Olivier porte cette création avec conviction et offre à entendre un texte intelligemment écrit où se mêlent paroles de tous les jours et réflexions sociologiques poussées sur la question des identités et des sexualités, servi par une mise à la scène efficace et judicieuse qui épouse le texte avec finesse, sans déplacements inutiles ou gestuelle parasite.
Vers une déconstruction des catégories
Ecrite à partir de diverses sources littéraires, d’une étude sociologique élaborée par Laurent Gaissad (socio-anthropologue) et de témoignages vécus recueillis par Jeremy Beschon avec la collaboration de Virginie Aimone et du comédien, cette création nous questionne sur nous-mêmes, notre sexualité, nos désirs et notre position par rapport à la norme hétérosexuelle établie qui contamine chacun de nous, que nous soyons homo, hétéro, trans ou autre. Comme l’écrit Kant, dans la Préface de « La Critique de la Raison Pure », « la raison ne voit que ce qu’elle produit elle-même d’après ses propres plans ». Avec ce spectacle, la compagnie démontre qu’un travail de déconstruction des catégories ancrées dans nos inconscients collectifs est nécessaire si nous souhaitons appréhender les relations humaines et sexuelles autrement que sous un angle hétéro-normé : la discussion sur le mariage homosexuel entre la colocataire afro américaine du jeune marseillais monté à Paris et sa petite amie est ici pertinent et riche en enseignements sur les luttes LGBT, leur récupération politique et la question de leur politisation (dépolitisation pour certains, re-politisation pour d’autres).
En effet, au-delà de la reconnaissance de la légitimité du couple homosexuel qu’il apporte, le mariage pour tous n’est-il pas une « hétéro-normalisation » du couple homosexuel où l’un fait la femme, le second l’homme ? Il en est de même pour les couples de lesbiennes même si concernant ces dernières les fantasmes masculins sur leur sexualité persistent. Tout l’intérêt du spectacle réside donc en ce qu’il interroge d’un point de vue politique les luttes LGBT, les racismes et les discriminations en tout genre touchant toutes les minorités, plus particulièrement au travers de la vie et du personnage de Betty (touchante quand elle raconte les abus subis par sa mère de la part de son patron, entre exploitation et viol répétés d’une immigrée argentine).
Un grand bravo à Jeremy Beschon et toute l’équipe du collectif! In fine, comme dirait Betty, « si on aime quelqu’un il faut l’embrasser tous les jours » et ce quel que soit le regard de l’autre sur notre couple ! Diane Vandermolina
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