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On a vu à Avignon off 2019 : Je suis là par la cie Un Mot… Une Voix…

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Auteur: Jacques MAURY/Metteur en scène : Abdel Bouchama/Interprète : Cécile Petit

Durée : 1h/ A partir de 16 ans /Tarifs Abonné10 €/Plein  tarif15 €/Réduit 10 €

AVIGNON OFF du 5 au 26 juillet – Relâches : 15, 22 juillet- à 16h00 à PRÉSENCE PASTEUR  13, rue du Pont Trouca 84000 – Avignon – Réservations +33 (0)4 32 74 18 54 +33 (0)9 66 97 18 54

Le récit poignant d’une souffrance salvatrice

Devoir survivre au décès de son enfant est chose impensable et inimaginable, voire indépassable et insurmontable, d’autant plus quand ce dernier se suicide« Hériter de son enfant. C’est étrange. »

« Je suis là » relate le courageux combat intérieur d’une mère dont le fils est mort d’une overdose volontaire. Comment vivre avec le poids de cette disparition, la souffrance de cette perte et la culpabilité consécutive à ce geste inattendu ? Culpabilité du survivant, remise en question de sa capacité à être parent, sentiment d’avoir failli… Faut-il sombrer et renoncer à vivre –survivre et/ou mourir ?-, fuir la réalité ou accepter et faire front à cette souffrance ? Telles sont les interrogations soulevées par ce texte au travers du monologue de son héroïne, Maud.

Cette dernière nous emporte dans le tourbillon de ses questionnements intimes. Autour de son fils, Lucas, un jeune homme étranger – inadapté- à ce monde dans lequel il ne trouvait pas place. « Je ne parle que de moi : on dirait que c’est moi qui suit morte. Qu’avons-nous fait de toi ? Tu n’es plus là pour nous le dire ».  Sur son couple et son mari, Hervé, père absent dont elle se demande pourquoi elle l’a épousé. Sur sa mère autoritaire et égoïste qui n’a de cesse de la rabaisser et la culpabiliser –une mère toxique dirions- nous de nos jours.  

Pour mettre à la scène ce texte –commande d’écriture par la compagnie cie Un Mot… Une Voix, Abdel Bouchama a choisi la sobriété tant dans la direction d’acteur que dans le choix des décors et lumières qui par touches viennent accompagner une émotion, un geste. Ici, ce sont quelques objets épars sur la scène : côté cours, une grande malle fourre-tout de laquelle Maud sortira tissus, radio-cd, boite à musique, lettre-testament de son fils ; au centre, une petite chaise recouverte d’un tissus vert pomme sur lequel est posé une petite figurine en plastique avec laquelle converse Maud, et côté jardin, un paravent de couleur sombre.  Nous sommes dans la pièce où Maud et Lucas ont partagé tant de moments de jeu, de complicité et de joie ensemble.

L’occasion pour elle de se livrer, se souvenir de son fils vivant, lui parler de ses inquiétudes, de ses fêlures également, de son enfance à elle quand elle était petite fille, forcée par sa mère de porter aux pieds de lourds brodequins, tentant devant nous un défilé de mode improbable qui vire au clownesque (avec une imitation cocasse et drôle de la démarche de Chaplin). Une logorrhée ininterrompue telle un flux libératoire qui lui permet de faire son deuil, un deuil qui passe par la crémation des lettres de son fils pour se débarrasser de ces souvenirs incommodants, « mieux vaut ne jamais avoir eu d’enfant que de n’en avoir plus », un deuil qui passe également par la tentation de la folie avant le choix de la vie… « Où se trouve le cœur de la goutte de mercure quand elle se désintègre ? Nulle part. Il n’est plus qu’un souvenir». Question existentielle de cette grande brûlée de l’intérieure, qui se demande comment vivre après la mort de son fils sans devenir folle.

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Cécile Petit laisse à entendre distinctement chaque mot, chaque parole de ce texte joliment ciselé. Deux voix off, celle du père absent et du fils fraîchement enterré, se mêlent à son dire : nous saluons ici la diction de la comédienne qui donne corps à son personnage sans tomber dans le pathos ni l’hystérie. Toute en tension intérieure et en crescendo dans le jeu, avec précision dans la gestuelle et les déplacements, Cécile passe du désespoir à la joie par un subtil aller-retour de sentiments contradictoires, entre profonde tristesse qui étreint la mère en deuil et vague éclaircie qui luit au loin, espoir de joie dont elle a honte : la mort de son fils a agi tel un catalyseur mettant en lumière le simulacre que fut sa vie aujourd’hui décomposée. Une prise de conscience douloureuse mais salvatrice d’un futur à imaginer et vivre en quittant ce « mensonge confortable » de sa vie.

Dans cette pièce, « Je suis là »*, titre éminemment bien choisi et porteur de sens, s’affirme l’existence de Maud, son « être-là au monde », ce Dasein d’Heidegger tourné vers le futur pour exister, et non seulement être, encore moins paraître.  Pour cette raison, nous ne parlerons pas ici de résilience pour qualifier le processus par lequel Maud se libère de son deuil et fait de sa souffrance un tremplin, à l’instar du Dasein dont la finitude donne sens à son être-là.

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In fine, si  le sujet de la pièce est grave, dur et douloureux, la mise en scène fine et précise d’Abdel et le jeu d’acteur tout en nuance et intensité de Cécile offrent de belles respirations, où l’on sourit par moments, ce qui évite au spectateur de sombrer dans l’abîme suffocant  du chaos de la désespérance induit par le drame subi par Maud.

Un grand bravo à toute l’équipe qui porte avec force et conviction ce très beau projet de seul en scène théâtral sur un sujet délicat ! Diane Vandermolina

*Pour ceux qui souhaitent découvrir le texte, il est édité aux cahiers de l’égaré et mérite lecture.

Rmt News Int • 3 juillet 2019


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