Deux rien par la Cie Comme si
Danse contemporaine et théâtre gestuel tout public/durée 1h
Avec Clément Belhache et Caroline Maydat
Vu le 17 juillet au théâtre des LUCIOLES 10, rempart Saint Lazare, Avignon off 2019
Ce duo clownesque raconte des moments de vie de deux SDF : ces derniers trompent la faim et la solitude, le temps et l’ennui en s’occupant comme ils le peuvent.
Un plateau nu, un rideau et un banc avec deux personnages, l’un couché dessus, l’autre dessous, qui se réveillent… Le public est là qui attend le début du spectacle, les deux personnages intrigués observent les spectateurs, viennent s’installer parmi eux, puis retournent sur la scène comprenant que ceux sont eux les protagonistes de l’histoire. Le ton est ici donné : « Deux rien » est un spectacle qui se veut interactif. Les comédiens-danseurs prendront à parti à plusieurs reprises le public, demandant à une petite fille de les rejoindre pour une partie de jeté de bonnet ou encore interpellant le public en lui lançant le même bonnet, l’interrogeant du regard, tentant de « jouer » avec lui.
Nos deux rien entrainent le public dans leur quotidien fait de jeux enfantins : courses poursuites, cache-cache, concours de grimaces, bataille rangée, banc musical à défaut de chaises musicales, voire jeux de « guerre » avec le bonnet devenu dans leur imagination bombe. Ils s’amusent, se chamaillant, se chicanant, se boudant, se réconciliant comme tout enfant jouant avec trois bouts de ficelles, leur créativité faisant le reste.
Ici, Clément Belhache offre à découvrir un personnage clownesque savoureux, à la fois tendre et taquin, à la démarche dégingandée, le dos légèrement courbé, les mains ballantes quand elles ne veulent pas fuir ce corps trop grand, le regard doux et naïf. Il est émouvant quand il croit sa copine de jeu morte et la prend dans ses bras et fait preuve d’une gestuelle précise dans ses mouvements : il se révèle excellent mime, faisant semblant de découvrir une pièce dans son bonnet. Qui plus est, il tient son personnage de bout en bout même lors des passages dansés (notons ici sa souplesse étonnante en tant que danseur). A contrario, Caroline Maydat tend hélas à perdre son clown lorsqu’elle danse. Garçon manqué à la démarche vive, défiant son ami d’un regard provocateur, elle se joue de son acolyte sans vergogne. Un véritable enfant terrible, dirions-nous !
Côté mise en scène, nous assistons à de jolies trouvailles : la scène où le banc apparait et disparait de chaque côté du rideau, chacun tentant de le tirer à lui, est délectable (jouant sur un comique de répétition efficace). Le moment où le rideau se transforme en voile de bateau est également fort bien amené avec une mention spéciale pour les effets de lumière et les bruitages, venant fort à propos. Nous sommes en pleine tempête, le bateau tangue. Le public se laisse aisément emporté dans ces moments burlesques où les deux clowns s’amusent au dépend l’un de l’autre (la scène du banc musical ou encore quand ils s’embrassent en grimaçant de dégout, deux scènes à la fois drôles et très justes) mais la danse tend à prendre trop le pas sur le théâtre gestuel : nous nous attendions ici à un équilibre plus subtil entre théâtre gestuel et danse contemporaine. Et bien qu’ils soient tous deux excellents danseurs, que leur mouvement soit précis et juste, la chorégraphie tend à être trop répétitive avec les mêmes gestes de mains tremblotantes réitérés à l’envi, les mêmes pas de danse et ainsi de suite.
Ce jeu sur la répétition à l’identique des mêmes mouvements dansés est certes plein de sens – à chaque nouvelle journée, la faim omniprésente les tenaille, leur rappelant le drame de leur situation- mais d’une durée et d’une fréquence trop excessives, cette répétition tend à provoquer un effet paradoxal : l’empathie que nous pouvons ressentir pour les deux personnages se dissout dans la performance que nous admirons chez les deux artistes. De plus, même si les jours se suivent, ils ne se ressemblent pas en tout point, en atteste la multiplicité de leurs jeux et l’inventivité dont ils font preuve pour tromper le temps et cette faim…
Néanmoins, cette création qui raconte le quotidien de deux solitudes faisant un bout de chemin ensemble sur la route escarpée de la vie a le mérite de parler d’un sujet grave de façon ludique avec humanité et poésie. Elle nous interroge, à savoir comment traversons-nous la vie, comment affrontons-nous ses vicissitudes, comment pouvons-nous l’éclairer d’un rayon de soleil et de joie ? Diane Vandermolina
copyright photos: Gilles Dantzer
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