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Musicatreize fait son Cabaret

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L’Ensemble Musicatreize et son chef charismatique Roland Hayrabédyan nous convient  à une soirée très originale, mêlant, en prélude, des chansons de cabaret, autour du vin et, en seconde partie, l’oeuvre du compositeur grec contemporain Alexandros Markeas Dionysos, le vin, le sang, pour 12 voix et dispositif électroacoustique, commande de Musicatreize, au compositeur grec, en 2010, en collaboration avec le Gmem.

La mise en espace des chanteurs, au milieu des spectateurs, chacun se levant pour servir à boire, chanter, jouer, danser, nous aimante d’entrée.

Superbe première partie, choix éclectique, mélodies raffinées ou plus populaires, évitant cependant les éternels airs de griserie d’Offenbach ou le Brindisi de la Traviata de Verdi, malgré des réserves sur un Duo des chants de Rossini, fort bien chanté et très applaudi, mais éloigné du sujet (Kaoli Isshiki, soprano, chatonne espiègle et Grégoire Fohet-Duminil, chaton à la voix affirmée, sûr de sa victoire), et un périlleux Summertime à 4 voix. Patrice Balter, bondissant, est excellent dans le célébrissime Willkommen du film Cabaret. Le film de Bob Fosse semblait se rejouer devant nous et Liza Minnelli pouvait apparaître! Il conclura aussi cette première partie par un Cabaret (Titre éponyme du film) éblouissant !

Hélène Richer cisèle Youkali de Kurt Weill, tango-habanera, avec une voix d’une extrême sensualité, aigus planants. (« Youkali, c’est le pays de nos désirs»). Jean-Manuel Candenot, basse, tel un crooner séducteur, caresse magnifiquement le tube Sixties de Frédéric Loewe : If everI would leave you. « Je bois » de Boris Vian, « pour oublier les amis de ma femme, pour oublier tous mes emmerdements! », craquant Gilles Schneider, dans une gouaille très Saint-Germain. Bilbao Song (Kurt Weill) nous fait découvrir le beau timbre chaud de la mezzo-soprano Alice Fagard qui s’amuse avec le public.

Chanson à boire de Francis Poulenc est ici offerte par la basse Grégoire Fohet-Duminil : « Buvons donc selon notre envie, il faut boire et reboire encore, buvons donc toute notre vie, embaumons-nous avant la mort ! », timbre rond, belle tessiture homogène, dans un tempo adagio, comme une marche funeste. Quatuor remarquable dans la Masterpeace de Paul Drayton Mozart/Beethoven, répertoire habituel des King’s Singers, Claire Gouton, Estelle Corre, Jérôme Cottenceau, Jean-Manuel Candenot nous livrent une interprétation colorée, humoristique et de grande qualité de cette œuvre parodique, autour des 2 monstres de la musique classique ! « Sforzando, piano, agitato, appassionato...», dérision vocale sur les termes musicaux  avec entonnoirs, comme accessoires ! Etonnant. Vivifiant !

Entre chanté et parlé, Margot Mellouli, mezzo-soprano, nous met en garde avec la chanson de Juliette Le diable dans la bouteille, contre les attirances maléfiques et illusoires: « Au fond de ma bouteille, un petit diable veille, pas plus gros qu’une abeille, plus noir qu’une corneille… ». Très belle interprétation, aux multiples expressions, voix lyrique, réaliste très affirmée. La pianiste Christelle Abinasr, n’est pas seulement accompagnatrice; présente et très expressive, elle se délecte dans ces répertoires variés, de l’air parodique à la mélodie plus soignée. Dans le tango d’Angel Villoldo, pour piano solo, les syncopes sont les cliquetis des verres, comme une invitation à boire. On retrouve Dionysos, Dieu de la vigne, du vin et des excès, dont le culte est marqué par les fêtes orgiaques et le retour du printemps, invité prestigieux de la deuxième partie.

Pianiste, compositeur, Prix de Rome, Markéas aime explorer le son, dans la tradition des musiciens spectraux (Gérard Grisey, Tristan Murail…). Son banquet démarre par un clin d’oeil au poète lyrique grec Anacréon, traduit par Ronsard (« Tout boit ») et un extrait du Bourgeois Gentilhomme de Molière (« Buvons ! Chers amis, buvons ! »). Les 12 chanteurs, assis à une table, comme pour un grand festin, se renvoient phrases et onomatopées, dans une grande énergie, euphorie de l’ivresse, alternance bouche fermée, répétition de motifs minimalistes : « Buvons, buvons ! » puis écriture plus verticale, dans le style d’un choral : « Que l’on peut être heureux ! ». Le dispositif électroacoustique fait entendre des gouttes, l’eau et le vin se mélangeant, puis des bruissements inquiétants. Le point culminant est ce long passage : « Qu’ils sont doux vos petits glouglous » (Molière Le médecin malgré lui ») : gammes ascendantes, descendantes, arpèges, glissandi impressionnants, très beau travail a cappella, sur des voix solistes en contrechant.

On s’étale sur la longue table, repus, épuisés, l’ivresse faisant place à la mélancolie, jusqu’au sommeil, dans un grand decrescendo. Remarquable révérence des convives-chanteurs, magie du silence après l’effervescence. Hayrabédian reste un chef discret, mais précis, dont le moindre geste est le résultat d’un travail si détaillé en amont.

Rares sont les pièces contemporaines sur le thème du vin. Rares sont les Ensembles vocaux, spécialisés dans la musique contemporaine, qui peuvent compter sur des voix solistes remarquables, aux couleurs et caractères si différenciés.

YVES BERGÉ

Cabaret Musicatreize / Alexandros Markeas : Dionysos, le vin, le sang

Ouverture de la saison 19/20 de l’Ensemble Musicatreize
Roland Hayrabedian : direction / Christelle Abinasr: piano

Vendredi 11 octobre 2019 Salle Musicatreize, 53 rue Grignan 13006 Marseille
T +33 (0)4 91 00 91 31 ou musicatreize@musicatreize.org

crédit photo: Yves Bergé

Rmt News Int • 13 octobre 2019


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