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Festival en Ribambelle : retour sur l’Opera dei Pupi de la Cie Carlo Magno (Palerme, Sicile)

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Le Mucem proposait pendant les vacances de la Toussaint, dans le cadre du festival en Ribambelle!, l’Opera Dei Pupi de la compagnie Carlomagno, créée par Enzo Mancuso, originaire de Palerme (Sicile) : la compagnie présentait deux épisodes de la fameuse épopée des paladins français, portant à la scène deux passages du Roland Furieux  (Orlando Furosio) poème épique en italien composé par Ludovico Ariosto, dit « l’Arioste », au début du XVIe siècle, un des grands thèmes de la Storia dei Paladini di Francia.

Ici, nous retrouvons Orlando éperdument amoureux de sa belle Angelica, princesse qu’il doit délivrer des griffes d’un monstre marin : il la découvre saine et sauve, amoureuse d’un chevalier sarrasin, Medoro, et en perd la raison. Astolfio, ami d’Orlando, venu d’Angleterre, aidera celui-ci à recouvrer la raison en allant chercher sur la Lune, suivant les conseils de San Giovanni, la raison de son ami, sur le dos de son fidèle Hippogriffe (animal ailé, mi-aigle, mi-cheval). Orlando retrouvera la raison et, grâce à son courage légendaire, l’armée de Charlemagne parviendra à triompher des Sarrasins aux portes de Paris, les boutant hors de France.

Ces épisodes bien connus sont des classiques de l’Opera dei Pupi, inscrit en 2008 sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO. Cet art est typique de la tradition sicilienne des cuntastorie (en italien: cantastorie), un genre très populaire dans la Sicile du XIXe siècle, et il reste encore aujourd’hui quelques familles héritières de cette tradition marionnettique dont la famille Mancuso de Palerme qui a créé le Teatro Carlo Magno, un théâtre « stabile » soutenu par les tutelles italiennes.  

Les pupi sont des marionnettes de la taille d’un enfant : elles tirent leur nom de pupo (enfant, en sicilien) et représentent des personnages épiques (de preux chevaliers) ou des paysans. Elles sont richement décorées et finement ciselées : la structure en bois articulée qui forme le squelette de la marionnette, suspendue à des fils de métal pour la manipulation, est recouverte (pour les chevaliers) de véritables cuirasses forgées à la main par le marionnettiste : chaque personnage porte un bouclier orné du blason de son royaume d’appartenance selon qu’il est franc ou anglais et un casque recouvert d’une large plume colorée.  

Ici, les techniques de manipulations varient selon l’appartenance à l’école de Palerme ou de Catane mais c’est toujours le marionnettiste appelé Puparo qui s’occupe de la mise en scène du spectacle créé à base d’improvisations autour d’un canevas comme dans la commedia dell’arte : il fabrique  lui-même ses marionnettes et ses accessoires avec des outils anciens et traditionnels. Sur scène, tout en manipulant les marionnettes, il module son timbre de voix afin de rendre toute l’ardeur et tout le pathos des scènes épiques qui sont représentées, accompagnant les combats de martellement de pieds (pour les galops de chevaux) ou d’autres effets sonores créés à partir d’objets simples tels un coquillage ou une corne (pour les bruitages de tempête ou l’annonce des combats), voire une simple plaque en métal souple (pour le bruissement des feuilles ou un grondement d’orage).

 

Dans cet Opera dei Pupi de la compagnie Carlo Magno, les artistes de la compagnie ont conçu un véritable petit théâtre avec sa scène en hauteur. Cette dernière est entourée de larges toiles peintes aux couleurs de la compagnie, surplombée par l’emblème de la Sicile « La Trinacria ». Ces toiles représentent des scènes de combats et servent à masquer les coulisses desquelles sont manipulées les marionnettes. Quelques petits spots éclairent par le devant la petite scène sur laquelle se déroule le spectacle. En fond de scène, se dévoile une toile peinte, une forêt, celle dans laquelle se rend Orlando pour tenter de retrouver son Angelica.

Au fur et à mesure du récit, se découvrent d’autres toiles représentant une chambre, une vue de la Terre, la Lune, un château… situant l’histoire au fil de son avancée afin de permettre au public de suivre cette épopée racontée en italien. Chaque volet des aventures d’Orlando est annoncé par une petite musique et une comédienne italienne, Irène Lentini, intervient en amont de chaque épisode pour en récapituler les temps forts en français à l’attention du public venu en nombre ce jour.

Ici, la maîtrise technique et la beauté des marionnettes sont remarquables même s’il est à regretter que par moment un petit jeu d’ombre malencontreux dévoile un peu des coulisses du spectacle : le harnais sur lequel repose le bras manipulant la pesante marionnette se voit en ombre chinoise et le spectateur peut découvrir de temps à autres un bout de genou du marionnettiste.  Néanmoins, la magie des pupi opère et les émotions sont palpables, notamment quand Orlando pleure le désamour de sa belle, le bras couvrant son visage légèrement tourné vers un arbre imaginaire (avec quelle dextérité et précision) ou encore l’arrivée inattendue de San Giovanni tel un ange tombé du ciel (avec un très bel effet donné par le balancement du corps en apesanteur de la marionnette).

Chaque personnage (le fumatore qui introduit le spectacle, le paysan ou encore la belle et les chevaliers) sont fort bien manipulés (notons ici la justesse des mouvements de la marionnette de l’aubergiste, pieds ancrés au sol, bras levé et tête tournée vers un Orlando désespéré) et le combat final est fort impressionnant même s’il laisse un gout de trop peu : en effet, il faut attendre la dernière scène pour assister à un combat épique mais la maîtrise est ici étonnante.

Les corps sont mis en pièce, les bras démembrés et les têtes des Sarrasins roulent sous les coups de Rinaldo, Orlando et Astolfio dans un rythme effréné, suivant une chorégraphie bien huilée avec ses jeux de jambes et de bras formant un ballet parfaitement synchronisé.

Le public est ravi et comme le dit si bien le metteur en scène Enzo Mancuso, nous croyons à la véracité des personnages : « c’est comme s’ils étaient vrais et réels », « nous pleurons, nous rions, avec eux », et « nous sommes émus de leurs aventures ». Le marionnettiste qui prend le temps avant chaque représentation de parler de l’art des pupi et de son histoire sicilienne – où en son temps les spectateurs jetaient du pain et autres nourritures terrestres à la gueule des vilaines pupi, les méchants Sarrasins- tient également à faire profiter le public de ses trucs et astuces mis en œuvre pour rendre encore plus crédible le récit qu’il déroule sous nos yeux, montrant comment sont manipulées les marionnettes (la fin du combat est à vue, les toiles côté jardin et côté cour ont été ôtées) et comment sont réalisés les bruitages.

Avec une belle générosité, Enzo, entouré de 3 acolytes membres de son clan, nous a offert un bien joli spectacle et les amateurs sont invités à visiter les réserves du Mucem où sont entreposées une partie de sa collection de Pupi qu’il a cédé au musée. En tournée en Sicile, il sera du côté de Marsala (province de TRAPANI) du 7 au 10 novembre ! A suivre. Diane Vandermolina

En dehors des photos couleur d’Enzo Mancuso et en noir et blanc des Pupi (crédit Cie Carlomagno), les autres photos ont été prises par Diane Vandermolina

Plus d’Infos sur la compagnie : http://www.mancusopupi.it/

Retrouvez notre interview d’Enzo Mancuso bientôt en ligne!

Rmt News Int • 6 novembre 2019


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