Sois un homme mon fils de et avec Bouchta dirigé par Richard Martin
Du 12 novembre au 31 décembre 2019 – Mardi, Vendredi, Samedi à 21h/ Mercredi à 19h
Salle Léo Ferré du Théâtre Toursky 16 passage Léo Ferré – 13003 MARSEILLE
Durée : 1h20/ Tarifs de 4€ à 25€/Réservation : billetterie@toursky.fr ou 04 91 02 54 54
Humain, si humain !
Adapté du livre Je voulais devenir un homme, édité à L’Harmattan, écrit par Bouchta lui-même, cette création raconte un morceau, un biscuit de vie, de son auteur pour reprendre son expression.
Bouchta n’a pas eu une enfance ni un début de vie facile : musulman, homosexuel, avant-dernier né d’une fratrie de douze enfants dont la plupart ont fini en prison (dealers ou voleurs), sans réelle perspective d’avenir sinon un mariage forcé au bled avec une belle inconnue, soumis à une mère qui en bonne croyante reproduit, complice, le schéma patriarcal machiste où la femme doit obéir sans mot dire à l’homme. Ce dernier pour être un Homme doit soumettre la femme à sa volonté –entendez la violer le soir des noces, à défaut il ne peut en être un. Bouchta commettra contre son gré cet acte d’une cruauté, hélas si banale et si ordinaire, exigé par la coutume.
Au-delà de la question du genre, puisque dès le début nous savons son homosexualité, ce seul en scène bouleversant et troublant nous parle de notre humanité, nos désirs et nos besoins, nos craintes et nos fêlures, nos joies et nos espoirs, nos maux et nos désarrois dans un monde où le nerf de la guerre est toujours l’argent et dans lequel la tradition héritée des croyances religieuses reste encore prégnante avec son lot d’intolérance et de cruauté.
Dans ce spectacle où il expose son enfance indigente mais non misérable, il dénonce avec humour la ghettoïsation des Cités dans les quartiers Nord de Marseille où les enfants qu’ils soient gitans, africains, ou maghrébins n’ont d’autre choix que devenir menuiser, plombier, carrossier ou encore balayeur s’ils ne veulent finir en zonzon : la ségrégation est omniprésente ; le racisme, rejet de la différence, l’homophobie également, avec leur contrepoint : la condescendance (ou réelle bienveillance ?) de certains français bien nés, qui semblent sincèrement touchés par cette misère sociale (sa maîtresse d’école).
Là-bas, il n’y a point de collège général, seulement un collège technique où sont appris les métiers manuels : la carrosserie qui a le vent en poupe (et pour cause !) ou la ministrerie (menuiserie-ébénisterie). Il y a aussi une école pour apprendre à faire les ménages, à laquelle il s’inscrira afin de fournir un certificat de scolarité pour que sa mère puisse toucher la CAF… Le choix est restreint pour le jeune homme attiré par la couture et la mode. Cherchant du travail, il finira plongeur dans un bistrot tenu par un patron homo, les autres patrons lui ayant refusé un poste du fait de ses origines maghrébines.
Des épisodes de vies cocasses (la scène du contrôle d’hygiène au bistrot où l’inspecteur note qu’une pédale -pour actionner l’eau de l’évier- est absente ; ce qui donne lieu à un jeu de mot fort drôle, ou encore la scène hilarante où il raconte comment son voisin juif circoncisait la merguez des enfants, son ami gitan –catholique- suivant le mouvement) se mêlent à des moments de vie d’une tristesse infinie (le suicide de ce même ami gitan -également homosexuel- auquel lui et ses amis ne peuvent rendre hommage car le père leur refuse l’entrée : les gitans n’aiment pas les pédés).
Entre rires et larmes, Bouchta plonge le spectateur dans un portrait au vitriol de la société française étriquée avec sa République qui n’en est pas une (tous les enfants ne sont pas égaux) : il est aussi très critique à l’égard de la société musulmane avec ses codes et ses coutumes d’un autre âge dont il dénonce l’absurdité et la violence. La scène, où afin de respecter la tradition (qui veut que la vierge soit déflorée le soir de ses noces, en atteste le sang tant attendu par la famille sur les draps du couple) sa femme le force à la violer le second soir (le premier ayant été un échec), est terrible.
La République, l’Islam, tout y passe ! Fort heureusement, l’auteur fait preuve d’un sens de l’autodérision bienvenu tant dans le récit de son histoire qui s’en trouve plus « légère » quand il se moque de son ignorance (à l’école des balais : il pensait y apprendre la danse) ou inaptitude (à être comme son grand père dont il tient le prénom) que dans le choix des jeux de mots et néologismes, ceux-là mêmes que nous inventons quand nous ne maîtrisons pas une langue, ces expressions comiques qui nous font rire de nous-mêmes dans un mélange de français, d’arabe et de marseillais.
La mise en scène réalisée par Richard Martin est d’une sobriété et d’une justesse étonnantes : elle sert merveilleusement le texte finement ciselé de Bouchta : découpage dramaturgique subtil et intelligent, mise en scène fine et délicate, touches musicales et jeux de lumière fort adéquats, sans fausse note aucune, qui offre des temps de respirations opportunes venant adoucir une situation dramatique qui serait autrement insupportable, esquissant tantôt une ambiance intimiste, voire soulignant avec sensibilité une émotion ténue. Le plateau est quasi nu : seule trône en son milieu une malle en fer bleue qui servira au fil du spectacle de table, de chaise, de bateau, ou encore de lit nuptial.
La scène première, où avant de découvrir Bouchta, assis sur la malle placée au centre de la scène, paré des habits de sa mère, le spectateur entend au loin un aria de Puccini O mio Babbino Caro, annonce -telle une funeste prophétie- le mariage forcé auquel il devra se soumettre pour devenir un homme et la dure réalité qui le saisit quand il se rend compte de la cruauté de cet acte forcé qui exige de la femme une soumission totale au risque d’être répudiée par sa famille. De même, la fin où il revêt en toute simplicité le voile de la mariée avant de se coucher dans la grande malle bleue qui se referme sur lui – image qui rappelle ces petites boites à musique desquelles émergent quand on les ouvre de petites ballerines qui disparaissent lorsqu’on en rabat le couvercle- est joliment symbolique : prisonnier d’un monde à la mentalité étroite, conscient de sa différence, pour vivre heureux il lui faudra vivre caché, attendre le moment où il pourra révéler au monde sa différence et se défaire de ses liens. Cette scène magnifique conclut à merveille ce moment de vie de Bouchta aujourd’hui divorcé.
Ce dernier est épatant : c’est un acteur hors norme, talentueux, aux multiples visages incarnant aussi bien sa mère que lui-même avec une sobriété qui contraste avec l’image qu’il donne de lui hors plateau. Une découverte d’un acteur magnifique et d’un être humain qui se met à nu complètement sur le plateau. Saluons son courage de parler de tout cela sans fard, car de nombreux sujets abordés dans la pièce sont toujours tabous.
Les bienpensants, ces agélastes les nommerait Rabelais, risquent certes de ne pas apprécier les vertes critiques faites à notre République qui sous couvert d’égalité, liberté et fraternité reproduit un système inique et moyenâgeux et l’encourage. Or, dans la mesure où elle interroge, dans une judicieuse mise en parallèle avec l’Islam, nos croyances aveugles en une norme figée et nos certitudes héritées de la tradition, cette création nous questionne sur nous-mêmes, ces préjugés et conditionnements qui guident -consciemment ou non- nos jugements et actes, le tout avec humour et intelligence.
Pour ceux qui n’ont pas eu la possibilité de le voir à Avignon, allez le découvrir au Toursky du 12 novembre au 31 décembre. Ce spectacle savoureux et douloureux, beau et touchant, porté par un comédien émouvant, profondément émouvant !, est une réussite en tout point. Diane Vandermolina
Crédit photo : Candice Nguyen
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