
Université populaire: « SOIN, CULTURE ET DÉMOCRATIE »
1e université du CYCLE « SOIN, CULTURE ET DÉMOCRATIE »
Présentée par Roland Gori, Jacques Hochmann, Hélène Fresnel, Marie-José Del Volgo et Richard Martin au Théâtre Toursky
Ouvertes à tous et gratuites, les Universités populaires du Théâtre Toursky aspirent à renouer avec l’exigence d’une culture pour tous, en rendant le savoir accessible au plus grand nombre.
Dans une société qui promeut l’excellence, la performance, la conception d’un individu auto-entrepreneur de lui-même, le soin ne cesse d’être relégué à une place secondaire. Serait-il devenu superflu ? Pourtant dans une culture de soi et des autres, le prendre soin n’est- il pas l’une des conditions premières d’une démocratie vivante, soucieuse de former des citoyens responsables ?
Ce cycle consacré au soin dans ses liens avec la culture et la démocratie, entend réhabiliter sa place essentielle dans notre société. Faute de quoi, ne risquons-nous pas de perdre chaque jour davantage notre âme et le sens de notre vie.
Professeur émérite de psychiatrie de l’enfant à l’Université Claude Bernard, médecin honoraire des hôpitaux de Lyon, ancien membre de la Société psychanalytique de Paris et membre honoraire du Groupe lyonnais de psychanalyse, Jacques Hochmann intervient sur la question des “Liens entre démocratie et psychothérapie institutionnelle”. Il a développé, dans le cadre de la psychiatrie de secteur, des dispositifs ambulatoires de soins psychiques en collaboration avec les familles d’usagers et les divers services éducatifs, pédagogiques et culturels de la communauté de Villeurbanne. Il s’est particulièrement intéressé à l’accompagnement au long cours des enfants, adolescents et jeunes adultes, autistes et psychotiques. Il travaille actuellement sur l’histoire des concepts et des pratiques en psychiatrie.
Il est notamment l’auteur des ouvrages suivants, tous publiés chez Odile Jacob :
Pour soigner l’enfant autiste (1997), Histoire de l’autisme (2009), Une histoire de l’empathie (2012), Les Antipsychiatries, une histoire (2015), Théories de la Dégénérescence, d’un mythe psychiatrique au déclinisme contemporain (2018)
Les 45 minutes d’intervention de Jacques Hochmann sont passionnantes. Il démontre avec clarté, dans une perspective historique et reprenant l’histoire de la psychiatrie depuis le 19e siècle jusqu’à nos jours, les liens entre les soins en milieu psychiatrique et l’avènement de la démocratie.
Jacques Hochmann : « Beaucoup plus que les autres spécialités médicales qui ont évolué de manière plutôt linéaire, en accumulant des connaissances, l’évolution de la psychiatrie a été heurtée, sinusoïdales, avec une alternance de progrès dans la prise en compte du sujet et des périodes de régression. Nous sommes malheureusement dans une période de régression. On ne peut pas bien sûr établir une parfaite superposition avec l’histoire avec un grand H et son histoire particulière mais elle est toujours restée très liée au contexte politique dans lequel on vit. Je commencerai cette histoire vers 1800, au moment où se constitue une spécificité médicale. On s’était occupé des fous, bien avant, mais c’est le moment où se constitue une spécialité médicale qui dès les premières années du 19e siècle va prendre progressivement en France puis en Allemagne le nom psychiatrie qui va se donner comme objet de soigner les fous dans un milieu spécifique prévus pour cela… Ce sont Philippe Pinel (1745-1826)° et Jean-Etienne Esquirol (1772-1840) qui, dès 1825, établit pour la première fois pour les fous la qualité de sujet humain potentiel en considérant que même dans l’extrême du délire, il peut y avoir une certaine logique. La volonté révolutionnaire de rétablir la volonté contre l’erreur est politique…
Un milieu psychiatrique en décomposition
Pour Jacques Hochmann, le milieu psychiatrique est en décomposition. La psychiatrie d’aujourd’hui, sous la pression des pouvoirs publics, en fait d’économie et des laboratoires pharmaceutiques en quête de débouchés, les neuroscientifiques en quête de crédit, la psychiatrie est en train de perdre l’humanisme qui faisait sa spécificité. Elle se réduit de plus en plus à la prescription de médicaments et néglige complètement le recueil d’histoires de vies dans ce qu’elles ont d’uniques. Quatre paroles sont essentielles à l’institution psychiatrique :
1/différencier les unités du soin institutionnel
2/ Articuler (circulation de la parole)
3/ Le récit. Ce milieu médical ne devient soignant que quand il donne naissance à une narration
4/Le désir de fonctionnement, à l’image d’un enfant heureux de sauter dans les flaques d’eau.
Hélène Fresnel est journaliste, réalisatrice de documentaires pour la télévision et reporter au magazine Psychologies. Elle travaille sur des sujets de culture et de société. Elle est l’auteur en 2019 avec Roland Gori d’ “Homo drogus : soigner n’est pas droguer” cher HarperCollins et en 2008 avec Véronique Vasseur : « A la rue, quand travailler ne suffit plus » chez Flammarion.
Hélène Fresnel a fourni un travail journalistique sur l’état des lieux de la situation actuelle constatée :
« Des mœurs d’un autre âge »
« Tout un mouvement se met en place, le mouvement des patients experts, l’association s’appelle « Les entendeurs de voix » qui réunit des patients schizophrènes, des psychiatres, l’idée étant que les patients sont les plus à même de parler de ce qui leur pose problème et d’en discuter. Je suis partie de ce que je vois, c’est-à-dire de la psychiatrie en souffrance. Des psychiatres, des soignants se sont émus de la situation catastrophique de ce secteur sinistré. Le 18 septembre 2019 deux députés de La République En Marche ont remis un rapport sur l’état de la psychiatrie en France. Ce rapport est un cri d’alarme. Ce qui est intéressant c’est leur conclusion. La mission d’information, présidée par un député MODEM estime que la situation territoriale de la santé en France est « inefficiente », au bord de l’implosion et catastrophique. Ils se demandent si l’hôpital psychiatrique tel qu’il est en France aujourd’hui peut encore soigner les malades. Aucun commentaire n’est fait sur les mesures prises depuis janvier par la Ministre de la Santé Agnes Buzyn. Pour les deux élus, « les problèmes sont identifiés, les solutions connues et c’est un échec. Le système est un millefeuille indigeste et illisible de structures et d’intervenants ce qui provoque une incompréhension totale du dispositif de la part des patients et de leur famille qui sont pris dans un parcours du combattant et un labyrinthe dans lequel ils se perdent. L’offre de soins actuelle est hétérogène et incohérente. Martine Wooner remarque : « Durant nos déplacements nous avons été choqués : des patients psychiatriques dans les couloirs pendant des heures, d’autres dormant dans les bureaux, des familles et des usagers désemparés et perdus. Il y a urgence à réformer. Face à l’impossibilité d’être pris en charge les patients se retrouvent inévitablement aux urgences, puis hospitalisés alors que la crise, si elle avait été traitée en amont, aurait pu être évitée. Confrontés à l’afflux des patients certains hôpitaux connaissent une sur occupation des lits. La raison première de cette insuffisance est à chercher dans l’insuffisance de l’offre de soins en psychiatrie. D’un côté la demande explose avec deux millions de consultations et 415 000 hospitalisations par an, depuis le début de la décennie 300 000 patients supplémentaires font l’objet d’un suivi régulier. De l’autre côté l’offre dysfonctionne. La psychiatrie ne représente que 2,4% des professeurs d’Université pour 5,8% d’étudiants en médecine. C’est la catastrophe pour la pédopsychiatrie qui est en voie de désertification avec des effectifs en chute de 1235 médecins en 2016 à 593 en 2017. 80% des pédopsychiatres sont âgés de plus de 60 ans. » Il faut savoir que la France a diminué de façon drastique le nombre de lits d’hospitalisation. On est passé de 120 000 à 55 000 lits entre 1990 et 2011 sans toutefois fermer les établissements. Moins de 13000 lits ont été proposés dans des structures alternatives à l’hôpital ou maisons et foyers d’accueil spécialisés. Les conséquences sont immédiates. Inexistence de la prévention, notamment chez les jeunes, recours excessif à l’hospitalisation forcée sous contrainte, usage démesuré de la contention et de l’isolement. Une prise en charge indigne d’un Etat de droit et d’une démocratie développée. Les moyens sont nettement insuffisants pour les hôpitaux en France et l’enfermement des malades est parfois proche de la maltraitance. Adeline Azan, contrôleur général des lieux de privation de liberté, dénonce des mœurs d’un autre âge depuis 4 ans maintenant. Dans son dernier rapport sur la situation en 2018, publié en 2019, elle note : « Le droit à la santé, le droit au maintien des liens familiaux, le droit à l’intimité sont chaque année plus limités par une culture sécuritaire qui ne cesse d’imposer de nouvelles contraintes. » Elle signale des conditions qui ne respectent pas le droit des personnes, du personnel en nombre insuffisant, des conditions matérielles insatisfaisantes, des activités insuffisantes, des visites de famille difficiles et un accès aux soins très problématique. Les règles de la rétention ont été durcies sans que rien n’ait été aménagé pour les rendre plus respectueuses des droits. Toujours d’actualité, l’usage de la contention mécanique consiste à utiliser des dispositifs matériels, liens, attaches, camisoles, pour empêcher ou limiter les mouvements et l’isolement. Il y a une généralisation du recours à l’isolement et à la contention alors même que l’efficacité thérapeutique n’est absolument pas prouvée, ces pratiques connaissent une recrudescence depuis une 20e d’années. Les facteurs d’explication sont multiples : réduction des effectifs, changement dans la formation des professionnels, évolution de l’approche psychopathologique, présence insuffisante des médecins dans les unités de soins, manque de réflexion d’ensemble sur la liberté de circulation des patients etc. A cela s’ajoute le développement d’un impératif de sécurité publique imprégnant le débat politique qui a trouvé dans la présumée dangerosité du malade mental –on se souvient des propos de Nicolas Sarkozy sur le sujet- matière à rassurer le citoyen d’une crainte plus alimentée par le traitement médiatique hypothétique que par la réalité d’un quelconque danger. Le malade mental ne profite pas de la représentation mentale qui s’attache à toute maladie : souffrance, besoin de soins et de compassion. Il évoque au contraire trop souvent l’incompréhension, l’imprévisibilité, la violence et finalement la dangerosité. Aucune instance scientifique ne recommande la mise en place de telles mesures de contrainte. Parmi les établissements visités, ceux qui ne recourent jamais à l’une ou l’autre mesure font exception. La grande majorité dispose d’une voire deux chambres d’isolement et de matériel de contention. La diversité de ces pratiques laisse perplexe sur la cohérence et l’application de leurs mises en œuvre. Les séjours en chambre d’isolement, alors que cela n’est pas nécessaire, sont allongés faute de place. Le CGPL constate des mises en chambre d’isolement qui ne sont pas guidées par l’état du patient dont la durée peut attendre 15 jours. Le port du pyjama est souvent imposé sans prescription médicale. Du côté des patients, le sentiment d’incompréhension voire de punition domine. Adeline Azan conclue : « En mesure de psychiatrie, on est toujours en attente d’une loi ou au moins d’un plan ambition pour faire face à la gravité de la situation, du manque de personnel, des locaux vétustes ne respectant pas la dignité des patients, le recours accru aux soins sans consentement, une augmentation des mesures d’isolement et de contention, un engorgement des urgences générales faute de places dans les services.
Je voudrais rappeler que la France a été pionnière d’une psychiatrie plus ouverte dans les années 60/70. Il s’agissait alors, dans une logique de désinstitutionalisation de la psychiatrie, de modifier et d’humaniser la politique de soins par la prise en charge de personnes atteintes de troubles mentaux à l’extérieur des hôpitaux, leur réinsertion dans la société étant l’objectif premier des soins. Certains pays se sont même inspirés de ces pratiques comme l’Italie qui en 2018 a célébré le 40e anniversaire de la suppression de ses hôpitaux psychiatriques. En France, la situation a bien changé. Les préoccupations sécuritaires se sont substituées à l’objectif de réinsertion. La plupart des services sont des structures closes limitant sans raison la liberté d’aller et venir des patients. Le nombre d’hospitalisations sans consentement a connu une croissance sans précédent ces dernières années facilité par la procédure allégée dite « de péril imminent ». Faute de structures médico-sociales, les séjours en hôpital se prolongent. La France est progressivement devenue l’un des pays européens qui enferme le plus les personnes atteintes de troubles mentaux. On pouvait espérer que le plan santé présenté l’an dernier par le Président de la République affirmerait la volonté de mettre en place une nouvelle forme d’hospitalisation, de limiter les soins sous contrainte ainsi que de favoriser, soutenir et développer du mode alternatif d’hospitalisation. Nous n’en sommes pas vraiment là. Il est urgent de revoir la chaine complète de prise en charge de la maladie mentale, concevoir des hôpitaux pratiquant par principe une hospitalisation en unité ouverte avec des exceptions rares médicalement justifiées et régulièrement réévaluées, mettre sur pied une politique ambitieuse et enfin ouvrir des structures médico-sociales adaptées à la prise en charge en fin d’hospitalisation. En d’autres termes, hospitaliser moins pour soigner les patients dans le meilleur respect de leur dignité et de leur liberté. Voilà ce que préconise Adeline Azan.
« Les Hôpitaux voués à la PESTE MANAGERIALE »
Dans un système en déliquescence l’objectif du soin passe à l’arrière-plan. Il faut gérer, calmer. Le recours à la pharmacologie est constant à l’hôpital et en dehors. C’est ce que nous avons dénoncé avec Roland Gori dans notre livre Homo Drogus. Nous en sommes arrivés au point que ce sont parfois les réactions des patients aux médicaments qui permettent aux psychiatres de poser les diagnostics. J’ai entendu ceci dans un hôpital parisien : « Madame, votre fille réagit très bien au…. Nous pensons qu’elle est atteinte de troubles bipolaires. » Aujourd’hui bien peu de jeunes psychiatres se réfèrent à une conception psychopathologique ou psychanalytique des souffrances psychiques. C’est logique : elle ne figure pas ou très peu dans les formations. La formation des jeunes psychiatres repose essentiellement sur la pharmacologie. Elle est très faible voire inexistante en ce qui concerne les psychothérapies alors que les diplômes de psychiatre donnent le droit d’exercer en tant que psychothérapeute. 90% des étudiants en psychiatrie choisissent les neurosciences. C’est pathétique. Quant à la prise en charge des enfants c’est la catastrophe. En 10 ans le nombre de psychiatres a pratiquement diminué de moitié. Les hôpitaux seraient-ils atteints de ce que Gérard Oury appelle la peste managériale ?
Jacques Hochmann « Les directeurs gestionnaires le disent eux-mêmes : ‘l’hôpital c’est une entreprise et les malades sont les clients’. Les médecins ne sont même plus dans le coup ; les décisions sont prises uniquement sur le mode managérial. Conséquences gravissimes. C’est extrêmement dangereux de supprimer les hôpitaux psychiatriques en croyant qu’on va arranger les choses. Avec cette idée de supprimer les psychiatres, les infirmières, les hôpitaux, est d’une simplicité naïve, redoutable. En Italie, avec la suppression des hôpitaux, les malades disparaissaient dans la nature »
Hélène Fresnel : « à l’origine de la revendication, il y a une jeune Américaine autiste très militante qui n’a pas vraiment ce profil-là. Comment le moment va être récupéré, c’est une autre question, mais à l’origine le mouvement est quelque chose de plutôt encourageant et s’inscrit dans la lignée de Deligny*. Après tout peut être perverti. »
. « On reconnait une société à la façon dont on traite les fous ».
Jacques Hochmann : « Il n’y a pas la folie d’un côté, l’intelligence de l’autre, un type qui n’est pas fou du tout c’est plutôt louche. Ne pas tenir compte de la parole des autres, et de faire des fiches, c’est un raisonnement presque fasciste. Pour les évaluations de la santé, aucune science, aucune pratique, c’est du n’importe quoi. Ce n’est pas parce qu’on est fou qu’on est un sous-homme. Actuellement, c’est une extermination camouflée. Il y a des gens qu’on laisse mourir. D’attacher les gens dans une cellule, cela ne leur donne pas un bon moral. Et même dans des services encombrés de cancérologie, de médecine, de chirurgie, il y a tellement de demandes pour tellement peu de personnel que quand arrive une personne psychotique délirante, il passe après. »
Roland Gori est psychanalyste à Marseille et professeur de psychologie et de psychopathologie cliniques à l’université d’Aix-Marseille 1. Il est l’auteur de nombreux ouvrages de psychanalyse.
Roland Gori : «C’est la fin de la spécificité de la psychiatrie puisqu’au niveau de l’internat on n’est plus interne des hôpitaux psychiatriques mais on va basculer dans un internat général où finalement la vocation sera définie par le rang. Ce n’est plus une vocation spécifique mais le résultat d’un classement qui peut ou pas répondre au désir de l’intéressé. Cela suivra au niveau des infirmiers. On va passer d’un diplôme d’infirmier psychiatrique spécifique à la psychopathologie de notre existence à l’intérieur et à l’extérieur de l’hôpital à un diplôme général. En 1952, aux Etats Unis la pensée était purement gestionnaire avec l’arrivée des migrants. L’arrivée de psychanalystes occidentaux fuyant le nazisme a introduit une nouvelle psychiatrie et donne une notion de conduite et d’adaptation. 1980, c’est le moment où Ronald Reagan coupe les crédits aux hôpitaux. C’est le néo-libéralisme. Aujourd’hui, sous notre troisième empire –si j’ose dire- on est en train de retrouver les dégâts du premier. Sauf que comme disait Marx, ça a commencé par une tragédie, ça risque de se terminer par une farce. » Il y a correspondance totale entre les moments de reconnaissance d’un statut d’un sujet citoyen dans une démocratie politique et les moments d’involution sociale politique avec, à ce moment-là, la disparition du soin. Entre 2003 et 2012, plus de 50% des médecins partaient à la retraite. Il faut trouver des remplacements. On ne peut pas se disculper de ce à quoi nous sommes aujourd’hui confrontés : le drame des établissements de santé pris dans une logique gestionnaire, managériale, comptable etc. plus un autre élément spécifique à la psychopathologie et à la psychiatrie. La véritable psychothérapie institutionnelle ne doit pas partir du rêve et de l’utopie du psychiatre et du psychologue mais bien des patients. »
Jacques Hochmann : « Dans le rétablissement il y a cette idée que ce qui rend malade est le fait d’être soigné. On renverse les choses en quelque sorte. Cela dit chez certains psychiatres il y a de plus en plus aujourd’hui cette idée que l’on définit la maladie par les médicaments. On commence par donner un médicament et on cherche une maladie qui correspond à ce médicament. Cela a été le cas en particulier avec l’hyperactivité et le trouble de l’attention. On a essayé un médicament qui s’appelle la Ritaline et certains enfants avaient l’air de réagir assez bien. A partir de là, il a inventé une maladie. J’ai parlé du rétablissement comme quelque chose qui nous donne un peu d’espoir, mais il y a dans l’outil du rétablissement cet outil de la diversité qui par certains côtés n’est pas entièrement négative mais qui effectivement risque d’abolir complètement le mouvement psychothérapique institutionnel. Deux grands ennemis à cela : d’une part la normalisation, donner à ces handicapés quelques moyens Le danger c’est d’en finir définitivement avec la psychiatrie parce qu’aujourd’hui est revendiqué l’existence de points de vue neuro-divers. La neuro diversité est le nouveau discours. A partir de ce moment-là qui est intéressant car il pourrait éviter une stigmatisation mais il pourrait aussi constituer la disparition du soin avec toutes les annexes institutionnelles, ce que d’autres réclament par la normalisation, la disparition totale du soin, ce que Oury dit très bien dans cette interview. Ce que dit Oury de la prise de pouvoir des directeurs d’hôpitaux dans toute la santé due essentiellement à la réforme Sarkozy qui ont privé les médecins, infirmiers etc. de leur pouvoir en faveur d’une gestion purement managériale, il faut ajouter ce qu’il se passe aujourd’hui de plus en plus. Certains directeurs d’hôpitaux, dont un que je connais très bien, se disent très au courant de la psychiatrie et veulent mettre en place un projet dans l’hôpital, essentiellement biologique, neurologique car cela donne une marque, une légitimité à la psychiatrie. On retrouve tout un tas de discours qui étaient ceux du 19e siècle : retrouver une légitimité face à l’opinion publique. C’est l’évolution de cette technique managériale et par certains côtés c’est encore pire. Un jeune étudiant en master 2 à Lyon en stage prolongé de psychologie en service de psychiatrie a écrit au directeur de l’hôpital lui demandant de faire son stage dans un service d’orientation psychanalytique. Il a eu la réponse suivante : Mr je ne peux pas donner suite à votre demande. La psychanalyse ne fait pas partie du projet médical de l’établissement. En conséquence, veuillez vous adresser ailleurs. »
La Peste Managériale
Une splendide vidéo interview de Jean Oury, psychiatre (1924-2014) que l’on peut voir sur you tube (Jean Oury, avenir psychiatrie, une peste managériale) est proposée au public. Il dénonce la manie de mettre à la tête des hôpitaux des gens qui sont de purs gestionnaires et qui ne regardent pas ce qui se passe dans leurs services. Il crie au scandale du directeur manager et de la privatisation, valable également pour tout le service public.
Une loi qui privatise tout
Roland Gori *: Martine Wonner députée de La République En Marche va être chargée d’une loi qui privatise tout. Le problème c’est que quand on regarde son cursus, un parcours de démocrate, de gestionnaire qui a beaucoup travaillé dans le privé, on comprend que dans les Dernières Nouvelles d’Alsace, au cours d’un débat, elle défende cette idée que, étant donné les déserts médicaux en psychiatrie en France, il va falloir favoriser la privatisation et, d’après elle, diminuer les attentes de cette manière-là. Dans l’hôpital psychiatrique, j’ai connu la double direction, le médecin directeur et le directeur gestionnaire. En fin de course, c’était toujours le médecin directeur qui décidait. Un exemple concret : j’avais en psychothérapie un jeune schizophrène qui, au cours de la psychothérapie, a demandé à avoir un chien. Cela me paraissait important et j’ai plaidé sa cause pour qu’il ait un chien. Grand débat, le gestionnaire disant : pas question. Mais j’ai été soutenu par le directeur médecin qui m’a dit « seulement vous vous débrouillez pour qu’il prenne un petit chien. Le projet thérapeutique prévalait sur la directive gestionnaire et administrative. Et là, c’est fini, pas seulement en psychiatrie, c’est terminé » (voir sur you tube ‘Roland Gori ‘Par temps de libéralisme la psychanalyse est-elle périmée ? Pensées en résidence)
Hélène Fresnel : «Pour reprendre ce qui a été dit sur le beau gâteau que constitue la psychiatrie, aujourd’hui j’ai reçu le bulletin des médecins ‘Psychiatrie l’état d’urgence’. Pour les pathologies psychiatrie et les traitements chroniques par psychotropes, 23 milliards d’euros sont dépensés. C’est-à-dire plus que ce que l’on peut dédier aux autres pathologies comme la cancérologie ou les maladies cardio-vasculaires. On imagine l’immense gâteau que cela va représenter par rapport à ce qui vient d’être dit pour la privatisation. On peut aussi se demander comment avec tout cet argent, on est dans un tel état de régression. Ces progrès puis cette régression que Jacques Hochmann a soulignés. On a le sentiment d’être dans une période de régression. L’optique soignante est arrivée progressivement avec ce point d’orgue de 1960 qui pour les jeunes générations ne doit pas être oublié. L’intelligence artificielle, certains psychiatres espèrent beaucoup en elle. Un jeune psychiatre à un congrès était emballé par les robots conversationnels, une aberration totale. A ma question « Comment faites-vous avec vos patients » il m’a été répondu : « Je gère leur bien-être »
Jacques Hochmann : Après ce rapport, très intéressant, un projet de loi a été déposé qui consiste à anéantir complètement la psychiatrie de secteur et à privatiser l’essentiel de la psychiatrie
Hélène Fresnel : « l’état des lieux est posé, le constat est posé mais ensuite il y a des bras armés qui militent pour une privatisation du secteur. Derrière, il y a des fondations qui plaident pour la privatisation et beaucoup sont noyautés par elles. La personne qui prend en charge la psychiatrie au Ministère est le bras armé d’une fondation qui s’appelle « Fondamental » visant à privatiser la psychiatrie. Tout cela est très inquiétant. A Valenciennes, des médecins ont pris en charge leur hôpital. Leur budget est équilibré et tout va bien. J’aimerais que cette situation puisse se généraliser, que les premiers concernés puissent tenir les cordons de la bourse. »
Danielle Dufour Verna
Prochaines Universités populaires du Théâtre Toursky : Jeudi 12/02/20 19h LE SOIN EN MEDECINE, UNE UTOPIE ?
Théâtre Toursky International 16 Passage Léo Ferré – 13003 Marseille Tél 04 91 52 54 54
*Homo drogus est un livre coup de poing que Roland Gori et Hélène Fresnel lancent dans la fourmilière de notre société de consommation de produits médicamenteux. Ce livre nous met face au miroir de la surconsommation de ces produits, pour bon nombre d’entre nous.
Le DSM (manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux) est un ouvrage de référence créé en 1952 aux Etats-Unis. Les troubles mentaux nous concernent tous…
*(Fernand Deligny, né le 7 novembre 1913 à Bergues (Nord) et mort le 18 septembre 1996 à Monoblet (Gard), est un éducateur et un animateur socioculturel français, une des références majeures de l’éducation spécialisée. Il a été un opposant farouche à la prise en charge asilaire des enfants difficiles ou délinquants et des enfants autistes. Son expérience avec ces enfants est à l’origine de lieux alternatifs de l’éducation spécialisée, à l’image des lieux de vie.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.