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Vu pour vous : ‘Sur tes ruines j’irai dansant’ — GILLES ASCARIDE
Brûlant
Un cri d’amour
Sur scène, des cartons empilés Il arrive, allure dégingandé, affublé d’une perruque aux cheveux longs. En fond de scène, sur grand écran, Marseille nous observe : une vue du Port côté mairie, et la Vierge de la Garde, comme un étendard. Mais l’image n’est pas statique, de l’aube au crépuscule, puis de nuit jusqu’à l’aube, les couleurs changeantes, sublimes, le va et vient des véhicules au loin, apporte le mouvement. La vie est là, Marseille devient un personnage à part entière.
De l’amour, mais aussi de l’amertume, du désespoir, de la souffrance. Dans la bouche de Gilles Ascaride, les mots s’envolent, gabians aux cris stridents sur les toits aux tuiles rouges, oiseaux piailleurs, carnivores, à l’extrême élégance. Observateur de la société, Gilles Ascaride balance à tour de phrases images chocs, douleurs, délires, désirs inassouvis. Quand l’acteur arrache sa perruque, le rire s’accompagne d’un serrement au cœur. L’homme jette l’éponge, il est à nu. Le Marseille de Gilles Ascaride flambe par sa verve, c’est un incendie en plein jour. C’est d’ailleurs la dernière image que nous propose l’auteur-acteur. Sur l’écran, au crépuscule des flammes lèchent la ville.
Gilles Ascaride n’est pas Néron. Il ne détruit pas, il constate et envoie des signaux, des SOS désenchantés mais vibrants. On ne critique que ce qu’on aime. Il fait parler l’homme de la rue, dans un texte gourmand où les clins d’œil à Molière, à Alphonse Daudet, à la Bible, à Raimu et à Pomponette, véritables pépites, s’entrelacent, se mêlent, s’enchevêtrent, se nouent aux interjections, petits et gros mots de notre parler marseillais, à la manière d’une corde marine, peut-être celle d’une cloche de quart.
On peut bien traiter Marseille de grosse connasse, on sait qu’on se battra pour la défendre ! Aucune vulgarité dans ce texte ! Plutôt un bon coup de gueule avec ce parler très fleuri des poissonnières du Vieux Port ! L’humour en prime ! Impossible avec ‘Sur tes ruines j’irai dansant’, impossible de rester en surface des mots. Le texte, percutant, est incroyablement riche, brillant et les spectateurs, ravis, ont furieusement applaudi le spectacle et le comédien lors de sa représentation au Théâtre Toursky en ce mois de janvier 2020.
Gilles Ascaride, pape de l’overlitterature, écrivain et comédien de talent.
‘’Né à Marseille, Gilles Ascaride a toujours affronté sa ville à mains nues. La grande pècheresse a tenté cent fois de le détruire, il a toujours survécu. L’écriture étant pour lui un sport de combat, elle lui sert de P38 dans ses plus redoutables affrontements. Marseille n’aime pas seulement imiter ses cartes postales, elle aime aussi dévorer ses propres enfants. Pour y être un peu plus qu’une sardine, mieux vaut s’en exiler. Un seul refuse de se plier à cette malédiction millénaire : Samson Derrabe-Farigoule. Sa grande gueule défie la Grosse Ville en une imprécation brûlante et vibrante de griefs accumulés. Sous le flot de son verbe vengeur, les murailles de la Ville-Mère, couvertes de trompes-l’œil pittoresques, se fissurent et croulent pour faire apparaître la très puante réalité.
Loin de la littérature encagée et des romans policés qui encombrent les librairies, Gilles Ascaride fait un malheur en déchaînant les grandes orgues du parler marseillais, et nous livre une fresque aussi poisseuse que flamboyante. Dans ce seul en scène, l’auteur-comédien nous offre une harangue colorée où se conjugue intime et universel, petite et grande histoire de Marseille.’’
N’hésitez pas à courir voir ce spectacle original, vibrant et coloré, avec un formidable acteur à la diction parfaite qui n’oblige pas à tendre l’oreille… Un coup de chapeau supplémentaire s’impose à la mise en scène de Julien Asselin, ainsi qu’à la mise en lumières de Mario Butti et l’ingénieuse création vidéo d’Olivier Durand.
Danielle Dufour-Verna
‘Sur tes ruines j’irai dansant ‘ De et avec Gilles Ascaride
Mise en scène : Julien Asselin
Lumières : Mario Butti
Création Vidéo : Olivier Durand
copyright photo DR