Duo Coloquintes : Alice Julien-Laferrière, violon ; Mathilde Vialle, viole de gambe.
On retrouve avec bonheur le Duo coloquintes dans leur dernier disque, Couperin en tête-à-tête, label Seul étoile, avec des pièces également de Debuisson et une belle Suite en sol anonyme. On saluera le texte original de présentation de Loïc Chahine, sous forme d’un dialogue entre deux personnages anonymes à grand renfort d’érudites citations de latin, selon l’usage savant ou pédant de l’époque (on n’a qu’un texte en latin très court sur Blancrocher…). Nous les identifierons comme Froberger et Couperin par leur décision de consacrer un Tombeau à feu M. de Blancrocher mort accidentellement, avec l’ambition de surpasser celui que Gaultier consacra à l’Enclos. En fait, je me permets de préciser qu’on écrivait Lenclos ou, plus justement Lanclos), dont je rappelle qu’il fut un turbulent et célèbre luthiste, père de la plus tard célébrissime Ninon dont je parle plus haut, esprit fort, libertin (athée) qui instruisit sa fille tant dans le luth que dans le libertinage intellectuel et physique. Assassin du mari de sa maîtresse il dut fuir en Savoie mais ses amis ne l’oublièrent pas.
Si je rappelle encore le luthiste, poète satirique et remarquable écrivain picaresque Charles Dassoucy (1605-1677), amant de Cyrano qui le menaçait de mort après une trahison, collaborateur de Molière, emprisonné plusieurs fois et frôlant le bûcher pour homosexualité, fuyant en Italie, dont Faenza vient d’exhumer la seule musique qui nous reste de lui, nous n’avons, en évoquant ces extraordinaires personnalités et artistes, qu’une faible idée de la richesse artistique et intellectuelle foisonnante et fougueuse, de cette société libertine de la première moitié du XVIIe siècle français que la défaite des Frondes, la Cabale des Dévots réactionnaire et l’absolutisme de Louis XIV va réduire au silence, mais sans doute « avec une idée de derrière la tête » comme conseillait Pascal lui-même, soumis au nouvel ordre moral, ou sous cape d’hypocrisie comme le Dom Juan de Molière, lui-même victime des nouveaux Tartuffes.
Décidément, cet obscur Charles Fleury, Sieur de Blancrocher, dont la qualité devait être grande à en juger par celle de ses amis, est également célébré par un très beau disque de Pierre Gallon au clavecin, label Encelade, intitulé Blancrocher – L’Offrande. N’ayant laissé qu’une pièce manuscrite pour luth, interprétée ici par le luthiste Diego Salamanca, Blancrocher, bien présenté par Gallon, était un fameux collectionneur d’instruments. Il nous demeurerait à jamais obscur s’il n’avait eu la chance d’être immortalisé non seulement par les deux Tombeaux de Froberger et Couperin mais également par ceux d’autres musiciens de ses amis comme Gaultier et Dufaut qui ne déméritent pas à côté, et parfaitement servis dans ce disque.
Rappelons que Ravel, en pleine Grande Guerre, désespéré d’avoir été démobilisa, entre 1914 et 1917, composa un Tombeau de Couperin, on ne sait si pensant à Louis ou à François.
BP