D’un confinement musical (partie I)
Pendant le confinement, pour RCF Dialogue, par téléphone, j’ai tenu ce bref journal de quelques minutes, une petite réflexion, suivie d’un court morceau de musique en illustration. La Revue Marseillaise du Théâtre accueille en quatre temps les treize volets de ce Journal, qui se clôt par deux pages sur le « déconfinement ». Benito Pelegrín
La plupart des images de Une sont issues du fond GALLICA de la BNF (Ndlr).
JOURNAL MUSICAL D’UN CONFINEMENT (1)
Rappelons-nous : Pascal, Blaise Pascal, s’interrogeait sur la condition humaine. Il concluait :
« Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. »
C’est pourquoi, selon lui, nous cherchons avec frénésie ce qu’il nomme « Le divertissement », un écran fallacieux pour nous étourdir et ne pas voir en face la réalité de la vie avec la mort au bout. Le repos forcé, le confinement, nous contraint au retour sur soi, à l’introspection, à l’examen de conscience. Voici celui de Verlaine (1844-1896), poète maudit. Il a tenté en 1873 de tuer son diabolique Rimbaud, ami et amant, à Bruxelles. Condamné pour deux ans, il est en prison à Mons et médite en regardant le peu qu’il voit de la fenêtre de sa cellule.
D’une prison
Le ciel est, par-dessus le toit,
Si bleu, si calme !
Un arbre, par-dessus le toit,
Berce sa palme.
La cloche, dans le ciel qu’on voit,
Doucement tinte.
Un oiseau sur l’arbre qu’on voit
Chante sa plainte.
Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là,
Simple et tranquille.
Cette paisible rumeur-là
Vient de la ville.
– Qu’as-tu fait, ô toi que voilà
Pleurant sans cesse,
Dis, qu’as-tu fait, toi que voilà,
De ta jeunesse ?
Paul Verlaine, Sagesse (1881)
Écoutons la version musicale de Reynaldo Hahn, interprétée avec une grande délicatesse, qui respecte les nuances piano et pianissimo du compositeur par Bruno Laplante, baryton, accompagné au piano par Janine Lachance, Grand Prix du disque en 1974.
https://www.youtube.com/watch?v=aFX-SFOMSQQ
Image de Une : Tricentenaire de Blaise Pascal : son portrait en gravure /© Agence de presse Meurisse/ 1923/ photographie de presse libre de droit
JOURNAL MUSICAL D’UN CONFINEMENT (2)
La Chine, ce n’est pas que ce virus qui nous confine. Ces confins d’un Orient mystérieux ont nourri bien des légendes. Ainsi, celle de la lointaine Princesse Turandot. Elle représente déjà la révolte des femmes contre les hommes, qui ne date pas d’hier. Pour venger son immémoriale aïeule victime de la violence masculine, qui fut violée autrefois, la farouche vierge Turandot imagine un jeu terrible et capital. Capital, au sens premier du mot, c’est-à-dire qui relève du cap, de la tête : et ils ne la relèveront plus ces princes, dépités puis décapités pour avoir perdu la tête pour la belle et cruelle princesse de Chine. Pour gage de ce jeu, bien court mais peu courtois, ils engagent leur tête en prétendant à sa main mais ils doivent, pour cela résoudre, des énigmes insolubles qu’elle leur propose : ils acceptent de payer, de leur tête, leur échec.
Un prince, inconnu, trouve pourtant la solution et peut donc prétendre à sa main, ce qui horrifie Turandot, qui hait les hommes. Généreusement, il lui propose de résoudre à son tour, avant l’aube, une énigme, découvrir le mystère de son nom pour se libérer de l’enjeu matrimonial. Turandot mettra Pékin à feu et à sang pour trouver qui il est et s’épargner ainsi le mariage auquel elle s’est jurée d’échapper.
Sur la fable de Carlo Gozzi de 1762, Puccini, en 1924, met en musique Turando qu’il ne pourra achever, rattrapé par la mort. Voici le chant triomphal du Prince : « Vinceró, vinceró », ‘Je vaincra, je vaincrai !’ Cri de victoire que nous allons faire nôtre pour vaincre ce virus et les applaudissements, intempestifs, qui saluent l’entrée en scène de Luciano Pavarotti et la fin de son air, nous les dédierons à ces héroïques soignants qui luttent pour notre santé au péril de leur vie.
« Nessun dorma… », air de Calaf, extrait de Turandot de Puccini par Luciano Pavarotti, Lincoln Center, 1979, accompagné par Richard Bonynge :
https://www.youtube.com/watch?v=otHFNxx2t0M
Illustration : Théâtre National de l’Opéra. Turandot [Drame lyrique de Giacomo Puccini. Livret de Giuseppe Adami et Renato Simoni]/ Affiche de Jacques Dupont. Image libre de droit.
JOURNAL MUSICAL D’UN CONFINEMENT (3)
On demandait à Gide :
« Quel est le plus grand poète français ?»
Il répondit en soupirant :
« Victor Hugo, hélas ! »
Laissons Gide, qui s’endormit en lisant le manuscrit de Proust qu’il refusa d’éditer, à ses goûts étriqués et à son nombril obsessionnellement et amoureusement scruté dans son Journal. Oui, Victor Hugo est souvent pompeux, quelquefois pompant et même pompier. Cependant, certains de ses poèmes ont une telle force qu’ils font partie du patrimoine poétique populaire de la France, et il est l’écrivain Français le plus universellement connu, alors que Gide est pratiquement resté confiné dans ses frontières.
Victor Hugo interdisait que l’on mît « de la musique le long de ses vers. » Heureusement qu’on ne l’a pas écouté. Certaines de ses pièces, mises en musique, devinrent des opéras, comme Lucrezia Borgia, par Donizetti, Ernani par Verdi qui fit, de son Triboulet, qu’on ne joue plus, un immortel Rigoletto. Et nombre de ses de ses poèmes devinrent d’inoubliables mélodies sous les plumes de grands compositeurs.
Écoutez donc, pour vous convaincre qu’ils firent bien de ne pas obéir à son interdit, ce tout petit poème, sublimé par la musique de Reynaldo Hahn : c’est l’expression d’une personne exilée, isolée, s’adressant, par la poésie, par l’esprit, par l’amour, au foyer dont il est séparé… par le confinement.
Faites de la poésie, lisez de la poésie, écoutez, de Victor Hugo et Reynaldo Hahn : Si mes vers avaient des ailes…par Bruno Laplante, baryton et Janine Lachance au piano :
https://www.youtube.com/watch?v=_kGkfdJH5pw
Image de Victor Hugo (Reproduction) : photographie, tirage de démonstration / Atelier Nadar/ Image libre de droit
JOURNAL MUSICAL D’UN CONFINEMENT (4)
Dans le dernier volet, je conseillais : « Faites de la poésie, lisez de la poésie ! » Mon vœu a été exaucé : j’ai reçu de jolis poèmes sur le modèle du haïku japonais proposé par des amis, trois vers courts, de 5-7-5 syllabes, sans besoin de rime. On y rajouterait un quatrième vers de 7 syllabes et nous aurions le modèle de la seguidilla espagnole, qui remonte au XVe siècle ! Des chaînes de poésie circulent aussi, à travers les ondes, le monde, dans diverses langues. Le même ami Raúl me rappelle que le si français Uruguayen comte de Lautréamont, disait : « la poésie doit être faite par tous, non par un ». Donc, nous vivons un moment de supplice mais propice à la poésie.
À mon tour, en hexamètres, vers de 6 pieds, j’ai écrit une sorte de petit haïku que je vous offre comme thème aujourd’hui de ce journal :
Hermétique silence
D’un ciel moins pollué :
Et soudain, une étoile.
En effet, presque pas de circulation, silence dans les rues, pas de pollution, on revoit le ciel, on redécouvre les étoiles.
Et maintenant, imaginez-vous au XIIIe siècle dans le Tannhäuser de Wagner, à la Wartburg, un sombre château. Il y a eu un concours poétique de minnasänger, poètes de l’amour courtois, version germanique de nos troubadours provençaux en langue d’oc, dont l’art avait été repris, en langue d’oïl, par les trouvères du nord de la France. Le poète Wolfram von Eschenbach (vers 1170-1220), dont le Parzival inspirera le Parsifal de Wagner, est ici dans l’angoisse du brouillard et de la nuit qui tombe, présage de mort de la femme qu’il aime Élisabeth, abandonnée par le débauché Tannhäuser parti chercher l’absolution du pape à Rome. Soudain, une douce étoile scintille, comme un guide lumineux dans le sentier ténébreux du monde : Wolfram s’adresse à cette bienfaisante étoile du soir (« Ô du mein holder Abendstern…»), il la prie de faire d’Élisabeth un ange du ciel comme elle le fut sur terre.
Tannhäuser reviendra, mais trop tard, son bâton de pèlerin, planté au sol, miraculeusement et printanièrement fleuri, comme un rameau pascal, en signe de pardon du ciel obtenu pour lui par la prière d’Élisabeth.
Après un sombre récitatif angoissé, soudain, les cordes frémissent doucement : écoutez scintiller l’étoile de l’espoir, fixez-la par l’esprit, laissez-vous bercer, envoler, tendrement par Dietrich Fisher-Dieskau qui prête sa voix à Wolfram sur les ondes douces de la harpe du poète :
https://www.youtube.com/watch?v=1Cx4msAi-nY
Illustration : Parsifal : Bühnenfestspielhaus Bayreuth (8-30 Juli 1883)/affiche libre de droit.
JOURNAL MUSICAL D’UN CONFINEMENT (de NOËL À PAQUES) (5)
TELS DES OISEAUX EN CAGE…
En décembre, j’avais fait une émission pour conseiller ce conte livre /CD comme cadeau de Noël pour les enfants. Je l’ai réactualisé pour Pâques et il est sur mon blog ci-dessous. Il est comme une métaphore prémonitoire de notre confinement. Musiques, que m’ont offertes aujourd’hui, en liens, pour illustrer mon texte, les musiciens de l’Ensemble Artifices.
MUSIQUES de Heinrich Biber (pour le Rossignol, mais aussi Le Chat, imité au violon), Louis-Claude Daquin, Jacques Hotteterre (Tourtelles en duo flûte et violon), Jean-Féry Rebel, François Couperin, Purcell, Moussorgski (Le ballet des poussins dans leur coque, extrait des Tableaux d’une exposition) et Camille Saint-Saëns.
Adorable fable initiatique d’une quête identitaire, une réflexion délicate sur le naturel et l’artificiel, l’inné et l’acquis, qui sensibilise les enfants au respect de la nature.
Le livre s’enrichit de trois bonus, un sur les oiseaux et la musique, sur l’apprentissage de la musique aux oiseaux, avec cette serinette de la petite fille ; un bonus sur les instruments de musique qui illustrent le conte.
Un joli conte, joliment écrit, joliment dit, joliment joué et illustré : un joli cadeau pour Noël et pour Pâques.
Lien article : https://www.rmtnewsinternational.com/2020/04/le-violon-et-loiseau/
Illustration : dessin de NAN
(à suivre)
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